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AVENTURES DE VOYAGE, Nouvelle imitée de l'Italien de Malefpini.

ISIDORE, Ġentilhomme de Pavic, fe mit en voyage, fur la fin de l'automne, pour fe rendre aux invitations du Prince de Malla, fon parent & fon ami. Il s'arrêta quelques jours à Gènes, & après avoir vifité les curiofirés de cetre fuperbe ville, il réfolut de s'embarquer dans une tartane, le chemin par terre éant devenu trop dangereux à caufe des guerres civiles qui troubloient l'État. Le Patron du navire vint avant le jour l'avertir du départ. On déploya les voiles par un vent favorable. La tartane étoit pourvue de bons matelots, & ne renfermoit que fept paffagers, parmi lesquels un jeune homme d'une figure très-avantageufe couvroit de fon manteau une Dame pour la garantir du froid & de l'humidité de l'air. Les autres étoient deux femmes-dechambre & des hommes du commun. A peine cut-on fait douze milles en mer, que le vent changea, & devint fi violent que les matelots ne pouvoient fe fervir de leurs rames, ni gouverner le petit bâtiment. Ifidore engagea le Patron de débarquer à Porto! Fino; ce qu'il exécuta avec beaucoup de peine. Nos voyageurs fe réfugièrent dans

une auberge, où le noble Pavefan fit faire un grand feu, & apprêter un bon repas. Cependant le jeune homme & la Dame fe tenoient à l'écart, & fembloient n'ofer fe montrer. Il fallut les plus vives inftances du Pavefan pour les engager de fe rendre à fès offres. Quel fut fon étomement quand il vit la beauté de cette Dame! Il conçut dès-lors le plus vif intérêt pour ces aimables étran gers, & fut bientôt gagner leur confiance par fes foins obligeans. La mer continuoit d'être fi orageufe qu'elle ne permettoit pas de fe remettre en voyage. En attendant`, Ifidore & l'étranger laiffant la Dame avec l'hôteffe & les gens de l'équipage, mɔntèrent fur une éminence pour voir le fpectacle impofant des flots agités. Alors le jeune homme jerant un profond foupir, dit au Pavefan:

Seigneur, l'état déplorable où je me trouve » avec mon époufe m'arrache en le secret » de mes malheurs; mais j'espère en vous » les confiant mettre en sûreté fon honneur » & nos jours, tnenacés des plus grands dan"gers ». Daignez, répondit Ifidore, me faire part de vos craintes & de vos infortunes, & comptez que j'emploirai mes richeffes, mes amis, ma vie même, s'il le faut, à votre fervice. L'étranger encouragé par des fentimens auffi généreux, lui dit : « Vous faurez donc que je fuis le fils unique du Comte de Tolingue. Je devins éperdument amoureux de Mélanie, fille du Marquis de Magurlonne. Je n'ai rien négligé pour obte

nir fa main; mais une vieille inimitié qui fubfifte entre nos deux Maifons s'eft toujours oppofée aux fuccès de mes vœux. Informé que, pour m'ôter tout efpoir, fes parens avoient choifi pour fon époux le Chevalier de Ramufe, qu'elle ne pouvoit fouffrir, j'ai pris le parti, d'accord avec Melanie, de l'enlever de chez fon père, qui ne craignant rien de pareil, ne veilloit pas de fort près à fes actions. Une belle nuit, affifté de quatre de mes vaffaux les plus affidés, j'entrepris de la conduire en Picardie dans une Terre d'une de mes parentes, pour la fouftraire aux perfécutions de fa famille. Avec le renfort de quelques amis bien montés, nous fuivions notre route, lorfqu'au fortir d'un bois nous rencontrâmes le Comte de Rones, coufin de Mélanie, homme fier & violent, qui prétendoit aufli à fa main, mais qu'elle avoit toujours rejeté. Il étoit accompagné de gens à cheval; il avoit fans doute fait épier notre marche. Auffi-tôt qu'il nous apperçut : qu'on arrête, dit-il d'un ton impérieux, ces genslà; je veux favoir qui ils font, & où ils emmènent cette jeune perfonne. Nous fumes en même-tems inveftis de toutes parts. Perfuadé qu'avec ma foible escorte je ne pouvois réfifter à tant de monde, je crus mettre fin à cette aventure en déclarant qui nous étions, & notre deffein. Que je fus cruellement détrompé Dès que le Comte de Rones entendit mon nom, devenu encore plus furieux, il s'écria: Traítre! infâme ravisseur!

j'arrêterai tes odieux projets; tu vas périr de la mort la plus affreufe, pour fervir à jam is d'exemple aux fcélérats de ta forte! A ces mots il me porte un coup d'épée fi terrible, que, fi je n'euffe effacé le corps en me précipitant de cheval, il m'auroit tué. Mes gens me croyant mort, l'attaquèrent avec intrépidité; &, comme il étendoit le bras pour faifir aux cheveux Mélanie, ils le bleffèrent dangereufement. Le combat devint général avec ma troupe & la fienne. Sans doute que la nuit, qui s'approchoit, aura donné aux miens, qui étoient en trop petit nombre, la facilité de s'échapper. Pour moi, fongeant à fauver Mélanie, qui étoit étendue par terre fans connoiffance, je m'approchai d'elle en tremblant. Elle m'apperçoit, fe foulève, & fe précipite entre mes bras. Je lui dis d'une voix baffe & prefqu'étouffée: Idole de mon cœur, fi jamais il fallut montrer du courage & de l'agilité, c'eft à-préfent; rappelez toutes vos forces & fuivez-moi. Aufli-tôt je l'entraînai dans la forêt. Nous y courûmes longtems, jufqu'à ce que, fuccombant à la laffitude & à la détreffe, nous nous jetâmes au pied d'un arbre. Nous ne favions comment fortir de ce bois touffu, où il ne paroiffoit ni voie ni fentier; nous appréhendions de n'avoir été préservé par notre barbare deftinée, que pour devenir la proie de bêtes fauvages qui pouffoient des hurlemens affreux. Dans cette extrémité, au milieu des halliers & des ronces, nous entendimes le trépigner

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ment de quelque animal qui s'avançoit vers nous; craignant, non fans fondement, que ce ne fût quelque bêre carnacière, j'aidai Mélanie à grimper fur l'arbre, & je me mis en défenfe. heureufement que ce n'étoit qu'un mulet fort pacifique. Je l'arrêtai, mẹ doutant bien qu'il s'étoir échappé de quelque maifon ou cabane voifine; je fis defcendre ma compagne, & la plaçai fur le muletque nous laiffames aller en liberté, le prenant pour notre guide. En effet, il nous con duifit à la chaumière d'un Bûcherón, qui nous reçut avec d'autant plus de joie que nous lui ramenions fa monture, qu'il croyoit dévorée par les loups dont le bois éft rempli, Obligés de fuir précipitamment, nous avions laiffe fur le champ de bataille, équipages, argent, bijoux, il ne nous reftoit que nos habits, une chaîne d'or que j'avois au cou, & quelques pierreries. Nous fîmes le projet de paffer en Italie, & d'y demeurer inconnus jufqu'à ce que le temps, remède univerfel de tous les maux mir fin à nos misères. Le lendemain nous priâmes le Bucheron & fa femme de nous donner quelques-uns de leurs vêtemens en place des nôtres, à quoi ils acquiefcèrent volontiers dans l'efpérance du profit, car la fimplicité ruftique n'exclud point la cupidité, & l'amitié du Payfan l'aveugle rarement fur fes intérêts. Habillés en villageois, & inftruits par ces bonnes gens, qui nous accompagnerent quelque tems, de la route qu'il falloit

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