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écrit tantôt en latin, tantôt en français; on lui répond en italien et en latin (1); les sujets traités dans ces lettres embrassent les questions les plus importantes de théologie, d'histoire, d'exégèse, de philologie; on s'y fait part de toutes les publications et des moindres controverses d'érudition; les envois de livres ainsi que les renseignements de librairie tiennent en outre une grande place dans ces missives, attendues avec curiosité d'un pays dans l'autre. Enfin, la plus aimable courtoisie et une complète égalité dans les rapports donnent à cette correspondance ressuscitée tout le charme qui embellit la science.

Mais cette publication, bien que faite avec un zèle et un soin dignes d'éloges, n'est aussi que partielle; l'Allemagne, l'Angleterre, la Suisse avaient part à cette Correspondance bénédictine, à laquelle participaient les collaborateurs de Mabillon et en même temps tous les érudits de France, religieux, séculiers ou laïques. On peut se faire une idée de son étendue, quand on saura que ce qui a pu être sauvé des flammes en 1794, a suffi, dit M. dit M. Dantier, pour former une collection de près de soixante-et-dix volumes que la Bibliothèque Nationale a fait dans ces derniers temps recueillir et mettre en ordre. Si jamais elle voit le jour, on pourra apprécier

(1) Voici l'adresse de l'une des lettres de Bacchini à Mabillon en 1683: Al Reverendissimo Signore Padrone Colendissimo il Padre Dom Giovanni Mabillon monaco della Congregazione di S. Mauro, chez M. Lange, rue de la Truanderie, vis-à-vis le Poirier. Parigi, (Corresp. inéd., T. I, p. 41.)

l'estime qu'obtint Mabillon dans son Ordre et dans l'Europe savante, lui que le cardinal Noris qualifiait « le Français le plus aimable et le plus docte de son temps (1). » La publication de ses lettres compléterait dignement ses œuvres.

Ici finit cet aperçu descriptif et bibliographique des productions du génie de Mabillon, qui mériteraient toutes un travail approfondi dont le cadre seul a pu être tracé. Les Etudes monastiques, les Saints inconnus, la Liturgie gallicane, le Culte des Images, les Ordres romains, la Réforme des prisons, la Chronologie mérovingienne, les Itinéraires de Bourgogne, d'Alsace, d'Allemagne et d'Italie, sont autant de sujets pleins d'attraits pour l'érudition et la critique modernes. Quant aux grandes œuvres, le Saint Bernard, la Diplomatique, les Actes des Saints et les Annales Bénédictines, majestueux volumes édités à Paris, réim

(1) « Habemus hic patrem Mabillonium, suavissimum et doctissimum. » Lettre du 16 juillet 1686 de D. Estiennot. Corresp. inéd., T. I. — V. à l'Appendice l'indication des sources pour les lettres manuscrites de Mabillon à la Bibliothèque Nationale. La correspondance de Mabillon mettrait dans tout son jour sa franchise, sa tolérance littéraire et la largeur de ses vues; on y trouverait des préceptes moraux d'une portée toute pratique, comme cette lettre à Magliabechi sur la Critique : « .... Il faut laisser les gens juger de ce que nous donnons au public. Tout le monde a droit d'en juger mais d'ordinaire le public fait justice à ceux qui ont raison. Comme je ne prétends pas être infaillible, je ne suis pas fâché que l'on soit d'un sentiment contraire au mien. » (Corresp. inéd., t. II, p. 352.)

primés à Naples, à Venise et à Lucques, ils sont de vrais monuments dans notre histoire littéraire. De nos jours, où l'on se complait dans les journaux, dans les revues ou les abrégés, ces lourds volumes, dont dix-huit sont des in-folios et douze des in-quartos, avec leurs tables méthodiques, leurs préfaces et leurs notes, nous apparaissent comme des géants d'un autre âge dont la puissante armure protége encore les fils.

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AYEUX

TROISIÈME PARTIE

MÉMOIRE DE DOM MABILLON

La mort de Mabillon montra la place que tenait cet humble moine dans la société française et dans les rangs de l'Eglise. Par humilité et aussi par le penchant de son caractère, il avait fui l'éclat des honneurs, leur préférant la retraite studieuse, la possession de soi-même et la sainteté d'une vie purement monastique (1). Il avait acquis de la sorte, par sa droiture et sa modestie comme par ses travaux, ce vrai mérite supérieur aux plus enviables dignités (2).

(1) « Un grand prélat emploïa son crédit auprès du Roy pour lui faire avoir une abbaye en règle; le cardinal Coloredo et d'autres personnes ont travaillé avec zèle auprès du Pape pour le faire élever à la pourpre; mais il a toujours voulu demeurer dans l'humilité de son état. » D. Ruinart, p. 429. Bibl. Nat., Français, 19639, fo 104, lettre de Fontanini.

(2) Il y aurait de curieux rapprochements à faire entre le caractère de Mabillon et certains passages du Chap. III des Caractères de la Bruyère intitulé: Du mérite personnel.

Quand il mourut, il se trouvait à son insu en possession d'une impérissable renommée entre les savants. Aussi, rien de ce qui a trait à la mémoire de ce grand homme n'est indifférent pour la postérité : ni les témoignages de regret et de vénération qui éclatèrent à ses funérailles; ni les hommages qu'on lui rendit par des éloges publics, des poésies, des inscriptions sur ses portraits; ni les soins pieux rendus à son tombeau; ni les souvenirs conservés de lui au pays natal.

I

Les Obsèques et Services.

Mabillon n'était pas un savant égoïste, un érudit sans entrailles il avait aimé la société au milieu de laquelle il vécut. Faut-il s'étonner dès lors de l'émotion que causa la nouvelle de sa maladie, puis celle de sa mort, chez tous ceux qui l'avaient connu? « Les pauvres prièrent dans les hôpitaux pour sa guérison, les enfants dans les écoles, les curés dans les paroisses de village..... Les personnes les plus distinguées, comme celles des autres conditions jusqu'au dernier rang, témoignèrent le regret qu'ils avoient de sa perte, que l'on regardoit comme commune à tout le monde. » Son historien témoin de ces manifestations, n'a garde d'omettre l'éloge du Roi « pour un de ses plus fidèles sujets et un des plus sçavans religieux de son Roïaume (1). »

(1) D, Ruinart, p. 411, 356.

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