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peu cette Brochure, nous allons en donner une idée, en citant les traits les plus faillans.

L'Ouvrage eft en forme de dialogue; forme qui entraîne nécellairement des inutilités, des longueurs, des incohérences & par conféquent beaucoup d'ennui, quand elle n'eft pas foutenue de beaucoup d'efprit.

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La fcène fe paffe entre un Oronte, Gluckifte imbécille, & un Érafte, savant Piccinifte, qui finit, comme de raifon, par écrafer le Glukifte de la force de fes argumens, & le convertir par le charme de fon éloquence. Les dialogues de ce genre reffemblent trop à ces Scènes de marionettes, où le compère ne parle que pour faire briller polichinel; mais il faut convenir que l'Oronte des Entretiens n'eft pas un fin compère.

Après quelques idées générales & fort incohérentes fur la Mufique & fur l'Opéra, dont il ne nous eft pas poffible de démêler le réfultat, l'intrépide Piccinifte entreprend l'ana lyfe des cinq Opéras de M. Gluck, Scène par Scène, morceau par morceau. Ses critiques fe réduifent à une douzaine de formules auffi polies qu'ingénieufes & inftructives. Les voici toutes à peu-près.

Le chant de M. Gluck n'eft que des fuites de Scènes calquées exactement fur celles qui compofent fon récitatif, (p. 30) ou c'est même pis, (p. 31). Il eft prefque toujours pauvre, gauche, contraint & roide, (ibid.) C'est une fuite barbare de fons, ( p. 32). Ce

n'eft qu'une Mufique de placage, (p. 33 ). Il n'a qu'une expreffion de placage, (p. 35 ). C'eft un placage éternel, (p. 43 ). Tel air eft pauvre, monotone, fans goût, plein d'incohérences; cet autre eft un alliage affez gauche du ftyle de M. Gluck avec celui de Lulli; cet autre eft du dernier mauvais, ( p. 56). Toujours des repetitions auffi gauches que pauvres, (p. 57). Tout ce morceau eft d'un mef quin & d'un gauche infupportable, (p. 74). Petite Mufique, où il y a toujours quelques traces de roideur & de pauvreté, (p. 83 ). Style aride & pauvre, (p. 85 ). Les mots de placage, de pauvre, de roide & de ridicule, font repetés à chaque page, & voilà le ftyle dont on juge les cinq Opéras de M. Gluck.

Mais comme il feroit poffible d'avoir raifon dans le fond en ayant tort dans la forme, examinons quelques unes des remarques de ce grand connoiffeur; pour mieux les apprécier, nous choifirons l'analyse des morceaux les plus connus. On fe rappellera aifément le beau récitatif d'Agamemnon dans le premier Acte d'Iphigénie en Aulide, peuvent-ils ordonner qu'un père. Écoutons le Cenfeur.

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«Je fuis révolté, indigné de la platte mufique qui eft fur ces paroles, peuvent»ils ordonner qu'un père, & fur celles, je » n'obéirai point à cet ordre inhumain, qui précédent & qui fuivent le tableau princi» pal. Il me femble qu'on me transporte

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» fubitement d'une étuve de Quito au fom» met des Cordilières. Que veut dire ce » chant tout coupé en dactyles, fautillant » dès-lors, & en même-tems fi gothique & fi peu expreffif fur ces trois premiers vers? Appellerez-vous cela du chant ? Et ce fen» timent profond du désespoir & d'horreur

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qui glace le cœur d'Agamemnon, & que » tout le morceau auroit dû refpirer d'un " bout à l'autre, eft-il bien rendu par cette » fuite barbare de fons?.. Ce n'est qu'une

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mufique de placage, dictée, non par la sen» fibilité du génie, mais par le tâtonnement » d'un homme qui cherche à rendre le mot » feul, parce qu'il ne fent pas la chose. En un » mot, dans ce paffage, M. Gluck ne favoit » encore que dire fur les trois premiers vers, » a rendu foiblement le quatrième, gauche»ment le cinquième, & a déparé par ces faites le morceau principal, dont tout , l'effet eft détruit par ce qui précéde & par » ce qui fuit. »

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Je ne ferai pas au Public & à M. Gluck l'injure de juftifier la beauté de ce morceau contre cette pédanterie fcolaftique. L'expreffion naturelle & touchante qui fe trouve dans le chant des premiers vers; la répétition fi heureusement conçue & fi bien exprimée de ces mots peuvent-ils l'ordonner? Le mouvement & la vérité de déclamation que le Compofiteur a mis dans la réflexion, je n'obéirai point, &c. tout cela a été vivement fenti & uftamment applaudi. Mais

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je ferai fur une feule des phrafes que je viens de citer, trois obfervations qui mettront à portée d'apprécier l'impartialite & la justesse des autres critiques de l'Auteur. Que veut dire ce chant tout coupé en dactyles, fautillant dès-lors?

1. Si je difois, que veut dire ce vers de Virgile tout coupé en dactyles :

At pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras? un homme de Lettres fe mocqueroit de moi. Et pourquoi un Muficien ne fera-t-il pas un chant tout coupé en dactyles?

2o. Et dès-lors fautillant ! Où l'Auteur at-il pris cette belle conféquence? Le métre dactylique n'eft affûrement pas plus fautillant en mufique qu'en poësie.

3°. Ce qu'il y a de plus curieux, c'eft que ce chant n'eft nullement coupé en dactyles, comme tout le monde peut s'en convaincre aifément, & comme on l'a prouvé dans le Journal de Paris, du 11 de ce mois.

Mais rien n'eft plus plaifant que la remarque de l'Auteur, que tout l'effet de ce morceau eft détruit par ce qui précéde & par ce qui fuit. Il avoit dit un peu plus haut l'incohérence des trois chants qui le compofent en détruit l'effet & l'intérêt. Ne doit-on pas admirer l'intrépidité d'un homme qui affirme tranquillement que ces prétendus défauts détruifent l'effet d'un morceau qui a conftamment produit le plus grand effet?

On peut juger par ce feul endroit de l'efprit qui regne dans toute la brochure. Nous

ne releverons pas les obfervations du même genre que l'Auteur a prodiguées fur les quatre premiers Opéras de M. Gluck. Pour montrer notre bonne-foi, nous allons rapporter les critiques principales qu'il fait de l'Iphigénie en Tauride. Comme tout Paris vient d'entendre & entendra encore longtemps cet Opéra, nos Lecteurs feront plus à portée de juger de la valeur des objections.

L'Auteur qui ne paffe rien à M. Gluck', commence par la première note. L'ouverture, dit-il, eft liée au fujet, d'intention au moins. Voudroit-il bien nous dire comment cette tempête qui jette la confternation & la terreur parmi les Prêtreffes de Diane, & qui annonce le naufrage d'Orefte & de Pilade, n'eft liée que d'intention au sujet ?

Un menuet joli, mais affez use, est deftiné à peindre le calme. Un menuet ufe eft vraifemblablement un menuet dont le chant eft très-connu ; feroit-ce trop exiger de l'Auteur que de le prier de nous dire où ce chant a été employé, & où ce menuet a été dansé ? ·

Cette tempête n'eft qu'une fuite toujours égale de FUSÉES dans les parties de violon.... Le crefcendo qui l'annonce ne me représente qu'une traînée de poudre, dont le feu produit quelques petites explofions. On apprend par-là que M. Gluck en croyant peindre une tem pête, n'a peint qu'un feu d'artifice: fans la découverte du cenfeur, perfonne ne s'en feroit apperçu.

L'encadrement mufical de tout ce tableau le

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