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N'ayant ni. filets ni réseaux,

Souffrait une disette extrême:

Que fit-il ? Le besoin, docteur en stratagême,
Lui fournit celui-ci. Sur le bord d'un étang
Cormoran vit une écrevisse.

Ma commère, dit-il, allez tout à l'instant
Porter un avis important

A ce peuple: il faut qu'il périsse ;
Le maître de ce lieu dans huit jours pêchera
L'écrevisse en hâte s'en va

Conter le cas. Grande est l'émeute,
On court, on s'assemble, on députe,
A l'oiseau Seigneur cormoran,

D'où vous vient cet avis? Quel est votre garant?
Etes-vous sur de cette affaire ?

N'y savez-vous remède ? Eh qu'est-il bon de faire !
Changer de lieu, dit-il. Comment le ferons-nous?
N'en soyez point en soin: je vous porterai tous,
L'un après l'autre, en ma retraite.

Nul que Dieu seul et moi n'en connaît les chemins:
Il n'est demeure plus secrète.

Un vivier que nature y creusa de ses mains
Inconnu des traitres humains,
Sauvera votre république.

::

On le crut le peuple aquatique
L'un après l'autre fut porté
Sous le rocher peu fréquenté.
Là, cormoran le bon apôtre,
Les ayant mis en bon endroit
Transparent, peu creux, fort étroit,

Vous les prenait sans peine, un jour l'un, un jour l'autre.
Et leur apprit à leurs dépens
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance

En ceux qui sont mangeurs de gens.

Ils y perdirent peu, puisque l'humaine engeance
En aurait aussi bien croqué sa bonne part.

Qu'importe qui vous mange; homme ou loup, toute panse
Me paraît une à cet égard:

Un jour plutôt, un jour plus tard,
Ce n'est pas grande différence.

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V. L'ENFOUISSEUR ET SON COMPÈRE.
UN pince-maille avait tant amassé,
Qu'il ne savait où loger sa finance.
L'avarice compagne et sœur de l'ignorance,
Le rendait fort embarrassé

Dans le choix d'un dépositaire;

Car il en voulait un, et voici sa raison :
L'objet tente il faudra que ce monceau s'altère
Si je le laisse à la maison;

:

Moi-même de mon bien je serai le larron.
Le larron! Quoi! jouir, c'est se voler soi-même ?
Mon ami, j'ai pitié de ton erreur extrême.
Apprends de moi cette leçon :

Le bien n'est bien qu'autant que l'on peut s'en défaire,
Sans cela, c'est un mal. Veux-tu le réserver
Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire ?
La peine d'acquérir, le soin de conserver,
Otent le prix à l'or qu'on croit si nécessaire.
Pour se décharger d'un tel soin,

Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin;
Il aima mieux la terre et prenant son compère,
Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor.

Au bout de quelque temps l'homme va voir son or.
Il ne retrouva que le gîte,

Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite

Lui dire apprêtez-vous, car il me reste encor
Quelques deniers je veux les joindre à l'autre masse.
Le compère aussitôt va remettre en sa place
L'argent volé; prétendant bien

Tout reprendre à la fois, sans qu'il y manquât rien.
Mais pour ce coup l'autre fut sage:

Il retint tout chez lui, résolut de jouir,
Plus n'entasser, plus n'enfouir.

Et le pauvre voleur ne trouvant plus son gage,
Pensa tomber de sa hauteur.

Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur.

VI. LE LOUP ET LES BERGERS.

UN loup rempli d'humanité

(S'il en est de tels dans le monde)
Fit un jour sur sa cruauté,

Quoiqu'il ne l'exerçât que par nécessité,
Une réflexion profonde.

Je suis haï, dit-il ; et de quoi ? de chacun,
Le loup est l'ennemi commun:

Chiens, chasseurs, villageois s'assemblent pour sa perte.
Jupiter est là-haut étourdi de leurs cris :
C'est par-là que de loups l'Angleterre est déserte :
On y mit notre tête à prix.

Il n'est hobereau qui fasse
Contre nous tels bans publier:
Il n'est marmot osant ne crier,

Que du loup aussitôt sa mère ne menace.
Le tout pour un âne rogneux,

Pour un mouton pourri, pour quelque chien hargneux,
Dont j'aurai passé mon envie.

Eh bien, ne mangeons plus de choses ayant vie:
Paissons l'herbe, broutons, mourons de faim plutôt.
Est-ce une chose si cruelle ?

Vaut-il mieux s'attirer la haine universelle ?
Disant ces mots, il vit des bergers pour leur rot,
Mangeant un agneau cuit en broche.

Oh! oh! dit-il, je me reproche

Le sang de cette gent: voilà ses gardiens

S'en repaissant eux et leurs chiens;
Et moi, loup, j'en ferai scrupule !
Non, par tous les dieux, non ; je serais ridicule,
Thibault l'agnelet passera,

Sans qu'à la broche je le mette

Et non-seulement lui; mais la mère qu'il tette,
Et le père qui l'engendra.

Ce loup avait raison. Est-il dit qu'on nous voie
Faire festin de toute proie,
Manger les animaux, et nous les réduirons
Aux mets de l'âge d'or (1) autant que nous pourrons!
Ils n'auront ni croc ni marmite!
Bergers, bergers, le loup n'a tort,
Que quand il n'est pas le plus fort:
Voulez-vous qu'il vive en ermite?

1 Des premiers temps, où les hommes vivaient de glands et de légumes.

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VII. L'ARAIGNÉE ET L'HIRONDELLE.
O Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret accouchement nouveau
Tirer Pallas, jadis mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie

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Progné me vient enlever mes morceaux ;
Caracolant, frisant l'air et les eaux,
Elle me prend mes mouches à la porte:
Miennes je puis le dire, et mon réseau
En serait plein sans ce maudit oiseau,
Je l'ai tissu de matière assez forte.
Ainsi d'un discours insolent,

Se plaignait l'araignée autrefois tapissière,
Et qui lors étant filandière

Prétendait enlacer tout insecte volant.
La sœur de Philomèle attentive à sa proie,
Malgré le bastion happait mouches dans l'air,
Pour ses petits, pour elle; impitoyable joie,
Que ses enfans gloutons, d'un bec toujours ouvert,
D'un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encor mal entendus.
La pauvre araignée n'ayant plus

Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se viţ elle-même enlevée :

L'hirondelle en passant, emporta toile, et tout;
Et l'animal pendant au bout.

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde.
L'adroit, le vigilant, et le fort, sont ussis
A la première, et les petits,
Mangent leur reste à la seconde.

VIII. LA PERDRIX ET LES DEUX COQS. PARMI de certains coqs, incivils, peu galans, Toujours en noise et turbulens Une perdrix était nourrie.

Son sexe et l'hospitalité,

De la part de ces coqs, peuple à l'amour porté,
Lui faisaient espérer beaucoup d'honnêteté;
Ils faisaient les honneurs de la ménagerie.
Ce peuple.cependant, ført souvent en furie,
Pour la dame étrangère ayant peu de respect,
Lui donnait fort souvent d'horribles coups de bec.
D'abord elle en fut affligée-

Mais sitôt qu'elle eut vu cette troupe enragéc

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