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En 1809, un décret constate le fait de la fondation par le clergé des écoles dites petits séminaires; il la tolère en soumettant ces écoles aux règlements universitaires; il autorise leurs élèves à porter l'habit ecclésiastique. Le même décret exige des grands séminaires le diplôme de bachelier pris dans l'Université.

En 1811, des limitations sont apportées par nouveau décret à l'extension des petits séminaires. Les règlements de ces maisons doivent être faits par le Grand Maître de l'Université et son Conseil. Les élèves sont • condamnés à subir l'enseignement des lycées», ainsi que cela se dit en style épiscopal actuel.

Notons que, la même année, le conflit du pape et de l'empereur étant arrivé à l'état aigu, un concile national convoqué par ce dernier est obligé de prendre des mesures pour que le droit de nomination des évêques, qui est reconnu à l'empereur par le Concordat, ne soit pas rendu vain par les refus d'institution canoniqué de la part du pape. A ce moment, Napoléon ne trouve plus de remède aux échecs de sa déplorable politique confessionnelle que la violence envers le pontife et la pression exercée sur un clergé terrifié. Il nourrit toujours l'espérance de se faire du pape une idole soumise dans un palais qui n'ait pas l'air d'une prison. Mais il faudrait pour cela ne point cesser de vaincre, et le rêve impérial approche de sa fin.

En 1814, l'ordonnance qui institue les écoles secondaires ecclésiastiques (petits séminaires) ne fait que confirmer une grande conquête du clergé, et lui donner son plein sens, en dispensant les élèves de ces maisons de toute dépendance de l'Université (1). Ils peuvent néanmoins se présenter pour être admis bacheliers; ils n'y seront plus obligés pour entrer dans les grands séminaires et, de là, devenir des prêtres sans participation à la culture commune de leur temps. L'ancien régime est dépassé.

Il va être atteint peu à peu, et plus tard dépassé aussi sur l'autre point, celui qui concerne les congégations. En 1825, une loi autorise le rétablissement des communautés de femmes. La même année, des arrêts de la Cour royale de Paris constatent la présence des corporations d'hommes défendues et la propagation des « dangereuses » doctrines ultramontaines. Trois ans auparavant, une lettre remarquée du général des jésuites avait affirmé l'existence de cet ordre en France. En 1826, le célèbre mémoire de Montlosier, suivi de la consultation de Dupin aîné, et d'un remarquable arrêt de la Cour qui qualifie et réprouve le retour de l'ultramontanisme, tout en déclarant la police du royaume seule compétente pour le réprimer, ne sont guère que le cri d'alarme poussé contre un mouvement irrésistible. Les ordonnances de 1828 fixent, il est vrai le

(1) Sur l'immoralité foncière de ces établissements, voir la Critique philosophique, t. IX, p. 179, 246, 356 et suivantes.

nombre maximum des élèves des petits séminaires, introduisent d'autres limitations importantes, et excluent les congréganistes des chaires de ces écoles. Mais ce qui prouve que les progrès de l'organisation papiste et de son influence sociale dépendent de la politique confessionnelle inaugurée par le Concordat, et non point de la marche générale de la politique et des vicissitudes des gouvernements, c'est qu'en dépit des manifestations populaires, ces progrès se sont poursuivis sous tous les régimes; c'est que la révolution de 1830 ne put seulement pas rendre les ordonnances de la restauration efficaces, et qu'enfin la quasi-légitimité se montra plus impuissante peut-être à réprimer les usurpations cléricales que ne l'avait été la légitimité pure, qui passait pour dévouée aux intérêts des jésuites. Au reste, elle n'y travailla que fort peu et de moins en moins à mesure qu'elle avançait.

L'ère de 1830 à 1848 est remarquable par le mouvement qui ramène au giron du catholicisme une partie de la jeunesse des classes dirigeantes, par de nombreuses fondations d'ordres religieux, et par la lutte entreprise contre l'Université et son enseignement, lutte qui devait avoir de si importants résultats. On ne peut guère citer à l'actif du laïcisme, durant cette période, que l'institution, mais faible et imparfaite, de l'enseignement primaire laïque. La révolution imprévue de 1848 trouve, d'une part, un peuple qui fait bénir ses arbres de la liberté et ses locomotives par les prêtres; de l'autre, une bourgeoisie prête à se jeter dans les bras des ultramontains, affolée qu'elle est par la peur du socialisme, et décidée à se rejeter dans le passé le plus méprisé plutôt que de conjurer les dangers qui l'effraient par de sages réformes.

La loi de l'enseignement de 1850 marque un moment décisif. Sous prétexte d'une liberté dont le clergé seul a la puissance et l'usage, on livre l'éducation et l'instruction secondaire aux ennemis de l'État. En d'autres termes, on prend des mesures pour que les fonctions publiques, armée, magistrature, administration, etc., soient occupées, les professions libérales exercées par les élèves des jésuites et autres congrégations, autant qu'il sera possible à celles-ci de se concilier l'esprit des familles à une époque où la réaction oligarchique et cléricale, trop faible sur le pur terrain politique, essaie de se donner de nouveaux et solides fondements sur le terrain social. On sait quels succès ont été obtenus déjà dans cette tentative. Il s'est fait, sous le second empire, un changement considérable dans les dispositions mentales d'une bonne partie des classes lettrées, et la France s'est rapprochée de la Belgique par la division de plus en plus marquée des serviteurs intéressés du papisme et des amis de la civilisation et de l'État, au sein d'une même nation. La loi de l'enseignement secondaire a puissamment aidé à ce changement, qui frappe tous ceux qui sont assez âgés pour se souvenir de l'époque où le néochristianisme commençant, - c'est ainsi qu'on nommait alors le retour d'une fraction de la jeunesse au papisme, semblait n'être qu'un para

doxe de source romantique et archéologique. Mais depuis nous avons vu les communautés d'hommes et de femmes se multiplier, trouver sans peine un personnel dévoué et acquérir des biens immenses. Leurs progrès, très grands sous Napoléon III, grâce à la connivence impériale, se sont encore étendus depuis dix ans. La liberté de l'industrie sera bientôt menacée par les couvents, de même que la laïcité de l'enseignement est sérieusement atteinte. Pour ne nous occuper que de cette dernière, le fameux article 7, qui donne lieu à tant de débats et même à des inquiétudes en ce moment, malgré la médiocrité de sa portée, prouve à la fois et qu'on se préoccupe d'un état de choses où la Compagnie de Jésus tend à peupler de ses créatures toutes les carrières civiles et militaires, et qu'on rencontre dans l'état de l'opinion des classes dirigeantes de véritables difficultés à remédier à ce mal, à ce danger croissant.

La loi de 1850, à laquelle on ne s'attaque ainsi que timidement par un petit article de loi d'une application toute particulière, a eu pour complément logique la loi de 1875 sur l'enseignement supérieur, dont l'abrogation pure et simple paraît dépasser aussi les forces actuelles de l'opinion ou la hardiesse de nos hommes d'État. Au fond, les deux lois et les deux questions sont exactement les mêmes. D'abord, si la liberté de l'enseignement, telle que l'entendent les cléricaux et les pseudolibéraux, leurs alliés, était un principe, on ne voit pas pourquoi ce principe vaudrait moins pour conclure au droit du clergé de faire concurrence aux facultés de l'État qu'à remplacer autant qu'ils le peuvent ses lycées par des collèges de congrégations. Les universités catholiques font naturellement suite aux institutions d'enseignement secondaire catholiques. Puis, quelle raison trouver pour réserver à l'État la collation des grades, soit de tous, soit du premier seulement, et sur quoi motiver une différence? - à moins qu'on n'entende lui laisser par là le pouvoir d'écarter au besoin de ces grades, et des fonctions ou services publics dont ils ouvrent l'accès, les sujets que certains établissements auraient élevés dans de faux principes en vue de combattre la civilisation laïque et les institutions civiles? Peu de publicistes, s'il en est, ont la hardiesse de mettre en avant une telle raison; et dès lors on subordonne la question capitale d'éducation, de morale et de droit politique, à celle de l'instruction toute pure et des garanties de capacité à demander pour la collation des grades. La question ne dépend plus que de la manière de composer les jurys d'examen, et l'État ne défend plus sans peine la légitimité de son monopole à cet égard contre la proposition de tel ou tel système de jurys mixtes impartiaux et capables. Nous concluons de là que les lois de 1850 et de 1875 ne posent au législateur, aujourd'hui forcé de remonter aux principes, qu'une seule et même question; de même aussi qu'elles ont été l'une et l'autre les fruits de la propagande cléricale en faveur de la prétendue liberté de l'enseignement, et qu'elles représentent, à l'heure qu'il est, avec l'extension démesurée des congré

gations, et avec l'habitude prise par le clergé, tolérée par l'État, de la violation des articles organiques sur presque tous les points, les résultats d'une réaction commencée au lendemain même du Concordat, et sur laquelle il est plus que temps d'aviser.

Nous avons voulu donner une idée générale, en ce qui touche la France, de cette réaction, qui est l'un des traits caractéristiques de notre siècle. Il nous reste à examiner en détail la situation actuelle par rapport à l'application des Articles organiques, et les moyens soit de parer à leur insuffisance, soit de remédier à leur désuétude réelle. (A suivre.) RENOUVIER.

UN PROBLÈME D'ÉDUCATION.

(Voyez les no 34, 36, 37 et 40 de la Critique philosophique.)

M. Louis Ménard ne se trouvant pas pleinement satisfait des diverses solutions données au problème d'éducation qu'il a posé, nous envoie la sienne dans l'article qu'on va lire, où il achève le récit et le dialogue par lui commencés et qui pourrait, nous écrit-il, être intitulé: La religion de la famille.

- A quoi bon, mère? Gardez vos espérances, si elles adoucissent vos regrets. Quant à moi, vous le savez, je ne crois qu'aux lois inflexibles de la nature, et malheureusement la mort est une de ces lois. Ne me forcez pas à souffler sur vos rêves. Il a pu m'arriver quelquefois d'opposer les graves arguments de la raison à cette consolante mythologie, mais ce n'est pas en présence de la mort qu'on discute la douce chimère de l'immortalité.

Et de quoi parlerions-nous, Pierre, si ce n'est de notre douleur commune? Ni toi ni moi ne pouvons penser à autre chose qu'à celle qui vient de nous quitter. Si, comme je le crois sincèrement elle est là qui nous écoute, elle voit combien nous l'aimions l'un et l'autre, et peut-être, par des voies inconnues, m'inspirera-t-elle la force de te persuader.

- Ah! pauvre bonne mère, si nos morts pouvaient nous répondre, il y a longtemps qu'ils auraient dissipé nos angoisses, car ce n'est pas pour nous que nous essayons de croire à une autre vie. Sans notre ardent désir de les revoir, qui voudrait recommencer au delà du tombeau ? C'est bien assez d'une fois. Pour moi, je suis las, j'ai soif du sommeil éternel, et sans me croire plus mauvais qu'un autre, je sais bien que je ne vaux pas la peine d'être conservé.

-

Et ton enfant, Pierre?

Vous resterez près de lui, et s'il pleure son père et sa mère, vous lui persuaderez qu'il les retrouvera.

Je suis bien vieille, et quand je serai partie à mon tour, qui sera là pour lui dire : « chaque fois que tu fais quelque chose de mal, il y a quelqu'un qui te voit et qui pleure; quelqu'un que tu aimais bien, et qui

t'aimait bien ». Voyons, Pierre, n'est-ce pas la pensée des morts qui nous conduit, qui nous préserve, qui nous éclaire? Sans leur souvenir et leurs exemples, qui donc nous soutiendrait dans les luttes de la vie? Il y a bien des précipices et des fondrières, le long de ce rude sentier de l'ascension. Mais nous évoquons nos morts, et ils nous tendent la main. Tu sais, Pierre, que personne n'est sûr d'être toujours au-dessus de toutes les épreuves; s'il te vient un jour la tentation de faire une chose que tu regretterais plus tard d'avoir faite, tu te diras: «Que me conseillerait-elle, si elle était ici, près de moi?» Et en effet, alors, elle y sera. Hélas! c'est de la poésie, cela, bonne mère. Les morts n'existent plus que dans notre mémoire, et nous avons raison de les pleurer:

Est-ce que tu sais ce que c'est que l'existence? On ne le dirait pas, car tu parais la confondre avec la vie, cette chose mobile, fugitive et changeante que, dans la langue de tes philosophes, on appelle, je crois, le Devenir. Qu'y a-t-il de commun entre l'enfant que tu étais autrefois, l'homme que tu es aujourd'hui et le vieillard que tu seras demain ? Les éléments de ton corps se renouvellent, les traits de ton visage changent avec les années; tes sentiments et tes idées, tes craintes et tes espérances ne sont plus les mèmes, et sans la mémoire, si tu revoyais ton passé, tu ne te reconnaîtrais pas. Mais quand la vie s'est envolée, la mort nous fait entrer dans l'existence immobile; elle la compose de toutes nos actions, bonnes ou mauvaises. Ce que nous avons été dans la vie, nous le serons à jamais dans le souvenir des vivants.

Mon fils est si jeune, qu'il oubliera bien vite. Je ne me souviens plus de mon aïeul, qui est mort quand j'avais cet âge-là. Le pauvre petit n'a pas eu le temps de connaître sa mère ; il n'aura pas cette protection bienfaisante du souvenir.

Celle qui aurait veillé sur lui si elle avait vécu se servira de nous pour le guider dans la vie. N'est-ce pas à elle que tu penseras chaque fois que tu donneras un conseil à cet enfant? Quant à moi..... Voyons, Pierre, laisse-moi le bercer avec ce que tu appelles mes contes de vieille femme. Ce que je lui dirai, elle le lui aurait dit, j'en suis sûr, si tu étais parti le premier. Les femmes savent parler aux enfants la seule langue qu'ils puissent comprendre. Plus tard, tu lui expliqueras la loi austère du devoir, et il recevra tes leçons sans rejeter les miennes. Les premières fleurs qui ont germé sur le sol vierge de la conscience laissent un parfum qui ne s'évapore jamais. Tu sais que tous les hommes, même les meilleurs, peuvent être arrêtés par le doute dans les carrefours de la vie. La nuit est si noire qu'on cherche au ciel une étoile. Ton fils traversera comme les autres ces heures mauvaises où tout nous abandonne. Ne veux-tu pas qu'il puisse dire : Oma bonne mère, viens à mon secours? »

A quoi bon ces prières à qui ne peut plus nous entendre?

En es-tu bien sûr? Au-delà des horizons de la science, il n'est pas

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