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être mis au nombre des droits naturels et des conséquences légitimes, tant de la liberté de penser que de la liberté des échanges. Quant au droit du père de famille sur l'instruction et l'éducation de son enfant mineur, tout le monde le reconnaît, quand il s'exerce directement. Or, on ne voit pas pourquoi, dans ses limites morales, ce droit ne pourrait être transmis; pourquoi cette transmission ne pourrait se faire de plusieurs familles à un même maître, auquel ces familles donneraient également leur confiance; pourquoi cette transmission ne pourrait donner naissance, par des contrats légitimes, aussi légitimes que les contrats d'apprentissage, à l'établissement d'écoles privées; pourquoi ces écoles, ouvertes au public, c'est-à-dire à tous les enfants que l'on voudrait y envoyer, tomberaient aussitôt, par une équivoque du mot public, dans le domaine de l'État, et engageraient sa responsabilité directe; pourquoi enfin il serait impossible de faire, en ces écoles, tout en leur laissant leur caractère privé, une place suffisante à la juste et nécessaire intervention de l'État, c'est-à-dire aux garanties à organiser dans l'intérêt des parents, qui peuvent être trompés et exploités, et surtout dans l'intérêt futur et en vue des droits des enfants, que les parents peuvent méconnaître.

Il restait vrai cependant que c'était, comme le disait Cousin, un suicide pour l'État libre et laïque « d'abdiquer l'autorisation préalable» sans aviser aux moyens efficaces d'y suppléer. C'est ce que sentaient vivement, en 1844, les Chambres de la monarchie constitutionnelle. Ce sentiment était lié à celui de la conservation politique. Mais la monarchie constitutionnelle sembla l'avoir emporté avec elle dans sa chute. S'il n'eût été beaucoup plus faible dans l'Assemblée constituante de 1848, c'est-à-dire chez un assez grand nombre de républicains, l'article 9 n'eût certainement pas été voté, tel qu'il était présenté et motivé par M. Dufaure, c'est-à-dire avec de simples conditions de moralité et de capacité, imposées à l'exercice de la liberté d'enseignement. D'une part, ces conditions. étaient insuffisantes en leur généralité, si, dans la loi organique qu'il y aurait à faire, on croyait devoir s'y conformer et s'y tenir, et, d'autre part, elles étaient d'une nature trop nettement déterminée pour que le législateur pût aller au delà, sans paraître faire bon marché d'un texte constitutionnel. Le danger dont on s'était si fort ému en 1844 était, en 1848, complètement oublié. L'article 9, par respect des droits du père de famille, par « égard » pour « les croyances », abandonnait l'autorisation préalable sans rien mettre à la place. Cela mesure la force qu'avait acquise, dans le court espace de quatre ans, le parti catholique, aidé de ses alliés de l'école économiste et de l'école américaine. Cette force devait grandir encore. (A suivre.)

F. PILLON.

UN ARGUMENT CLERICAL CONTRE L'ARTICLE SEPT.

On connaît l'argument qui tient la première place dans la polémique des cléricaux contre l'article 7 de la loi Ferry : le droit sacré du père de famille sur l'éducation de ses enfants. Ce qu'on sait peut-être moins, c'est qu'ils ont cherché et cru trouver dans notre Code civil un terrain solide pour défendre ce droit. Il ne s'agit plus seulement d'un principe antérieur et supérieur; voilà qu'une loi positive, de celles qui s'appliquent aux besoins sociaux permanents, couvre ces délégués des pères de famille, les Jésuites. C'est l'Univers qui a fait cette belle découverte. L'article est curieux, et, quoique déjà ancien, mérite d'être cité.

En matière d'enseignement, notre Code civil a posé le grand principe du droit naturel, principe reconnu par les lois sur la liberté d'enseignement, et que les projets Ferry violent absolument.

Ce principe est écrit à l'article 203: « Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage. l'obligation de nourrir, entretenir et ÉLEVER leurs enfants. >

Telle est la loi, tel est le droit. Hors de là, il n'y a rien dans notre législation qui se rapporte au principe de l'enseignement.

Ici, il n'est point question de l'Etat. Ce sont les parents seuls à qui incombe, non par délégation de la puissance publique, mais par le fait seul du mariage, l'obligation d'élever leurs enfants. L'État s'efface pour reconnaître que l'investiture de cette fonction ne saurait venir de lui, mais qu'elle dérive d'une autorité supérieure à la sienne, de l'autorité de Dieu même, qui, ayant institué à l'origine le mariage, l'a fait avec ses devoirs et ses droits.

Tout d'abord, ce droit primordial, imposé aux parents avec le mariage, reconnu et proclamé par la loi civile, exclut l'État. Si les parents ont le devoir d'élever leurs enfants, l'État n'a point et ne saurait alléguer pour son compte ce devoir. Or le devoir est la seule source du droit. Le devoir et le droit sont corrélatifs, et qui n'a pas de devoir n'a point de droit,

De l'obligation des parents d'élever leurs enfants découle le droit plein et entier pour eux de diriger leur éducation, de leur donner par eux-mêmes ou par d'autres l'enseignement qu'ils jugent convenable. L'instruction qu'on appelle publique est une affaire essentiellement privée, qui ne regarde que la famille. L'État ne peut intervenir que pour procurer aux parents des moyens de faire élever leurs enfants. Il lui est loisible de fonder des établissements d'instruction de tout ordre, de les réunir en université, de créer un enseignement d'État à l'usage des familles qui veulent recourir à lui. Là s'arrête son droit. Il ne saurait interdire à d'autres la faculté d'ouvrir des établissements semblables aux siens, de se mettre comme lui à la disposition des parents pour l'instruction de leurs enfants; et pourvu que les lois soient respectées, que toutes les garanties de bon ordre et, si l'on veut, d'hygiène soient données, il n'a point à s'immiscer dans les entreprises particulières d'éducation.

La liberté d'enseignement, qui est de droit naturel, est aussi de droit civil. Notre Code la consacre, par cela même qu'il fait de l'éducation des enfants

une obligation directe du mariage. Car, si le devoir d'élever les enfants ne comportait pas pour les parents le droit de les élever selon leurs intentions, ce devoir serait une tyrannie. L'État empiéterait sur l'autorité du père de famille, sur le domaine de la conscience; il détruirait la loi elle-même, si, en même temps qu'il reconnaît le devoir que le mariage crée, il refusait ou retirait les moyens de le remplir.

C'est ce que fait M. Ferry avec ses projets de loi. D'un côté, il détruit tout un ordre d'établissements d'instruction fondés pour les besoins d'une multitude de familles; de l'autre, il exclut de l'enseignement toute une catégorie de maîtres qui ont la confiance des parents. En touchant à l'exercice du droit, il ébranle le principe du devoir. Les restrictions graves que ses projets mettent à la liberté d'enseignement, portent également atteinte à l'article 203 du Code. La loi est violée dans son essence. Comment les parents, qui avaient choisi pour maîtres ou pour maîtresses de leurs enfants les membres de ces congrégations religieuses mises tout à coup hors la loi, rempliront-ils maintenant le devoir que proclame le Code, s'ils ne veulent pas confier leurs fils et leurs filles à d'autres instituteurs? L'État se fera donc juge aussi des motifs de conscience, des raisons d'éducation qui guident les préférences des familles! C'est lui qui décidera souverainement de quelle manière les parents doivent élever leurs enfants, et nul ne pourra satisfaire à cette obligation que selon le bon plaisir de l'État!

L'article qu'on vient de lire se résume dans les propositions suivantes : La liberté d'enseignement, telle que la demande le parti clérical, dérive du droit des parents; le droit des parents dérive de leur devoir, de l'obligation qu'ils ont contractée par le fait même du mariage, non de l'État, qui n'a pas de devoir à remplir, par conséquent pas de droits à exercer en matière d'éducation; le droit qu'ont les parents d'élever ou de faire élever leurs enfants, ne venant pas de l'État, ne saurait être limité par l'État.

Nous pourrions faire observer à l'écrivain de l'Univers qu'il a complètement négligé, en sa discussion, le droit de l'enfant, droit corrélatif aux devoirs de ceux qui l'ont mis au monde, droit dont l'État est le représentant et le défenseur, comme de tous les autres droits, par le caractère et le but même de la société civile. C'est ce droit de l'enfant qui répond à l'article cité, et qui en détruit la conclusion. C'est ce droit de l'enfant qui crée à l'État des devoirs, et par suite des droits gênants pour les cléricaux, et qu'ils s'efforcent d'écarter de leur chemin. C'est en vertu de ce droit de l'enfant, supposé et affirmé par le texte du Code dont l'Univers cherche à tirer parti, que l'État est fondé à intervenir pour limiter le pouvoir des parents, pour déterminer et sanctionner les obligations qu'ils ont contractées par le mariage, pour rendre, par exemple, un certain minimum d'instruction primaire légalement obligatoire. Mais nous aurons à revenir sur ce point important, qui est précisément celui du débat entre nous et le libéralisme honnête et sérieux de l'école américaine.

Nous nous bornerons aujourd'hui à une simple remarque, qui s'adresse uniquement au journaliste clérical.

La thèse qu'il a développée sur le droit d'éducation, attribué « plein et entier » aux parents de par la nature et la loi civile, si on la prenait à la lettre, si elle était posée sincèrement, sans arrière-pensée et sans réserve mentale, en sa généralité et avec toutes ses conséquences, ne serait nullement orthodoxe. N'est-ce pas celle des catholiques libéraux, celle de Montalembert et de Lacordaire? Elle n'exprime certainement pas, d'une manière exacte, la doctrine, aujourd'hui définitivement arrêtée, de l'Église catholique. Elle n'est pas conforme au Syllabus. Au moins, diraient les gardiens de la foi, a-t-elle besoin d'être expliquée et complétée pour ne pas encourir la condamnation dont le catholicisme libéral a été l'objet. Il est bon, parce que cela répond aux besoins actuels de la polémique en France, de faire grand bruit de la fonction éducatrice de la famille, laquelle se fonde sur le droit naturel et sur le droit civil, et l'on peut, sans doute, par des considérations de tactique et d'opportunité, n'envisager pour un moment la question que par ce côté-là. Mais il y en a un autre plus important, sur lequel le silence ne saurait être que provisoire. On ne doit pas oublier la fonction éducatrice de l'Église, il faut la placer à son rang, au premier rang. Il faut dépasser le point de vue du droit naturel. Dans la liberté d'enseignement, il faut, avant tout, chercher la liberté de l'Église. Voilà les vrais principes du papisme sur la matière.

Tout récemment, l'évêque d'Angers a cru devoir les rappeler en quelques mots. « Il est de droit naturel, dit-il, que le père et la mère de famille élèvent leurs enfants; après leur avoir donné la vie, qu'ils s'appliquent à former leur intelligence et leur volonté, comme ils ont soin de nourrir et de développer leur corps. S'ils ne peuvent achever cette œuvre par eux-mêmes, c'est leur droit et leur devoir de se choisir des aides et des collaborateurs qui puissent les suppléer dans une tâche si importante. D'autre part, il est de droit divin que l'Église éclaire les esprits et élève les âmes. La fonction éducatrice est renfermée dans l'idée même de l'Église, qui est avant tout et par-dessus tout un pouvoir d'enseignement et d'éducation. Ce pouvoir, elle peut l'exercer parce qu'elle a des doctrines parfaitement définies; ce pouvoir, elle doit l'exercer, parce qu'elle a pour mission de faire pénétrer ses doctrines dans toutes les âmes. Lui contester ce pouvoir, c'est lui dénier le droit à l'existence, car elle est par sa nature même une autorité enseignante. »>

Cela veut dire que la fonction éducatrice de la famille doit être subordonnée à la fonction éducatrice de l'Église, comme l'est, selon l'Église, le droit naturel au droit divin. Cela veut dire que le libre exercice de l'autorité enseignante de l'Église est le but, et que le droit des parents n'est qu'un moyen. Cela veut dire, enfin, que le droit des parents ne peut être réclamé «< plein et entier » que relativement à l'État moderne, lequel est

sans doctrines, au dire des cléricaux et des libéraux de l'école américaine, ou relativement à un État qui ne professerait pas les vraies doctrines, c'est-à-dire qui ne serait pas soumis à l'Église catholique. Supposons un État dont l'Église serait maîtresse, qui serait le pouvoir exécutif, le bras obéissant de l'Église, ou plutôt, si l'on prend le mot État dans un sens général, l'Église même, l'Église servie, dans l'ordre spirituel, par ses prêtres et ses moines, dans l'ordre temporel, par des magistrats et fonctionnaires laïques, confessés et dirigés, parfaitement dociles aux leçons de théologie et de morale de ses prêtres et de ses moines; supposons, en un mot, l'État idéal rêvé par les papistes conséquents: M. Veuillot et ses collaborateurs revendiqueraient-ils, admettraient-ils, dans un tel État, un droit général et absolu des parents sur l'éducation de leurs enfants? Diraient-ils qu'un tel Etat «< n'aurait point à s'immiscer dans les entreprises particulières d'éducation, » parce qu'il «< n'aurait point et ne pourrait alléguer pour son compte » le devoir que le mariage impose aux parents? Diraient-ils qu'un tel État serait tenu de respecter absolument la liberté des pères de famille protestants, israélites, rationalistes, et ne devrait songer à demander aux établissements où ces pères feraient élever leurs enfants que des garanties « de bon ordre et d'hygiène ».

On ne peut sans sourire faire ces questions, lorsqu'on songe à l'étrange manière dont l'Église papiste a respecté et fait respecter le grand principe du droit naturel, le droit primordial des parents », dans tous les temps et dans tous les pays où elle a pu dominer l'État, inspirer la légis-* lation, diriger la politique. Ne sait-on pas qu'elle s'est toujours arrogé le droit direct d'éducation sur les enfants qu'elle avait baptisés, droit d'éducation qui devenait droit d'enlèvement lorsque les parents des enfants baptisés n'étaient pas catholiques, si bien qu'elle se trouvait intéressée, poussée par le zèle, lorsque l'occasion se présentait, à baptiser des enfants, à l'insu et sans le consentement de leurs parents hérétiques ou juifs, afin d'acquérir et de pouvoir réclamer et exercer dans la suite le droit monstrueux qu'elle avait attaché au baptême? Qui n'a entendu parler de l'histoire de Mortara? Est-ce que cette histoire, est-ce que l'association de ces deux noms, Pie IX et Mortara, ne nous dit pas quelle est la vraie et immuable doctrine catholique sur le droit paternel d'éducation et sur la liberté d'enseignement? Quelle audace chez les journaux papistes de venir aujourd'hui, avec ces doctrines et ces traditions, qu'ils sont loin de repousser, auxquelles ils sont, en réalité, très-fidèles, soutenir, en compagnie des libéraux absolus et simplistes, le droit « plein et entier » de la famille en matière d'éducation! Quelle hypocrisie dans ce faux air de libéralisme que l'on donne à son argumentation! Quelle confiance dans l'aveuglement des lecteurs, devant qui l'on est prêt à prendre ou à quitter ce masque, selon les circonstances! Quelle force dangereuse que celle qui repose sur un si prodigieux aveuglement! - F. PILLON.

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