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Ainsi, les caractères extraits des objets par les animaux sont en petit nombre, et toujours relatifs à leurs intérêts immédiats ou à leurs émotions. La dissociation par variation des concomitances, qui, chez l'homme, est si largement fondée sur l'association par similarité, semble trouver à peine place dans l'esprit des bêtes. Chez ces dernières, un tout de pensée suggère un autre tout, et elles se trouvent, nous ne savons pourquoi, agir de la manière qui convient à chaque cas. Le grand, le fondamental défaut de ces intelligences, paraît être une inaptitude, dans les groupes d'idées dont elles se forment, à se rompre pour se composer ensuite en un ordre inaccoutumé. Les animaux sont esclaves de la routine, asservis à la pensée sèche et tranchée. Si le plus prosaïque des êtres humains pouvait être un moment transporté dans le sensorium d'un chien, il serait effrayé du manque d'imagination qu'il y a là. Les pensées n'y appellent pas leurs semblables, mais seulement leurs consécutives habituelles. Un coucher de soleil n'y évoquera pas la métaphore de la mort d'un héros, mais bien l'idée du repas, parce que c'en est l'heure. Voilà pourquoi l'homme est le seul animal métaphysique. L'étonnement de ce que l'univers est comme il est, présuppose la notion de l'univers autre qu'il n'est; mais la bête est incapable d'une telle notion, parce que pour elle le brisement des séquences des phénomènes dans l'imagination ne fait jamais passer l'actualité à l'état fluide. Le monde est son invariable donnée dont elle ne saurait un seul instant songer à s'étonner. »

Il faut voir maintenant comment la caractéristique humaine, telle que nous la concevons, explique et résume les différents caractères qu'ont fait valoir les philosophes à l'appui de la distinction radicale de l'homme et des autres animaux. (A suivre.)

RENOUVIER.

LA PRESTATION DU SERMENT DANS L'ARMÉE.

M. Testelin a déposé, il y a quelque temps, au Sénat, un projet de loi tendant à établir la prestation du serment dans l'armée. D'après ce projet de loi, les officiers, sous-officiers et soldats devraient « jurer sur le drapeau fidélité à la République française et obéissance à la Constitution ». Un journal qui a de l'autorité, le Temps, s'est élevé vivement contre l'idée d'imposer aux militaires l'obligation d'un tel serment, disant que ce serait une mesure inutile, impolitique, blessante pour l'armée, d'ailleurs contraire à la tradition du parti républicain. Nous citons une partie de l'article.

lant jusqu'aux premiers éléments du raisonnement proprement dit. L'analyse de M. James, en posant la question d'une façon si précise, met en évidence la nécessité d'exiger des témoins et narrateurs une production de faits mieux observés, mieux dégagés et mieux accompagnés qu'ils n'ont coutume de nous en fournir. Dans l'état, tout nous incline, ainsi que M. James, à juger les explications du premier genre entièrement satisfaisantes.

Cette formalité a pour elle certaines traditions d'ordre généralement monarchique, contre lesquelles la majorité du parti républicain a tenu de tout temps à protester... Si les pouvoirs qui se sont succédé en France depuis la Révolution ont repris à leur compte cette arme désormais émoussée, c'est qu'ils n'étaient encore pénétrés sans doute ni de leur propre solidité, ni de la force du droit moderne; mais, dès qu'apparaît l'aurore nouvelle, nous voyons la République de 1848 rompre avec ces errements d'un autre âge... La réalité est qu'un tel acte n'a plus de signification, parce qu'il n'a plus ni raison d'être, ni sanction. Si l'on s'adresse à la conscience des individus, pense-t-on qu'un homme, officier ou soldat, capable de trahir le gouvernement de son pays, s'embarrassera beaucoup de la parole jurée ? Est-ce sur les sentiments particuliers que l'on veut entreprendre, et compte-t-on mettre, comme on dit, au pied du mur les militaires qui n'aiment pas la République ? Mais, nous le demandons aux promoteurs mêmes de la mesure, s'ils étaient les maîtres de placer un officier, un citoyen quelconque, entre une fausse déclaration de principes et la perte de sa carrière, auraient-ils le courage de le vouloir? C'est cependant ce qui arriverait : ou la chose sera tenue pour une simple formalité, et l'on promettra sans y regarder, ou bien on croira voir là quelque chose de plus qu'un engagement de devoir et de profession, et, en cas de refus, le gouvernement serait conduit à répondre par la destitution. La bonne politique, à défaut de considérations purement humaines, conseille-t-elle de s'exposer de gaieté de cœur à ces extrémités, dans un pays où le service militaire est aujourd'hui une dette que tout le monde paie? Car, encore une fois, toute chose sérieuse suppose la possibilité d'un refus. Fera-t-on comme sous Louis-Philippe, où nous voyons des soldats renvoyés dans leurs foyers pour ce motif? Infligera-t-on des peines disciplinaires, comme on se détermina à le faire ensuite dans le même cas sous le même règne? Mais plus grave sera la faute de prétendre méconnaître les institutions établies, plus le moyen de répression semblera disproportionné. On paraîtra désarmé vis-à-vis des soldats, et trop armé envers les officiers.

L'Empire, qui, tout en se croyant très fort, ne dédaignait pas d'éviter les difficultés, n'avait eu garde, en insistant sur ce point, de prolonger le trouble moral et les conflits d'opinions que son intronisation avait laissés derrière elle. Si l'homme extrêmement délié qui occupait à cette époque le ministère de la guerre eût été tout à fait libre, ce n'est pas lui qui aurait risqué d'ennuyer inutilement l'armée. Mais Napoléon III s'imaginait ne pouvoir accumuler assez de garanties et d'apparences autour de son principat frais éclos, et le maréchal de Saint-Arnaud s'en tira un peu en Normand. « Faites la chose tranquillement et sans éclat », s'écriait-il à ses subordonnés; et, de fait, rien ne fut plus anodin. Un état des officiers fut déposé, en triple expédition, chez le colonel de chaque régiment, ou même chez le trésorier, et là chacun, en allant émarger son mois de solde, émargea la formule, œuvre calligraphique de quelque employé aux écritures. Des soldats, point ne fut question; le ministre s'y était opposé.

Il nous paraît que la proposition Testelin, légèrement amendée, résiste fort bien aux objections qu'on vient de lire. Nous ne trouvons quelque

force qu'aux raisons opposées par l'écrivain du Temps au serment des simples soldats. Si l'on considère, d'une part, que le service militaire, envisagé chez les simples soldats, n'est pas une fonction librement choisie, mais une dette que tous les citoyens sont contraints de payer; d'autre part, qu'il leur demande, pendant qu'ils sont sous les drapeaux, une entière et constante obéissance aux ordres de leurs chefs, on conviendra qu'il s'accorde mal avec l'idée d'un serment de fidélité. Il est clair qu'ici, le refus du serment ne pourrait entraîner la destitution, c'est-à-dire le renvoi au foyer, aux occupations de la vie privée, c'est-à-dire l'exemption du service militaire. Il faudrait donc qu'il fût exigé sous des peines déterminées, à appliquer immédiatement; et, dans ce cas, l'acte de le prêter ferait partie du service même, de cette obéissance matérielle à laquelle le soldat est astreint et dressé, entrerait nécessairement dans la catégorie des actes ordinaires commandés et sanctionnés par la discipline, et perdrait ainsi, aux yeux de tous, le caractère spécial qui en fait une garantie.

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On peut d'ailleurs remarquer que les considérations historiques et juridiques, selon nous très sérieuses, alléguées par M. Testelin en faveur de sa proposition, ne se rapportent nullement aux simples soldats. M. Testelin pense que l'abolition du serment décrétée en 1848, a pu contribuer au succès du coup d'État, parce qu'elle a pu être considérée par les chefs militaires « comme un encouragement à tout oser contre les institutions républicaines ». L'hypothèse est fort plausible, fondée sur les habitudes militaires de penser et de sentir que l'on connaît bien; mais il ne parle avec raison que des chefs. Il ajoute que le prince Louis-Napoléon, ayant pu voir « combien la conscience de ses complices se trouvait allégée par l'absence de tout engagement envers la République, s'empressa de réclamer le serment de fidélité à sa personne ». C'est vrai; mais le serment ne fut alors exigé que des officiers; on ne crut utile de s'adresser qu'à ceux qui commandent. Il fait observer que le serment est particulièrement nécessaire dans notre pays, parce que notre législation militaire est la seule dans toute l'Europe qui donne aux officiers et assimilés la propriété de leur grade, et qui concède aux sous-officiers rengagés des droits presque identiques », et que « l'État, en échange de cette garantie, qui constitue pour les uns et les autres une sorte d'inamovibilité, a le devoir d'exiger une garantie corrélative », laquelle se trouve dans la prestation du serment. — Rien de plus juste; mais le motif très solide tiré de cette corrélation entre le serment et la propriété du grade disparaît évidemment, et ne peut plus être présenté lorsqu'il s'agit de ceux qui n'ont aucun grade.

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En réalité, l'accord est sur ce point facile, — le serment des officiers est le seul qui importe; et c'est le seul que l'on doive avoir en vue, le seul qu'aient sérieusement en vue ceux qui croient juste, utile, nécessaire de demander le serment à l'armée. Quand on se sert de ce terme,

l'armée, il ne faut pas oublier ce qu'il signifie. La vie propre de ce corps est dans la tête, c'est-à-dire dans les chefs, grands et petits, dans tous ceux qui ont un grade et un pouvoir, qui, ayant reçu ce grade et ce pouvoir de la confiance de l'État, en répondent à l'État sur leur honneur. Voilà ceux qui font l'armée ce qu'elle est, qui lui donnent sa conscience, qui peuvent la lier moralement à la nation, ou l'en isoler, l'en détacher, en l'élevant à une sorte d'indépendance de neutralité, sous prétexte de la tenir en dehors des luttes de partis, qui peuvent y faire régner un esprit de légalité tout négatif, tout extérieur, et très équivoque, ou lui inspirer un véritable esprit civique, un sérieux et profond sentiment de moralité constitutionnelle : voilà ceux qui doivent le serment à la République.

Et à ceux-là la République a bien le droit de réclamer le serment, précisément à cause du pouvoir qu'elle a mis en leurs mains, dont il leur est si facile d'abuser, et auquel est soumise, ou pour mieux dire livrée par la discipline toute la jeunesse nationale. Pourquoi se plaindraient-ils d'avoir à fournir cette garantie morale? En quoi cet engagement blesserait-il leur conscience, si le respect de l'autorité républicaine était dans leur conscience à la place qui convient? Et, s'ils le refusaient, comme répugnant à leurs désirs et à leurs espérances monarchiques, pourquoi voudrait-on que la République eùt souci de leur conserver leur carrière? N'est-il pas naturel qu'elle le leur demande, non seulement en vue de la stabilité gouvernementale, mais dans l'intérêt et au nom de tous les jeunes citoyens qu'elle leur assujétit, et dont elle a mission de sauvegarder les droits politiques suspendus? N'est-ce pas, en effet, l'intérêt, disons le droit des soldats, comme citoyens, de n'être commandés que par des hommes qui se sont reconnu formellement et solennellement des devoirs de soumission et de fidélité envers le pouvoir civil, envers la République? En un mot, n'est-il pas facile de voir que le serment des officiers se fonde sur les raisons mêmes que l'on invoque contre celui des soldats, c'est-àdire sur le genre d'obéissance auquel ces derniers sont condamnés par la nature du service militaire?

Nous reviendrons sur cette importante question du serment.

LA FILOSOFIA DELLE SCUOLE ITALIANE.

SOMMAIRE DU NUMÉRO D'AVRIL 1879.

F. PILLON.

L'absolu et l'esprit, lettre au comte Mamiani, par L. Ferri; La philosophie de la religion; le philosophe dans ses relations avec le dogmatisme religieux, par A. Tagliaferri; Brève note sur l'article précédent, par Mamiani; — La doctrine de la liberté selon Spencer, dans son rapport avec la morale, par R. Bobba; Sur l'idée, analyse de ses caractères, par G. Fontana; Brève note sur l'article précédent, par L. Ferri; - Bibliographie; - Périodiques de la philosophie.

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LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

I.

LES LABYRINTHES DE LA MÉTAPHYSIQUE.

LE PLUS ANCIEN CONFLIT DU DÉTERMINISME ET DU LIBRE ARBItre.

C'est avec la méthode subjective en philosophie, avec les analyses psychologiques, avec Socrate par conséquent, que commence à se poser un problème dont les termes ont bien peu varié jusqu'à ce jour, et dont les solutions contradictoires ont été défendues par des arguments toujours les mêmes. Les anciens poètes et mythologues et les philosophes des différentes écoles anté-socratiques étaient universellement fatalistes, et on a raison de dire que toute la haute antiquité classique est imbue de la croyance à un destin enchaînant toutes choses et les dieux mêmes. Il y a toutefois ici une différence entre la pensée religieuse, qui est aussi la plus commune, et la pensée philosophique, à la portée d'uu petit nombre: il n'est pas sans intérêt de la signaler. Le fatalisme religieux n'est point absolu; il s'appuie sur la forte impression d'une puissance supérieure à tout, inexorable dans ses effets, et sur le sentiment moral d'un ordre préétabli dont la divinité est à la fois le sujet soumis et l'agent : à peu près comme on s'est aussi représenté, au sein du monothéisme, un dieu nécessaire en sa nature et assujetti tout le premier aux lois fondamentales de la pensée et de l'existence. Mais l'anthropomorphisme, que n'exclut nullement ce point de vue, a d'une autre part cette conséquence: que l'on imagine les dieux comme exerçant leur liberté d'action entre certaines limites, et les hommes aussi comme pouvant jusqu'à un certain point se conformer d'eux-mêmes à la volonté des dieux, ou la contrarier et la rendre purement conditionnelle, puisque ceux-ci ordonnent, menacent et punissent. De là vient qu'Homère, par exemple, nous montre Zeus soumis au destin, mais non pas absolument, mais maître d'en modifier tels accidents internes, telles circonstances, les temps, etc., et que le même poète fait repousser au Père des dieux la responsabilité des maux des mortels, non pas pour la rejeter sur la Moira inéluctable, mais au contraire en remarquant tristement que les mortels ont coutume de mettre les dieux en cause pour des misères qui ne sont imputables ni à - 26

CRIT. PHILOS.

VIII

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