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Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée,

On lâcha sur lui quelques chiens,
Il fit fort peu de résistance.

Amour, Amour! quand tu nous tiens,
On peut bien dire: Adieu prudence ?

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II. LE BERGER ET LA MER. Du rapport d'un troupeau, dont il vivait sans soins, Se contenta long-temps un voisin d'Amphitrite. (1) Si sa fortune était petite,

Elle était sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien, qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage:
Celui qui s'était vu Coridon ou Tircis (2)

Fut Pierrot (3) et rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

1 La mer, Amphitrite en était la déesse.

2 Maitre de ses troupeaux.

3 Berger à gages.

Et comme un jour les vents retenant leur haleine,
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux !
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre :
Ma foi vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité,

Pour montrer par expérience,
Qu'un sou quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en espérance;

Qn'il se faut contenter de sa condition;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition
Nous devons fermer les oreilles.

Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront.
La mer promet monts et merveilles:
Fiez-vous-y; les vents et les voleurs viendront.

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III. LA MOUCHE ET LA FOURMI.
LA mouche et la fourmi contestaient de leur prix.
O Jupiter! dit la première,
Faut-il que l'amour-propre aveugle les esprits
D'une si terrible manière,

Qu'un vil et rampant animal

A la fille de l'air ose se dire égal!

Je hante les palais, je m'assieds à ta table;
Si l'on t'immole un bœuf, j'en goûte devant toi.
Pendant que celle-ci, chétive et misérable,

Vit trois jours d'un fétu qu'elle a traîné chez soi.
Mais ma mignonne, dites-moi,

Vous campez-vous jamais sur la tête d'un roi,
D'un empereur ou d'une belle ?

Je le fais, et je baise un beau sein quand je veux,
Je me joue entre des cheveux,

Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle,
Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,

C'est un ajustement des mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête

De vos greniers ! - Avez-vous dit?
Lui répliqua la ménagère.

:

Vous hantez les palais mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la première

De ce qu'on sert devant les dieux,
Croyez-vous qu'il en vaille mieux!

Vous entrez partout, ainsi font les profanes.
Sur la tête des rois, et sur celle des ânes,
Vous allez vous planter ; je n'en disconviens pas ;'>
Et je sais que d'un prompt trépas,

Cette importunité bien souvent est punie,
Certain ajustement, dites-vous rend jolie ;
J'en conviens: il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu'il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi
Vous fassiez sonner vos mérites?
Nomme-t-on pas aussi mouches, les parasites ?
Cessez donc de tenir un langage si vain :
N'ayez plus ces hautes pensées,
Les mouches de cour (1) sont chassées.

Les mouchards (2) sont pendus: et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,
Quand Phébus (3) règnera sur une autre hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux ;
Je n'irai, par monts ni par vaux,

M'exposer au vent, à la pluie ;

Je vivrai sans mélancolie ;

1 Les importuns. - 2 Les espions. 3 Quand l'hiver sera venu.

4 Vallée.

Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera.
Je vous enseignerai par-là

Ce que c'est qu'une fausse et véritable gloire.
Adieu, je perds le temps: laissez-moi travailler,
Ni mon grenier ni mon armoire,
Ne se remplit à babiller.

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IV. LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR,
UN amateur du jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédait en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant. (1)
Il avait de plants vifs fermé cette étendue:
Là croissaient à plaisir l'oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fète un bouquet.
Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.
Cette félicité par un lièvre troublée

Fit qu'au seigneur du bourg notfe homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des piéges se rit :
Les pierres, les bâtons, y perdent leur crédit :
Il est sorcier, je crois. Sorcier ! je l'en défie,
Repartit le Seigneur : fût-il diable, Miraut, (2)

Tout proche. 2. Nom d'un chien de chasse.

En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bonhomme, sur ma vie.

Et quand ? Et dès demain, sans tarder plus long-temps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.

Ça, déjeûnons, dit-il: vos poulets sont-ils tendres ?
La fille du logis, qu'on vous voie, approchez;
Quand la marirons-nous?quand aurons-nous des gendres.
Bonhomme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez,
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle. (3)

Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,
Auprès de lui la fait asseoir :

Prend une main, un bras, lève un coin de mouchoir,
Toutes sottises dont la belle

Se défend avec grand respect;

Tant qu'au père à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.
De quand sont vos jambons: ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le Seigneur,
Je les reçois, et de bon cœur.
Il déjeûne très-bien; ainsi fait sa famille,
Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés.
Il commande chez l'hôte; il prend des libertés;
Boit son vin; caresse sa fille.
L'embarras des chasseurs succède au déjeûné.
Chacun s'anime et se prépare;
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bonhomme est étonné.
Le pis que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager: adieu planches, carreaux,
Adieu chicorée et poireauxs,

Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre était gîté dessous un maître chou.
On le quète; on le lance: il s'enfuit par un irou ;
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie,

Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal
Qu'on eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bonhomme disait : Ce sont là jeux de prince.
Mais on le laissait dire, et les chiens et les gens
3 Bourse.

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