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Les armes dont se seri sa vengeance sévère,

Il ne vous fasse en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?
Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains
Etaient propres aux arts ainsi qu'au labourage.
Qu'avez-vous appris aux Germains?
Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avaient eu l'avidité,

Comme vous et la violence

Peut-être en votre place ils auraient la puissance,
Et sauraient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs (3) ont sur nous exercée,
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples;
D'avarice qui vâ jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome :
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus,
Retirez-les on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes :
Nous laissons nos chères compagnes,

Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome, un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfans déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés:
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime,
Retirez-les ils ne nous apprendront

Que la molesse et que le vice;

3 Gouverneurs romains en Allemagne.

Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner; c'est en vain qu'on espèr
Quelque refuge aux lois encor leur ministère
A -t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis punissez de mort

:

Une plainte un peu trop sincère.

:

A ces mots il se couche et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bons sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.
On le créa patrice, et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit
D'autres préteurs ; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas long-temps à Rome
Cette éloquence entretenir.

VIII. LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES
HOMMES.

UN octogénaire plantait,

Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfans du voisinage:
Assurément il radotait.

Car au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées ;
Quittez le long espoir et les vastes pensees,
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard et dure peu. La main des parques blèmes De vos jours et des miens se joue également.

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Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?
Mes arrières-neveux me devront cet ombrage.
Hé bien défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui ;
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore,
Je puis enfin compter l'aurore,

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dans le port, allant à l'Amérique :
L'autre afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés,
Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter,

Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

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IX. LES SOURIS ET LE CHAT-HUANT.
Il ne faut jamais dire aux gens,

Ecoutez un bon mot, oyez (1) une merveille :
Savez-vous si les écoutans

En feront une estime à la vôtre pareille?
Voici pourtant un cas qui doit-être excepté ;
Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable
Il a l'air et les traits, encor que véritable.
On abattit un pin pour son antiquité;

Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite
De l'oiseau qu'Atropos (2) prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné par le temps,
Logeaient, entre autres habitans,

Force souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissait parmi des tas de blé,
Et de son bec avait leur troupeau mutilé.
Cet oiseau raisonnait, il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux souris le compagnon chassa :
Les premières qu'il prit du logis échappées,
Pour y rémédier, le drole estropia

1 Entendez. v.

2 Une des parques.

Tout ce qu'il prit ensuite, et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeait à sa commodité,
Aujourd'hui l'une et demain l'autre.

Tout manger à la fois, l'impossibilité
S'y trouvait, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance allait aussi loin que la nôt: e.
Elle allait jusqu'à leur porter

Vivres et grains pour subsister.
Puisqu'un cartésien (3) s'obstine

A traiter ce hibou de monstre et de machine!
Quel ressert lui pouvait donner
Le conseil de tronquer un peuple mis en mue?
Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.
Voyez que d'argumens il fit :

Quand ce peuple est pris il s'enfuit;
Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe.
Tout! il est impossible ! Et pris pour le besoin
N'en dois-je point garder? Donc il faut avoir soin
De le nourrir sans qu'il échappe.

Mais comment ? Otons-lui les pieds. Or, trouvez-moi
Chose par les humains à sa fin mieux conduite !
Quel autre art de penser Aristote et sa suite

Enseignent-ils par votre foi ?

3 Disciples de Descartes qui ne regardaient les bêtes que comme des machines.

Ceci n'est pas une fable, et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement are rivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou ; car je ne prétends pas établir dans les hètes un progrès de raisonnement tel que celui-ci rais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d'écrire dont je me sers.

:

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