Page images
PDF
EPUB

tant étudié, tant rêvé, tant vieilli... Peut-être es-tu au sommet de l'Atlas... Ah! ce mot seul efface toute la beauté du paysage que j'ai sous les yeux. Les jolis myosotis sur lesquels je suis assis, la haie d'aubépine qui s'accroche à mes cheveux, la rivière qui murmure à mes pieds sous son voile de vapeurs matinales, qu'est-ce que tout cela auprès de l'Atlas?

On vient d'ouvrir l'écluse de la rivière. Un bruit de cascade, qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes, s'élève dans le silence. Mille voix d'oiseaux s'éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du rossignol; là, dans le buisson, le cri moqueur de la fauvette; là-haut, dans les airs, l'hymne de l'alouette ravie qui monte avec le soleil; l'astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s'empare de moi, de ma tête humide, de mon papier. Il me semble que j'écris sur une table de métal ardent.... Tout s'embrase, tout chante, les coqs s'éveillent mutuellement et s'appellent d'une chaumière à l'autre; la cloche du village sonne l'angelus; un paysan qui recèpe są vigne au-dessous de moi pose ses outils et fait le signe de la croix..... A genoux, Malgache! où que tu sois, à genoux! Prie pour ton frère, qui prie pour toi. (Lettres d'un voyageur.)

LE RÊVE D'UN POÈTE.

Je t'ai raconté bien des fois un rêve que je fais souvent, et qui m'a toujours laissé, après le sommeil, une impression de bonheur et de mélancolie. Au commencement de ce rêve, je me vois assis sur une rive déserte, et une barque, pleine d'amis qui chantent des airs délicieux, vient à moi sur le fleuve rapide. Ils m'appellent, ils me tendent les bras, et je m'élance avec eux dans la barque. Ils me disent : « Nous allons à.... (ils nomment un pays inconnu), hâtons-nous d'arriver. On laisse les instruments, on interrompt les chants. Chacun prend la rame. Nous abordons.... à quelle rive enchantée? Il me serait impossible de la décrire; mais je l'ai vue vingt fois, je la connais; elle doit exister quelque part sur la terre ou dans quelqu'une de ces planètes dont tu aimes à contempler la pâle lumière dans les bois au coucher de la lune. Nous sautons à terre, nous nous élançons, en courant et en chantant, à travers les buissons embaumés. Mais alors tout disparaît, et je m'éveille. J'ai recommencé souvent ce beau rêve, et je n'ai jamais pu le mener plus loin.

Ce qu'il y a d'étrange, c'est que ces amis, qui me conviennent et qui m'entraînent, je ne les ai jamais vus dans la vie réelle. Quand je m'éveille, mon imagination ne se les représente plus. J'oublie leurs traits, leurs noms, leur nombre et leur âge. Je

sais confusément qu'ils sont beaux et jeunes; hommes et femmes sont couronnés de fleurs, et leurs cheveux flottent sur leurs épaules. La barque est grande et elle est pleine. Ils ne sont pas divisés par couples, ils vont pêle-mêle se choisir, et semblent s'aimer tous également, mais d'un amour tout divin. Leurs chants et leurs voix ne sont pas de ce monde. Chaque fois que je fais ce rêve, je retrouve aussitôt la mémoire des rêves précédents où je les ai vus. Mais elle n'est distincte que dans ce moment-là; le réveil la trouble et l'efface.

Lorsque la barque paraît sur l'eau, je ne songe à rien. Je ne l'attends pas, je suis triste; et une des occupations où elle me surprend le plus souvent, c'est de laver mes pieds dans la première onde du rivage. Mais cette occupation est toujours inutile. Aussitôt que je fais un pas sur la grève, je m'enfonce dans une fange nouvelle, et j'éprouve un sentiment de détresse puérile. Alors la barque paraît au loin; j'entends vaguement les chants. Puis ils se rapprochent, et je reconnais ces voix qui me sont si chères. Quelquefois, après le réveil, je conserve le souvenir de quelques lambeaux des vers qu'ils chantent; mais ce sont des phrases bizarres et qui ne présentent plus aucun sens à l'esprit éveillé. Il y aurait peut-être moyen, en les commentant, d'écrire le poème le plus fantastique que le siècle ait encore produit. Mais je m'en garderai bien, car je serais désespéré de composer sur mon rêve, et de changer ou d'ajouter quelque chose au vague souvenir qu'il

me laisse. Je brûle de savoir s'il y a dans les songes quelque sens prophétique, quelque révélation de l'avenir, soit pour cette vie, soit pour les autres. Je ne voudrais pourtant pas qu'on m'apprêt ce qui en est, et qu'on m'ôtât le plaisir de chercher.

(Lettres d'un voyageur.)

LE POÈTE.

Cet être à la fois disgracié et privilégié qu'on appelle poète marche donc au milieu des hommes avec un profond sentiment de tristesse. Dès que ses yeux s'ouvrent à la lumière du soleil, il cherche des sujets d'admiration, il voit la nature éternellement jeune et belle, il est saisi d'une extase divine et de ravissements inconnus; mais bientôt la création inerte ne lui suffit plus. Le vrai poète aime passionnément Dieu et les œuvres de Dieu; c'est dans luimême, c'est dans son semblable qu'il voit rayonner plus distinctement et plus complétement la lumière éternelle. Il voudrait l'y trouver pure et adorer Dieu dans l'homme comme un feu sacré sur un autel sans tache. Son âme aspire, ses bras s'entr'ouvrent; dans son besoin d'amour, il fendrait volontiers sa poitrine pour y faire entrer tous les objets de son immense désir, de ses chastes sympathies; mais la laideur humaine, l'ouvrage des siècles de corruption, ne peut échapper à son œil limpide, à son regard profond. Il pénètre à travers l'enveloppe, il voit des

âmes contrefaites dans des corps splendides, des cœurs d'argile dans des statues d'or et de marbre. Alors il souffre, il s'indigne, il murmure, il gourmande. Le ciel, qui lui a fait une vue si perçante, lui a donné pour la plainte et pour la bénédiction, pour la prière et pour la menace, une voix sonore et abondante qui trahit imprudemment toutes ses angoisses. Les abus du monde lui arrachent des cris de détresse; le spectacle de l'hypocrisie brûle ses yeux d'un fer rouge; les souffrances de l'opprimé allument son courage; des sympathies audacieuses bouillonnent dans son sein. Le poète élève la voix et dit aux hommes des vérités qui les irritent.

(Lettres d'un voyageur.)

IMMORTALITÉ DE LA POÉSIE.

On dit que la poésie se meurt la poésie ne peut pas mourir. N'eût-elle pour asile que le cerveau d'un seul homme, elle aurait encore des siècles de vie; car elle en sortirait comme la lave du Vésuve, et se fraierait un chemin parmi les plus prosaïques réalités. En dépit de ses temples renversés et des faux dieux adorés sur leurs ruines, elle est immortelle comme le parfum des fleurs et la splendeur des cieux. Exilée des hauteurs sociales, répudiée par la richesse, bannie des théâtres, des églises et des académies, elle se réfugiera dans la vie bourgeoise, elle se mêlera aux plus naïfs détails de l'existence. Lasse

« PreviousContinue »