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1680, il avait perdu dom Jessenet (1), jeune Rémois sur lequel il avait fondé de grandes espérances et qui l'avait accompagné en Lorraine. Au contraire, Thierry Ruinart survécut à son maître, et eut le temps d'écrire sa Vie comme gage de sa reconnaissance; il n'eut garde d'omettre le récit des bons soins dont Mabillon l'entoura dès 1682, soit en complétant avec tendresse son instruction, soit en l'associant plus tard à tous ses travaux (2).

(1) Ce religieux, né à Reims en 1651, profès à Saint-Remi en 1670, mourut à Saint-Germain-des-Prés en 1680.

(2) Dom Ruinart, p. 185. Il rapporte ailleurs qu'élevé dès sa jeunesse par Mabillon, il fut pendant vingt-six ans le témoin de toutes ses actions, p. 5, dédicace. Les papiers de Thierry Ruinart à la Bibliothèque nationale (Fr. 19639) renferment mille détails sur sa collaboration avec son compatriote et les plus intéressantes lettres sur son enfance et ses études. L'une d'elles (f° 83), datée de Reims le 25 janvier 1708, signée Jean Doyen, Augustin indigne, signale cette particularité : Je nay esté que trois mois estudiant au collège d'en bas avec Jean Mabillon; c'est pendant ce temps que jay eu lieu de connoistre la piété exemplaire et le progrés qu'il faisoit dans les études. Les combats qui se faisoient journellement entre les escoliers des deux collèges m'obligèrent de m'attacher à celuy des Rds pères Jésuites près desquels estoit situé la maison de ma bonne mère. » Huit autres lettres non moins curieuses sont reproduites à l'Appendice.

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II

Voyages littéraires.

Relations de Mabillon avec Colbert et Maurice Le Tellier, les inspirateurs de ses voyages. Diverses excursions en France. - Voyage

d'Allemagne avec D. Germain. - Mabillon liturgiste. - Mabillon et Bossuet. Voyage d'Italie: épisodes, négociations, l'Index, achat

de manuscrits. Retour en France.

1. VOYAGES EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE.

L'activité littéraire se manifeste par des recherches dont le cercle s'élargit sans cesse; l'érudit veut connaître les documents qui sont la base de ses travaux, les comparer et les revoir encore. Ainsi les voyages devinrent pour Mabillon un besoin impérieux dans la composition des Actes des Saints, des Annales Bénédictines et de la Diplomatique il fallait que ce génie s'épanchât au dehors et quittât sa cellule pour y rapporter le fruit d'investigations dont les monastères, les archives et les bibliothèques lui fourniraient le tribut. Ses confrères le dépeignent comme le plus alerte des copistes, couvrant de notes rapides plusieurs mains de papier sans se lasser, curieux des renseignements de toutes sortes : gravures, inscriptions, plans ou médailles. Mise en éveil par l'intérêt de tant d'objets divers, soutenue par les plus attentifs efforts, sa mémoire

devint prodigieuse de clarté et d'étendue: voilà le secret de son érudition.

En 1672, Mabillon voyagea en Flandre; en 1680, il parcourut la Lorraine (1); en 1682, ce fut le tour de la Bourgogne, et en 1684 celui de la Normandie; l'Alsace fut explorée en 1696; il vit enfin à diverses reprises la Champagne, la Picardie et les bords de la Loire (2). Mais les plus fécondes et les plus fameuses de ses expéditions littéraires furent celles d'Allemagne et d'Italie, entreprises sous les auspices et par la protection de deux Rémois, Colbert et l'archevêque Maurice Le Tellier (3).

Le grand ministre, uni déjà sans doute à Mabillon par les relations d'une commune patrie, agréa la dédicace de la Diplomatique en 1681 ; il s'intéressa à la réussite de cet ouvrage dont l'honneur rejaillissait sur la France et sur lui. Bientôt il se servit de son auteur en quelques occasions importantes pour le service du roi et voulut en vain l'en récompenser par une pension. « Quoi qu'il put faire, il ne luy fut pas pos

(1) « Je reviens d'un voyage assez long que j'ai fait en Lorraine pour y voir les archives et les bibliothèques du pays, afin de mettre la dernière main à notre ouvrage des Chartes. » Lettre de Mabillon à Magliabechi, 22 Novembre 1680. Corresp. inéd. T. I, p. 4.

(2) En 1698, Claude Boitard, Supérieur de la Congrégation de Saint-Maur, envoya Mabillon et Th. Ruinart en mission à Angers et à Tours; cet ordre existe en original à la Bibl. Nationale. Ce document inédit est reproduit à l'Appendice.

(3) Rien ne serait plus intéressant que la traduction des Itinéraires d'Allemagne et d'Italie, écrits en latin par Mabillon. Avec maints détails précieux pour l'histoire, les lettres et l'archéologie, on y verrait comment la France tenait alors en Europe le sceptre de l'érudition. Du moins, pour en donner un aperçu, l'analyse en est reproduite à l'Appendice de manière à offrir leur résumé chronologique.

sible de faire consentir le religieux à accepter ses offres; et il n'en put tirer d'autre réponse, raconte dom Ruinart, sinon qu'il luy étoit extrêmement obligé de l'avantage qu'il avoit eu en pensée de luy procurer, et qu'il le prioit trèshumblement de continuer à honorer de sa protection la Congrégation (1) » Cet esprit de désintéressement absolu dont Mabillon, fidèle à son vœu de pauvreté, ne se départit jamais, accrut la sincère estime du ministre pour un dévouement si noble et si rare: en 1682, Mabillon fit un voyage en Bourgogne « dans lequel, raconte D. Ruinart, M. Colbert se servit de luy pour l'examen de quelques anciens titres qui regardoient la maison royale. Il en eut toute la satisfaction qu'il pouvoit attendre et il reconnut facilement que ce moine n'avoit pas moins de bonne foy et de sincérité que d'habileté et d'expérience dans cette matière. Cela ne fit qu'augmenter le désir qu'il avoit de donner quelque marque publique de son estime pour luy; et comme il en cherchoit l'occasion, on lui suggéra d'engager le P. Mabillon à faire un voïage en Allemagne aux dépens du Roy, pour y visiter les archives et les bibliothèques (2). >> Le savant bénédictin, sur l'impulsion de ses supérieurs, ne put rejeter une proposition si propice pour ses recherches; il partit de Paris avec D. Michel Germain, le 30 juin 1683.

Les voyages littéraires de Mabillon étaient de

(1) D. Ruinart, p. 88. - P. Clément. Colbert, in-8, Didier, 1874, T. II, p. 286.

(2) D. Ruinart, p. 96.

vrais pélerinages, comme le remarque un historien moderne (1), durant lesquels sa régularité et son amour de la science étaient également satisfaits. «Ses habits étoient fort pauvres, jamais de linge ni aucune commodite contraire à nos usages, raconte D. Ruinart; il souffroit avec patience les injures du temps et les incommoditez des voitures, sans jamais se plaindre de rien, offrant aux autres avec joie ce qui étoit de plus commode, pour se réserver le plus dur et le plus pauvre pour luy-même (2). » C'est en parlant de cet homme si simple, que l'on écrivait de Souabe en apprenant son arrivée : La vue seule de ce grand homme nous comblera tous de joie; omnibus solatium erit vel conspexisse tantum virum.

Les deux Bénédictins parcoururent la Franche-Comté, l'Alsace, la Bavière, le Tyrol et la Suisse; ils poussèrent jusqu'à Munich et Salzbourg sans pouvoir gagner l'Autriche dont les Turcs assiégeaient la capitale. Partout, les archives s'ouvrirent à leur visite : non-seulement Mabillon y copiait les documents précieux, mais il intéressait leurs gardiens à la valeur historique qu'ils présentaient, les engageant à les publier : c'est ainsi que la chronique d'Hirsauge de l'abbé Trithème fut imprimée dans l'abbaye de Saint-Gall à sa sollicitation (3). Le

(1) Rohrbacher. Hist. de l'Egl.; T. XXVI, p. 112.

(2) D. Ruinart, p. 136.

(3) « Chronicum surgit nunc, animante ejus editionem R. R. Clariss. P. Johanne Mabillonio, quem... vidimus, nec sine sensu suavitatis recordamur. » Præfat. D. Ruinart, p. 103.

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