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Ces deux formules, je lisais, je lirai, sont des modifications de l'existence présente ou simultanée à l'acte de la parole; elles en sont des transformations rapportées à d'autres époques; car elles portent dans leur essence le caractère commun de simultanéité qui marque le présent. Mais cette simultanéité n'est point le caractère d'une relation avec le moment de la parole, puisqu'elles en sont détachées, séparées par une distance qui n'est déterminée que par une époque à laquelle elles coïncident ou parce qu'elles précèdent ou suivent dans la période passée ou future. C'est cette relation à une époque antérieure ou postérieure à l'acte de la parole qui constitue leur caractère distinctif.

De ce caractère particulier résulte la distinction du tems absolu et du tems relatif; le premier, qui exprime l'existence absolue au moment de la parole sans aucun rapport avec quelqu'autre existence; le second qui exprime l'existence démêlée du moment de la parole et rapportée à une époque qui est séparée de l'acte de la parole par un intervalle plus ou moins déterminé.

De cette manière de considérer le tems comme absolu et relatif vont sortir les développemens du système des tems comme des conséquences lumineuses et méthodiques qui seront les preuves naturelles des principes que nous avons déduits de la nature des tems généraux du verbe. Ajoutons, à l'appui de ces notions, une réflexion du comte de Tracy dans sa Grammaire générale, sur la distinction des tems absolus et des tems relatifs.

« Le présent dans le discours, dit-il, est toujours l'instant de l'acte de la parole, et cette époque est toujours la même dans tous les discours; à la vérité, elle est perpétuellement variable; mais cela est indifférent parce que toutes les autres qui sont énoncées sont relatives à celle-là et se groupent autour d'elle.

« L'idée du présent n'est susceptible ni de plus ni de moins ainsi il ne peut y avoir qu'un tems présent à chaque mode des verbes. Le passé et le futur, au contraire, admettent divers degrés aussi les verbes dans chacune de leurs manières d'être, ont-ils ou du moins peuvent

ils avoir plusieurs tems passés et plusieurs temps futurs. » « Cette seule réflexion, ajoute-t-il, suffirait pour m'empêcher d'adopter le système des tems de Beauzée. Je respecte ses lumières plus que qui que ce soit, mais je ne comprends pas comment il n'a pas senti qu'il ne pouvait y avoir ni présent antérieur ni présent postérieur. De tels présens ne sont présens que relativement à une autre époque que celle de l'acte de la parole; et lui-même venait très-bien de prouver que c'est à celle-là que l'on doit rapporter tous les tems des verbes. »

Le présent actuel est absolu; les autres sont relatifs à des époques passées ou futures, et par conséquent ne sont plus présens, si par présent l'on doit entendre l'instant simultané à l'acte de la parole comme l'étymologie du mot le marque; présent venant de ens, entis, ancien participe de esse, et de præ, devant, tems étant devant la parole, tems placé sous l'acte de la parole.

Les autres dénominations de passé, prétérit, parfait, imparfait, plusque parfait, etc., sont encore plus vagues, plus indéterminées, plus fausses : c'est ce qui va être démontré dans la classification des tems.

TROISIÈME DIVISION GÉNÉRALE DES TEMS.

Il est donc certain que l'époque de comparaison a trois caractères distinctifs d'après ses trois sortes de positions dans la durée, lesquelles ne sont que trois manières générales d'envisager le tems comme divisé en période présente ou passée ou future. Il est manifeste que les tems sont: 1° absolus, s'ils n'indiquent d'autre rapport qu'avec l'acte de la parole, qui est le point fixe autour duquel se groupent les divers instans de la durée dans la période présente; 2° relatifs, si à leur idée primitive de relation avec l'acte de la parole, ils ajoutent l'idée déterminative de relation à une époque placée dans la période passée ou future.

Il est donc évident que les tems sont absolus dans la période présente, et qu'ils sont relatifs dans la période passée et dans la période future. Or dans chacune de ces périodes, les tems expriment trois sortes de relations :

ou de simultanéité ou d'antériorité ou de postériorité. D'où il suit que les trois espèces générales de tems se sousdivisent en trois espèces subalternes qui sont caractérisées par la position de l'époque de comparaison : 1° dans la période présente; simultané à l'acte de la parole, antérieur à l'acte de la parole, postérieur à l'acte de la parole; 2o dans la période passée, simultané à ụn passé, antérieur à un passé, postérieur à un passé; 30 dans la période future, simultané à un futur, antérieur à un futur, postérieur à un futur.

Observons que les deux dernières espèces ne sont que des modifications de la première rapportée à des époques différentes, et concluons: 1° que du simultané à la parole sortent comme des conséquences naturelles le simultané à un passé et le simultané à un futur; 20 de l'antérieur à la parole, l'antérieur à un passé et l'antérieur à un futur; 3° du postérieur à la parole, le postérieur à un passé, et le postérieur à un futur: conséquences qui seront justifiées par l'analogie des tems dans leur génération et par leurs usages dans les différens discours.

DERNIÈRE SOUS-DIVISION DES TEMS.

La dernière sous-division des tems doit se prendre dans la manière d'envisager l'époque de comparaison ou sous un point de vue général et indéterminé ou sous un point de vue spécial et déterminé.

Sous le premier aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d'existence à une époque quelconque ou déterminée sous le second aspect les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d'existence à une époque précise et déterminée.

Sous le rapport de simultanéité l'existence est coïncidente avec l'époque; mais sous les deux autres rapports, d'antériorité et de postériorité, l'existence est séparée de l'époque par une distance que l'on peut envisager d'une manière vague et générale, ou d'une manière spéciale et précise; ce qui fait distinguer les antérieurs et les postérieurs en deux classes. Dans l'une de ces classes, on

considère la distance d'une manière vague et indéterminée ou plutôt on y considère l'antériorité ou la postériorité sans aucun égard à la distance, et conséquemment avec abstraction de toute distance déterminée; dans la seconde classe, on considère la distance d'une manière précise et déterminée. De ces caractères généraux d'éloignement ou de proximité relativement à l'époque, se tire la distinction des antérieurs et des postérieurs en éloignés ou indéfinis, et en prochains ou immédiats. Les antérieurs ou les postérieurs éloignés sont des formes qui expriment l'antériorité ou la postériorité d'existence avec l'idée accessoire d'une grande distance à l'égard de l'époque de comparaison. Sous cet aspect, nous disons pour l'antériorité, j'ai lu, qui signifie il ya longtems que j'ai lu; j'avais luquand vous étes arrivé, qui signifie, il y avait longtems que j'avais lu quand vous étes arrivé, pour la postériorité, je lirai, qui signifie je dois étre longtems avant de lire, je devrai étre longtems sans lire, vous aviez díné avant que je ne lusse, qui signifie il y avait longtems que vous aviez díné quand je commençai à lire.

Les antérieurs et les postérieurs expriment encore l'antériorité et la postériorité d'existence avec l'idée accessoire d'une courte distance à l'égard de l'époque de comparaison. Sous ce nouvel aspect se trouvent ces formules, pour l'antériorité, vix legi cùm intravit, quand j'eus eu lu il entra, ou aussitôt que j'ai eu lu il est entré ; modo legi, je viens de lire, modo legeram, je venais de lire, pour la postériorité, je vais lire, jam jam lecturus sum, j'allais lire, jam jam lecturus eram, je serai sur le point de lire, jam jam lecturus ero. Les antérieurs prochains se forment par venir de ou par eu ajouté au verbe; les postérieurs prochains ou immédiats se forment par je vais ou par eu ajouté au verbe : ainsi, je viens de faire signifie il n'y a qu'un moment que j'ai fait; je vais faire, je ferai dans un moment.

La proximité et l'éloignement d'antériorité ou de postériorité ne sont point caractérisées en latin et en grec par des syllabes ajoutées au verbe : ces langues ont re

cours à des adverbes ou à des périphrases pour en préciser la valeur. L'italien, l'espagnol, l'allemand et l'anglais emploient les mêmes moyens pour correspondre à la rigoureuse précision du français. Il n'y a donc que le français qui admette des tems prochains et éloignés. Voyez le tableau du verbe en sept langues.

Les antérieurs et les postérieurs prochains sont les mêmes formes de tems que les grammairiens nomment tems surcomposés, dénomination trop vague comme prise de la forme matérielle du tems et comme impropre à exciter dans l'esprit aucune notion exacte de la nature de cette espèce de tems.

5° MODES DU CONnectif d'identité.

Nous avons dit précédemment que le connectif variable exprime la coexistence, l'identité d'existence d'une modification avec son sujet ; nous avons classé en toutes leurs espèces, les tems de cette existence intellectuelle, c'est-à-dire, l'ordre selon lequel se sont succédé dans l'esprit les idées composées de l'identité de la modification avec le sujet. Rappelons-nous encore que nous avons démêlé dans le sentiment de l'identité: 1° le produit du jugement, 2o le produit du raisonnement; c'est-à-dire, 1o le sentiment de rapport qui aperçoit seulement dans la modification une relation d'identité avec le sujet, sans rapporter cette identité à aucune époque de comparaison, 2o le sentiment moral qui démêle, abstrait cette identité de la modification et du sujet pour la rapporter à une époque de comparaison, l'acte de la parole, avec laquelle le sujet de l'identité est en relation ou de principe (première personne) ou d'objet (seconde personne) ou de moyen (troisième personne) dans la fin de la pensée. Ajoutons maintenant que ces deux manières selon lesquelles l'existence est sentic par l'esprit s'expriment dans le connectif sous deux formes distinctes qui constituent les deux modes généraux de l'identité: mode déterminé, mode abstrait ou dépouillé de détermination.

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