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papisme prend aujourd'hui vis-à-vis de l'État. Le pape ayant publié un décret à l'effet d'ériger en basilique l'Église dite de Notre-Dame de la Salette et de régler le culte de cette nouvelle idole, née d'une supercherie que les tribunaux ont constatée, l'évêque de Grenoble et plusieurs de ses collaborateurs en épiscopat se sont réunis et ont procédé librement aux cérémonies accoutumées en pareil cas. Là dessus, le bruit (fondé ou non fondé, nous ne saurions le dire encore) s'est répandu qu'il allait y avoir une poursuite comme d'abus. Un prêtre du diocèse de Grenoble, apparemment autorisé par ses supérieurs, a fait savoir alors au public, par l'intermédiaire des journaux, que le pape avait retiré le décret afin d'éviter des tracasseries aux évêques; que néanmoins l'intention et la volonté du pape subsistaient, lui-même le déclarant; que puisqu'il n'y avait plus officiellement de décret, il n'y avait non plus ni publication ni exécution de décret, ni délit quelconque à dénoncer au Conseil d'État, mais seulement un acte de culte, accompli dans les limites de l'autorité épiscopale, en conformité connue avec le vœu du pontife infaillible. Le raisonnement est sophistique, mais dans ce moyen ingénieux d'éluder la loi, on voit paraître clairement la doctrine de l'entière dépendance de l'Église par rapport au pape et de son entière indépendance par rapport à l'État. Le pape, loi vivante, n'a nul besoin de décrets qui attendraient l'exéquatur des gouvernements temporels. Sa simple parole oblige immédiatement ses sujets auxquels elle est transmise.

Nous devons ici non seulement faire une grande concession aux nouveaux catholiques, mais insister fortement sur l'avantage réel, encore mal compris, que cette concession donne à notre propre thèse de la suprématie de l'État et de l'unité de pouvoir. Ces catholiques ont raison de faire observer que, depuis que le catholicisme n'est plus la religion de l'État et que l'État n'a plus de religion, ils ne sauraient eux-mêmes être tenus pour les faits d'intervention du gouvernement dans leurs affaires (l'exequatur, les autorisations diverses, les règlements en matière d'enseignement, etc.), au même respect auquel les obligeait, non sans peine encore, l'ordre politique ancien qui, d'autre part, leur prêtait le bras séculier contre l'hérésie et la libre pensée. Si, d'après eux, l'État faisait alors payer sa protection au catholicisme, au moins la lui donnait-il pleine et entière. Il ne leur faut pas moins aujourd'hui que la liberté illimitée en tous leurs agissements pour remplacer les peines qui frappaient leurs adversaires. Ils concluent de la donnée actuelle des choses que l'État ne se croyant plus appelé à les défendre de cette façon, ni compétent dans les matières de croyance et de culte, n'est pas compétent non plus pour s'inquiéter des conséquences morales et politiques d'une discipline religieuse et d'y mettre empêchement en ce qui l'intéresse et par tous les moyens du ressort légal. Or il est bien vrai que la situation est changée, beaucoup plus même que le régime du concordat ne nous a accoutumés à le voir et à le comprendre. Mais la conclusion que veulent

en tirer les nouveaux catholiques est fausse, car elle impliquerait : 1. Ou que l'État n'a nulle compétence morale, ou que les religions, sur lesquelles il n'a point de compétence directe, ne peuvent jamais, par leur discipline, être contraires à la morale sociale dont il a la charge: deux opinions dont la première est la négation même du fondement de la puissance civile et l'affirmation des prétentions extrêmes du pontificat universel; et dont la seconde est manifestement contraire aux faits. Mais c'est précisément parce que l'État ne professe aucune religion positive, qu'il possède, au nom de la morale la suprématie sur toute discipline issue d'une religion.

2• Il résulterait de la manière de raisonner des papistes que l'État n'est jamais ni en quoi que ce soit autorisé par sa nature à s'immiscer dans telles religions qu'on peut inventer (nommons par exemple le Saint-Simonisme, le mormonisme), en tant qu'elles produisent des effets civils. Or cette thèse absurde n'est point celle des papistes, elle est même évidemment contraire à leur sens; d'où il est facile de voir que, dans le fond, ils admettent bien la compétence de l'État mais seulement sous la forme de bras séculier ayant pour moteur le pape, et qu'à tout le moins ils réclament un privilège celui de la tolérance à défaut de l'appui : pouvoir civil pour leurs institutions anticiviles.

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3o Comme conséquence généralisée de l'incompétence de l'État, il faudrait que ce dernier se trouvât entièrement désarmé vis-à-vis de toutes les associations qui, à bon ou mauvais titre, et qui peut en décider? où est l'arbitre en cette hypothèse? - se poseraient en religions. Nous arrivons encore une fois à la négation de l'ordre civil ou de son indépendance et de son droit de propre conservation. C'est qu'il n'y a jamais que cela sous les prétentions du papisme. Et la reconnaissance de la suprématie morale de l'État, représentant de l'autonomie personnelle à titre universel et collectif, est l'unique solution du problème, tel qu'il se présente de nos jours.

Nous venons de traiter la question de l'exequatur en prenant ce mot dans sa plus grande extension. Nous avons reconnu que l'Etat est d'une part impuissant, et de l'autre mal fondé, sous le régime de la liberté religieuse à exercer l'ancien droit, devenu le droit selon les articles organiques, de contrôler la publication des bulles, décrets ou autres actes du Pape. Sous le point de vue des doctrines et des croyances, tout cela ne peut plus être que libre. Les superstitions catholiques ne doivent pas plus faire exception ici que ne le fait le spiritisme, lequel a des journaux à lui où il publie librement ses merveilles. Quant à l'exécution qui suit la publication, la compétence morale de l'Etat s'arrête devant les actes proprement dits de culte, mais se retrouve naturellement pour trois sortes de cas 1° les abus d'autorité contre les particuliers (1), 2o les

(1) Les art. 184 et 186 du Code pénal seraient faciles à compléter, si l'on ajoutait aux fonctionnaires des divers ordres qui y sont désignés les ecclésiastiques, où que l'auto

délits d'escroquerie que certains cultes peuvent favoriser; 3° les atteintes portées à l'ordre légal sous prétexte d'enseignement religieux ou de discipline religieuse.

On réclame avec bien peu de réflexion la séparation de l'Eglise et de l'Etat, quand on entend par là la suppression du budget des cultes en laissant le papisme s'organiser comme il veut dans l'Etat, ou plutôt hors de l'Etat et contre lui. Il résulte des principes, tels que nous venons de les établir, que la vraie séparation, accomplie déjà dans les idées, passerait dans l'ordre légal, aussitôt qu'il serait mis fin à la reconnaissance publique d'un pouvoir spirituel, à tout concordat par conséquent, — et que la loi organique des cultes ne serait plus qu'un chapitre de la loi des associations, le chapitre de celles qui prennent le titre d'églises ou de communautés religieuses. Mais la question du salaire des cultes est toute différente. Elle consiste à savoir s'il convient, à une époque donnée, en de certaines circonstances, que l'Etat rétribue des ministres des cultes, qui, suivant l'opinion la plus répandue dans la nation remplissent un office moral d'intérêt commun. Or la solution affirmative de cette question est parfaitement compatible avec la séparation dans le sens essentiel de ce mot, et a néanmoins l'avantage de conserver à l'Etat un important moyen d'exercer sur le personnel du ministère religieux une surveillance indispensable en toute hypothèse.

Nous arrivons à la partie des articles organiques qui concerne la nomination des évêques et des curés. Sur ce point comme sur celui de l'exequatur et des autorisations données à l'Église, la loi est aujourd'hui réduite à l'impuissance, en tant que restrictive des libertés du papisme; en pleine vigueur, au contraire, en tout ce qu'elle a concédé de pouvoirs à la hiérarchie ecclésiastique et à son chef suprême. Nous avons remarqué ailleurs que les évêques avaient été livrés à la discrétion du Pape par le Concordat (art. II et III)-ce qui pour le dire en passant donna lieu au schisme obscur des anticoncordataires, intéressant dans sa faiblesse mème. Ajoutons maintenant que le gouvernement renonça par le même acte et par l'art. XXXVI des Articles organiques à un ancien droit royal de faire administrer dans certains cas les diocèses sans aucune institution papale. Le grave conflit qui déjà s'éleva sous un gouvernement aussi fort et aussi absolu que l'était l'Empire, au sujet des institutions canoniques auxquelles se refusait le Pape, fait assez comprendre comment,

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rité de ceux-ci s'exerce abusivement soit dans la sphère de leurs attributions légales et de leurs associations reconnues, soit dans la sphère extra-légale des cougrégations papistes d'hommes cu de femmes. On sait assez de quels abus d'autorité nous voulons parler ici actes de séduction de mineurs, de séquestration de personnes, actes de violence à l'égard des mourants et d'excitation au fanatisme et à la haine, gouvernement intérieur des maisons de communauté où l'ail du public et des magistrats ne pénètre pas, etc. Quant aux délits d'escroquerie, l'art. 405 n'exigerait pas de grandes modifications pour devenir applicable sans difficulté aux entreprises cléricales d'exploitation de la crédulité des simples: officines de miracles, médecine imaginaire, commerce d'eaux magiques.

dans la suite, le droit de nomination des évêques par le souverain temporel est devenu ce que nous le voyons aujourd'hui, c'est-à-dire dérisoire. Au point de vue gouvernemental, il faut qu'un diocèse soit administré, et l'Etat qui persiste à nommer des sujets désagréables au Pape est dans une position plus désavantageuse que le Pape obstiné dans son refus. Il se crée des difficultés et passe aisément pour persécuteur s'il les résout tout seul, et cela en des questions qu'il peut croire d'assez mince importance pour lui dans chaque occasion particulière, quoiqu'elles importent fort dans leur ensemble. Avec d'apparentes concessions, le Pape l'emporte toujours. C'est ainsi qu'il arrive aujourd'hui même que les évêques nommés sont aussi ultramontains que si l'Etat ne les nommait pas ou n'avait aucun intérêt à les choisir autrement. On voit à quoi se réduit la principale attache des évêques au pouvoir civil. Celle que constituait le serment (art. XVIII) est abandonnée, là comme ailleurs, par suite de la condescendance impolitique du gouvernement de 1848 (1).

En revanche l'autorité des évêques a été fortement établie par les articles organiques et subsiste sans aucun déchet. Ils ont (art. IX) la direction légale du culte catholique dans leurs diocèses. Les archevêques veillent dans l'étendue de leur ressort au maintien de la foi et de la discipline et connaissent des réclamations et des plaintes portées contre leurs suffragants (XIV et XV). Tout cela comme s'il appartenait à la loi de régler et de garantir l'invariabilité d'une croyance quelconque en donnant la main à l'organisation d'une hiérarchie sacerdotale. Les curés sont nommés et institués par les évêques; ils leur sont immédiatement soumis; ils surveillent et dirigent à leur tour les desservants, et ceux-ci sont révocables par les évêques (XIX, XXX et XXI). Sous ce nom de desservants, il s'agit de l'immense majorité des pasteurs catholiques; ils perdent l'inamovibilité qu'ils possédaient jadis; et comme, d'autre part, le serment civil exigible des curés et le consentement à obtenir du gouvernement pour leur nomination (XIX et XXVI), sont devenus lettre morte, il résulte de là que le régiment du clergé, l'expression est d'un évêque - manœuvre comme un seul homme aux ordres de ses chefs dont il tient sa subsistance et à proprement parler son pain, sans être lié en aucune façon au peuple des fidèles non plus qu'au pouvoir civil, qu'il ne connaît qu'à titre de payeur public.

Tel est le régime du culte catholique que les Articles organiques, après le Concordat, ont institué. Il a produit, dans des vues impériales, césariennes, la centralisation même que le papisme pouvait le plus désirer, en toutes choses, hormis l'accomplissement final de l'autocratie spirituelle.

(1) Nous ne parlons pas de l'art. XVII qui soumettait les candidats aux évêchés à un examen sur leur doctrine, passé par devant un évêque et deux prètres, et suivi d'un rapport des examinateurs au Conseiller d'Etat chargé des affaires des cultes. Ces choses-là ont aujourd'hui un aspect tout à fait chinois. Mais le papisme n'était pas pour se laisser habiller à la Confucius.

du Pape. En ceci il n'a certes point voulu coopérer, mais il a préparé et n'a pu empêcher.

Nous ne saurions voir que des palliatifs, importants sans doute, et désirables, en attendant mieux, mais enfin des palliatifs de la maladie cléricale, dans deux mesures assez généralement réclamées aujourd'hui : 1° l'assujétissement au service militaire des jeunes gens destinés à la cléricature; 2o le rétablissement de l'inamovibilité civile et canonique de tous pasteurs ayant charge d'âme » (1). La première, outre qu'elle est juste en elle-même aurait le sérieux avantage d'abaisser la barrière qui fait du clergé un corps séparé de la nation. La seconde a pour nous l'inconvénient de se fonder sur la politique concordataire, et probablement sans offrir aucune issue pratique à cet égard. Si nous la considérons en elle-même elle est trop peu radicale. Dès que l'Etat aurait pris le parti d'ignorer le pouvoir spirituel et la hiérarchie spirituelle, et de ne voir dans les chargés d'âmes que des ministres présentés à son acceptation par des communes ou des paroisses, soit que le choix de ces dernières fût ou non dirigé par des évêques, que lui-même ne connaîtrait pas, il réglerait les conditions d'investiture temporelle les mieux adaptées à ce nouvel ordre de choses, et toutes les difficultés propres aux anciens rapports de l'Eglise et de l'Etat s'évanouiraient. Nous n'insisterons pas sur une solution qui a déjà été exposée ici.

Passons aux droits de réunion et d'association. L'esprit impérialiste des Articles organiques est accusé au plus haut point dans l'interdiction, on peut presque dire absurde, que cette loi fait aux ecclésiastiques, de se réunir, de s'éloigner de leurs siéges, et de s'occuper en commun de leurs affaires (Art. IV, XX, XXIX, XXXIV). La nécessité de l'autorisation expresse, imposée (LXII) pour l'érection d'une cure ou d'une succursale est une atteinte directe portée à la liberté des cultes. C'est d'ailleurs une limitation semblable apportée (dans les articles organiques particuliers au culte réformé) à l'extension des églises et à l'accroissement du nombre des pasteurs, qui a mis empêchement à la propagation du protestantisme depuis la Révolution, et donné lieu à tant de persécutions légalement

(1) L'inamovibilité civile dépend de l'Etat qui peut assurément refuser le traitement aux desservants nommés contre son gré par les évêques et le continuer à ceux qu'ils révoquent sans jugement ou déplacent d'une manière arbitraire. Toutefois, il faudrait en ce cas abroger l'article XXXI. Le comité des cultes de la Constituante de 1848 y avait songé. Mais ce n'est pas tout. Ce comité avait reconnu, et il est plus facile que jamais de voir que l'inamovibilité civile rencontrerait un obstacle invincible dans le désaveu même du clergé inférieur, si l'on n'obtenait en même temps du pape le rétablissement de l'inamovibilité canonique. M. Baissac (Le Concordat de 1801, p. 102 sq.) pense qu'on peut espérer cette concession et donne pour cela d'excellentes raisons de droit, au point de vue du Concordat. Mais en fait, et en l'état présent des idées papistes, nous croyons qu'il se trompe et sur cette posibilité et sur celle de passer outre, au besoin, sans être entraîné à abandonner la politique concordataire pour laquelle tout indique qu'il n'y a plus d'avenir durable en France.

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