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venue, amenant d'abord le protestantisme et l'agitation religieuse, puis les philosophes, les sceptiques, les libres penseurs, finalement la Révolution française? Est-ce que la théologie pouvait se soustraire à la métaphysique, et la métaphysique à la science? Est-ce que le cycle de la vraie philosophie, identique à la science, n'était pas maintenant complet, embrassant l'ensemble des phénomènes naturels ? Est-ce que la sociologie n'était pas constituée? Quand la sociologie, enfin constituée, venait suppléer définitivement à toute théologie comme à toute métaphysique, résoudre définitivement le problème de l'enseignement et de l'éducation, pouvait-on se préoccuper des collèges qu'allaient fonder les jésuites et des progrès que, grâce à la loi de 1850, le jésuitisme allait faire dans les classes dirigeantes? Il s'agissait bien, en vérité, des classes dirigeantes ! Est-ce que les jours de la réaction n'étaient pas comptés? Est-ce que le pouvoir exécutif ne devait pas bientôt passer aux mains des prolétaires? Et l'avénement politique du peuple pouvait-il manquer de susciter des gouverneurs capables, par la généralité de leurs idées et la générosité de leurs sentiments, de comprendre et de goûter les conseils de la philosophie positive, et prêts à les appliquer au développement de la seule instruction publique vraiment importante, de l'instruction primaire?

C'était, remarquons-le, la fondation récente de la sociologie qui inspirait à M. Littré cette naïve confiance dans l'avenir. Là était le centre du système, le point où s'attachait sa foi, sa passion. Là était la chimère qui détournait son regard de la réalité. Son plan d'éducation, que les hommes d'État finiraient bien par adopter un jour pour clore la révolution moderne, lui faisait prendre en pitié l'alliance légale des deux sœurs immortelles. Ce plan d'éducation dépendait entièrement de la sociologie. C'était la sociologie qui indiquait les conditions à remplir et les méprises à éviter. Ce qu'il fallait éviter, c'était de mettre l'enseignement moral au commencement, au sortir de la première enfance, et l'enseignement scientifique à la fin, à l'âge où le jeune homme réclame les véritables instructions pour entrer dans la vie. Les conditions à remplir étaient de donner pour base à l'éducation les sciences, et pour sommet la morale, non plus fondée « sur une théologie qui s'évanouit », mais sur la connaissance réelle de l'ensemble des choses, et immédiatement sur la sixième et dernière science, c'est-à-dire sur l'étude des lois historiques découvertes par Auguste Comte. Ainsi, tout, dans l'éducation positiviste, reposait sur ces prétendues lois, et tout s'écroulait, si l'on devait les considérer comme formant un système particulier, plus ou moins ingénieux, et non une véritable science. Tel était le soutien que M. Littré entendait donner à la morale; et c'était pour lui donner ce soutien qu'il prescrivait de ne l'enseigner qu'après l'histoire, qu'il interdisait de l'enseigner aux enfants! (A suivre.) F. PILLON.

UN PROBLÈME D'ÉDUCATION.

(Voyez les n° 34 et 36 de la Critique philosophique.)

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La Critique philosophique vient de poser à ses lecteurs une question bien grave; une question qui, sans doute, n'a pu manquer déjà de préoccuper anxieusement nombre d'entre eux. Elle m'a fort préoccupé moi-même; mais je ne pense pas qu'elle souffre une réponse catégorique. Que faut-il dire à un enfant? Il n'y a pas à cet égard de règle qui soit bonne pour tous les cas. Le catholicisme et le positivisme (qui croient que les actes sont tout, et qu'en conséquence il s'agit, n'importe comment, d'amener les individus à dire ou à faire la bonne chose) - peuvent seuls ignorer cela. Quand on regarde aux âmes, on sait que l'effet moral d'une parole dépend bien moins de ce qu'elle énonce que des sentiments qui l'animent. Les mêmes mots peuvent éveiller chez celui qui les entend l'esprit de droiture ou l'esprit de fraude, l'esprit de malice ou l'esprit de respect.

A mon sens, c'est seulement par rapport aux questions sur lesquelles nous en restons au doute qu'il est légitime et salutaire pour nous de faire intervenir la prudence qui calcule ce qu'il convient de dire. Si nous sommes certains de ne pas croire à une autre vie, — j'entends si nous sommes certains, non pas que la négation de la vie future est l'opinion qui nous semble la meilleure à exprimer, mais qu'elle est réellement notre conclusion, et qu'il ne reste pas en nous de sentiment qui la contredise, alors nous n'avons pas à hésiter. Il faut dire à l'enfant comme à l'homme Non, je ne crois pas à une seconde vie; non, je ne crois pas à un autre monde où tu puisses revoir ta mère.

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La source du bon silence comme de la bonne parole est le souci de rester fidèle à ce que l'on pense vraiment tous les jours, d'exprimer sans plus ni moins l'état total de son âme.

Mais, même dans les limites entre lesquelles s'étend pour nous le doute, il y a une distinction à faire. J'indiquerai ma pensée par une comparaison qui, ici, est presque une raison. Combien de problèmes politiques sont restés insolubles par suite de la confusion d'idées que le mot loi entretient encore dans les intelligences! A combien de maux, à combien de funestes alternatives les hommes se sont condamnés faute de distinguer nettement la loi qui commande et la loi qui défend! Une loi qui enjoint un acte si petit qu'il soit, ordonne par là même aux individus une chose qu'ils doivent faire envers et contre leur sentiment du vrai et du juste: elle les force à violer leur conscience, ou elle les habitue à n'avoir aucune conviction à eux, et à n'être gouvernés que par leurs penchants, leurs craintes et leurs appétits personnels. Au contraire, la loi qui se borne à défendre respecte absolument la liberté des esprits, et elle contribue même à développer chez tous le sentiment de la responsabilité. Elle dit à chacun : En raison de ceux qui t'entourent, tu t'abstiendras

de ceci ou de cela. Par là elle rappelle à chacun qu'il a à compter avec son prochain, et en même temps elle lui laisse le droit de n'agir et de ne parler que suivant sa conscience; c'est-à-dire, elle lui laisse la liberté de devenir un être moral, un vivant qui se fait ses croyances par son propre esprit, et sa conduite par ses croyances.

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Ce n'est pas impunément que l'on peut confondre et employer à tort et à travers deux instruments pareils, l'un qui moralise et l'autre qui dégrade, à moins d'être mis au service d'une impérieuse nécessité. En fait, c'est seulement parce que les esprits ne les distinguaient pas, parce qu'ils n'avaient pas la crainte constante de l'un et le respect constant de l'autre, que le monde a été enfermé tant de siècles entre la dictature et l'anarchie, qu'il a été voué à ne pas voir d'autre moyen d'ordre que la réglementation, et d'autre moyen d'émancipation que le dérèglement.

Et bien, dans le périmètre de notre doute, c'est à la loi qui défend qu'il s'agit de soumettre notre langue. La morale, à proprement parler, n'a nullement trait à ce que nous devons nous proposer. Il n'y a pas d'il faut pour les volontés: elles dépendent toujours de nos sentiments, de nos désirs, de notre manière d'être. Quand on met son devoir à soutenir une certaine cause, à propager une opinion donnée, à poursuivre un but plutôt qu'un autre, on peut être généreux, on peut être mû par une noble intention; mais, en définitive, on ne reconnaît d'autre obligation que celle d'aimer sa propre volonté, et de chercher sa propre satisfaction en faisant triompher ses propres vues. « Tu ne tueras pas, tu ne mentiras pas, tu ne manqueras pas de respect à tes parents, » voilà le type de la morale authentique : elle consiste à avoir peur de faire du mal, à sentir, quelle que soit notre idée du bon et du désirable, que nos paroles portent coup sur autrui; que, une fois sorties de notre bouche, nous ne pouvons plus les arrêter dans leurs conséquences, et à ne pas les laisser sortir avant de nous être demandé si elles ne produiront pas des effets funestes.

Lorsqu'on a affaire surtout à de jeunes esprits ou à des hommes simples, il faut prendre garde. Nous ne pouvons pas empêcher que nos enfants ne soient au moral des fils de leur pays et de leur temps. Malgré nous, la tradition régnante, la voix d'une tante, les puissances qui sont dans l'air, font pénétrer chez eux des croyances qui, malgré nous également, se rattachent étroitement à toute la morale publique, qui, dans leur esprit aussi, s'amalgament avec toutes leurs notions morales, et qui après tout représentent un des principaux liens de la société où ils doivent vivre. Nous donner le plaisir d'attaquer une conviction que nous ne partageons pas, de nous en railler quand elle nous provoque, est facile, trop facile même. Mais comment notre élève comprendra-t-il nos paroles? Est-ce à notre propre conclusion qu'elles le conduiront, ou n'ébranleront-elles pas chez lui ce que nous serions désolé de lui en

lever? On ne saurait trop se persuader que par des mots on 'ne crée pas une pensée dans un autre esprit. Les mots ont surtout la puissance de détruire ils tournent la vanité d'un enfant contre une opinion qu'il a reçue; mais, ce qui remplacera l'opinion détruite, ce sont ses dispositions à lui qui en décident, ce sont ses propres mobiles que nous avons fait jouer à notre insu. En énonçant une idée qui résulte de tout notre passé, nous ne pouvons pas communiquer les pourquoi et les quoique qui l'accompagnent chez nous; et il nous est encore plus impossible de donner à l'enfant la capacité de concevoir tout ce que nous concevons. Cela est terrible à penser: tandis que l'impression qui nous a poussé à parler s'efface, ce que nous avons dit opère sans fin; peut-être avonsnous perverti une âme qui en pervertira d'autres. Nous voulions seulement arracher une mauvaise herbe, et ce qui pousse à sa place, c'est un arbre empoisonné semé par un mauvais esprit public.

Tout cela ne signifie pas que, dans nos paroles, nous devions jamais dépasser la mesure de nos convictions. Si j'étais l'homme indiqué par M. Ménard, ce n'est pas au moment où l'enfant pleurerait devant le lit de mort de sa mère que j'exprimerais mes doutes sur la vie à venir, — mais je ne craindrais pas de dire plus tard : C'est une douce pensée que l'espoir de revoir ceux qu'on a perdus; je voudrais être assuré qu'on se retrouve en effet.

Et si j'inclinais plutôt à croire en une autre vie, je ne dirais pas : Il faut y croire; je dirais : J'y crois, je l'espère.

THE FORTNIGHTLY REVIEW.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE MARS 1879.

J. MILSAND.

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Premières impres-
Chapitres sur le

L'exacte histoire de la guerre des Zoulous, par J. Morley; sions de la nouvelle République, par Frédéric Harrisson; socialisme, par J. Stuart Mill; Un jugement américain sur la concurrence américaine, par E. Atkinson; Thomas Taine, par Conway; Le salaire d'une journée convenable de travail, par Courtney; Le parti libéral et les fermiers, par E. Bear; Les noirs et les blancs dans les États du Sud, par sir G. Campbell; L'urgence de la législation sur la banqueroute; Affaires intérieures et étrangères.

SOMMAIRE DU NUMÉRO D'AVRIL 1879.

Le choix des livres, par Frédéric Harrisson; Chapitres sur le socialisme, par J. Stuart Mill; La politique italienne, par Emile de Laveleye; - Remarques sur la guerre des Zoulous, par J. Morley; - Qu'est-ce que la monnaie ? par Henry Sidgwick; Les conventions au whist, par W. Pole; - Les noirs et les blancs dans les Élats du Sud, par sir Campbell; Les clauses introduites par M. Bright

dans l'acte sur la propriété foncière irlandaise, par W. Thornton;

Albert Fytche;

Affaires intérieures et étrangères.

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Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Imp. CH. LAMBERT, 17, rue de Paris.

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

IV.

LES LABYRINTHES DE LA MÉTAPHYSIQUE.

LE DÉTERMINISME SOCRATIQUE CHEZ DESCARTES.

La philosophie de Descartes offre un exemple des plus extraordinaires de la confusion d'idées qui peut s'introduire dans la question du déterminisme et de la liberté, et des contradictions internes auxquelles les théories du libre arbitre sont exposées. Et le cas est d'autant plus intéressant, que la renommée de ce grand génie est de celles qu'on a l'habitude de porter à l'actif des autorités qu'on invoque en faveur de la liberté humaine. Les historiens mêmes de la philosophie, qu'on pourrait croire compétents dans la question, ont coutume de s'y tromper. C'est aussi, pour ne le dire ici qu'en passant, ce qui leur est souvent arrivé à l'égard de Kant, un des plus résolus partisans de l'enchaînement indissoluble de toutes les causes, et pour qui le libre arbitre est un fait mystique en dehors du temps et étranger à l'ordre des phénomènes. Notre grand historien humoriste Michelet a fait de Descartes un pélagien, et changé ce Tourangeau en Breton pour le plus grand honneur de l'ethnologie : « Le Breton Pélage, qui mit l'esprit stoïcien dans le christianisme, et réclama le premier dans l'Église en faveur de la liberté humaine, eut pour successeurs le Breton Abailard et le Breton Descartes (1). » L'école de Victor Cousin, qui, en son éclectisme, était fort sujette à porter son choix sur les erreurs des maîtres, de préférence aux vérités, a accepté, parmi les décisions trop sommaires de la psychologie cartésienne, celle qui déclare le libre arbitre une vérité d'expérience, et n'a pas songé à se demander si d'autres déclarations, à côté de celle-ci, ne réduisaient pas la liberté morale à une pure apparence, en donnant au fond gain de cause au déterminisme. Il est vrai que les analyses approfondies ont toujours dépassé les forces de cette école.

Ce qui, dans la philosophie de Descartes, ajoute à la difficulté et à la singularité de la position de la question, c'est qu'à s'en tenir à une première thèse qu'il avance, et qui est très absolue, on croirait avoir affaire à celui de tous les penseurs qui ait jamais embrassé l'opinion du libre arbitre avec l'énergie la moins soucieuse du paradoxe. Il a même paru à

(1) Histoire de France, t. II: Tableau de la France.

CRIT. PHILOS.

VIII-12

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