Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait. 11 avait dans la terre une somme en fouie Son cœur avec, n'ayant autre déduit (2) Que d'y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance (3) à lui-même sacrée. Qu'il allat ou qu'il vint, qu'il but ou qu'il mangeât, On l'eût pris de bien court à moins qu'il ne songeât, A l'endroit où gisait (4) cette somme enterrée. Il fit tant de tours qu'un fossoyer le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire. Notre avare un beau jour ne trouva que le nid, Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire, Il se tourmente, il se déchire,
Un passant lui demande à quel sujet ces cris. C'est mon trésor que l'on m'a pris.
Tout joignant cette pierre Eh! sommes-nous en temps de guerre
Pour l'apporter si loin ! N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez-vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.— A toute heure! bon Dieu ! ne tient-il qu'à cela :
L'argent vient-il comme il s'en vaim Aud sh Je n'y touchais jamais. - Dites-moi donc de grâce, Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant, Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent, Mettez une pierre à la place, Elle vous vaudra tout autant.
XXI. L'OEIL DU MAITRE.
Un cerf s'étant sauvé dans une étable à bœufs, Fut d'abord averti par eux
Qu'il cherchât un meilleur asile.
Mes frères, leur dit-il, ne me décélez pas, Je vous enseignerai les pâtis les plus gras; Ce service vous peut quelque jour être utile, Et vous n'en aurez point regret.
Les bœufs, à toute fin, promirent le secret. Il se cache en un coin, respire et prend courage.' Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage, Comme l'on faisait tous les jours.
L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, L'intendant même; et pas un d'aventure
N'aperçut ni cór, ni ramure,
Ni cerf enfin. L'habitant des forêts
Rend déjà grâce aux bœufs ; attend dans cette étable Que, chacun retournant au travail de Cérès,
Il trouve pour sortir un moment favorable.
L'un des bœufs ruminant, lui dit : Ceia va bien : Mais quoi ! l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue; Je crains fort pour toi sa venue: Jusques-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde. Qu'est-ceci, dit-il à son monde,
Je trouve bien peu d'herbe en tous ces råteliers, Cette litière est vieille, allez vite aux greniers, Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées. Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ? Ne saurait-on ranger ces jougs et ces colliers? En regardant à tout il voit une autre tête Que celles qu'il voyait d'ordinaire en ce lieu. Le cerf est reconnu chacun prend un épieu, Chacun donne un coup à la bête.
Ses larmes ne sauraient la sauver du trépas. On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas. Dont maint voisin s'éjouit d'être.
Phèdre sur ce sujet dit fort également:
Il n'est pour voir que l'œil du maître. Quant à moi j'y mettrais encor l'œil de l'amant:
XXII. L'ALOUETTE ET SES PETITS, AVEC LE MAITRE D'UN CHAMP.
Ne t'attends qu'à toi seul ; c'est un commun proverbe; Voici comme Esope le mit
Les alouettes font leur nid
Dans les blés quand ils sont en herbe, C'est-à-dire environ le temps
Que tout aime, et que tout pullule dans le monde, Monstres marins au fond de l'onde,
Tigres dans les forêts, alouettes aux champs. Une pourtant de ces dernières
Avait laissé passer la moitié du printemps Sans goûter le plaisir des amours printannières A toute force enfin elle se résolut
D'imiter la nature, et d'être mère encore.
Elle båtit un nid, pond, couve, et fait éclore
A la hâte; le tout alla du mieux qu
Les blés d'alentour murs avant que la nitée (1) Se trouvât assez forte encor
Pour voler et prendre l'essor
De mille soins divers l'alouette agitée, S'en va chercher pâture, avertit ses enfans D'être toujours au guet et faire sentinelle. Si le possesseur de ces champs
Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle, Ecoutez-bien; selon ce qu'il dira, Chacun de nous décampera.
que l'alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils. Ces blés sont mûrs, dit-il : allez chez nos amis Les prier que chacun, apportant sa faucille, Nous vienne aider demain, dès la pointe du jour. Notre alouette de retour
Trouve en alarme sa convée.
L'un commence Il a dit que, l'aurore levée, L'on fit venir demain ses amis pour l'aider. S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette, Rien ne nous presse encor de changer de retraite ; Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter. Cependant soyez gais; voilà de quoi manger. Eux repus, tout s'endort les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout. L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.
Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout. Nos amis ont grand tørt, et tout qui se repose Sur de tels paresseux, à servir aussi lents. Mon fils, allez chez nos parens Les prier de la même chose. L'épouvante est au nid plus forte que jamais. Il a dit ses parens, mère ! c'est à cette heure.... Non, mes enfans, dormez en paix : Ne bougeons de notre demeure.
L'alouette eut raison, car personne ne vint. Pour la troisième fois le maître se souvient De visiter son blés. Notre erreur est extrême, Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous. Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous Ce qu'il faut faire ? Il faut qu'avec notre famille. Nous prenions dès demain chacun une faucille; C'est là notre plus court: et nous achèverons Notre moisson quand nous pourrons. Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette, C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfans. Et les petits en même temps, Voletans, se culbutans Délogèrent tous sans trompette
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