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XII. LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour un åne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poings trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron >

Qui saisit maitre Aliboron (1).

L'âne, c'est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois:
Au lieu de deux j'en ai rencontré trois:
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise;
Un quart voleur survint, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

1. Nom burlesque qu'on donne à l'âne.

XIV. SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX.

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe (1) le disait; je souscris quant à moi
Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits :
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
1 Poète francais.

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Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.
Simonide (2) avait entrepris

L'éloge d'un athlète et la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
parens de l'athlète étaient

Les

gens inconnus;

Son père un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite;
Matière infertile et petite.

Le poète d'abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux : (3) ne manque pas d'écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux,
Elevant leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étaient signalés davantage :
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisait les deux tiers de l'ouvrage.

L'athlète avait promis d'en

Mais quand il le vit, le galant

payer un talent:

N'en donna que le tiers, et dit fort franchement,
Que Castor et Pollux acquittassent le reste :
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter cependant ;
Venez souper chez moi : nous ferons bonne vie ;

2 Poète grec.

3 Les Gémeaux, enfans de Léda.

2

Les conviés sont gens choisis;

Mes parens,

mes meilleurs amis

Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table ; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâces; et pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers;
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque ; et le plafonds,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie

Tombe sur le festin, brise plats et flacons

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N'en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis; car, pour rendre complète
La vengeance due au poète,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La Renommée eut soin de publier l'affaire ;
Chacun cria: Miracle! On doubla le salaire
Que méritaient les vers d'un homme aimé des dieux :
Il n'était fils de bonne mère

Qui, les payant

qui mieux mieux,

Pour ses ancêtres n'en fit faire.

Je reviens à mon texte : et dis premièrement,
Qu'on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus que Melpomène,
Souvent sans déroger, trafique de sa peine,

Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur, dès lors qu'ils nous fon
grâce :

Jadis l'Olympe le Parnasse
Etaient frères et bons amis.

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XV. LA MORT ET LE MALHEUREUX.
UN malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte; elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il : ôtez-moi cet objet !
Qu'il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi,
N'approche pas, ô Mort! & Mort, retire-toi !
Mécénas (1) fut un galant homme :
Il dit quelque part: Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, & Mort! on t'en dit tout autant.
1 Favori de l'empereur Auguste.

XVI. LA MORT ET LE BUCHERON. UN pauvre bûcheron, tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé, marchait à pas pesans,

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Et tachait de gagner sa chaumine enfumée,
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il de plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts
Les créanciers et la corvée, (1)
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, lui dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois : tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
PLUTOT SOUFFRIR QUE MOURIR.

C'est la devise deshommes.

↑ Travail que l'état ou le seigneur exigeaient comme une redevance.

XVII. L'HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX

MAITRESSES.

Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison

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