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ailés, rapprochait tout ce que Dieu semblait avoir séparé, les terres, les races, les plantes, les trésors divers. Une rame et un gouvernail lui suffirent pour mettre en commun toutes les moissons, toutes les richesses, toutes les contrées de l'univers.

Il fallut moins de trente siècles, suivant toute apparence, pour accomplir ces changements magnifiques. Au bout de ce temps, des nations s'étaient formées. L'Europe, l'Asie, l'Afrique, comptaient sur leurs communes frontières de vastes et florissants empires. La race humaine, autrefois errante et grossière, élevait maintenant, pour loger sa dépouille, les Pyramides, enfantait l'Iliade, et croyait en Dieu.

DESCRIPTION DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.

Au midi de l'isthme de Panama je trouvai la culture, les arts, les richesses qui naissent du travail de l'homme moins développés qu'au nord; mais la Providence a fait davantage pour ces régions équinoxiales où la nature, prodigue de trésors, semble avoir reculé les limites de sa puissance. Figurez-vous le baobab, ce géant de la végétation, reposant sur un tronc de cent pieds de circonférence, comme sur une tour inexpugnable, et les cimes des bois élancées dans les airs à deux cents pieds de haut. Là se balancent l'arbre à cire et le bambou, l'acajou et le campêche étalent partout leurs précieux rameaux;

des bosquets du myrte qui donne le piment tapissent les hautes régions, et, sur une échelle de sept cents lieues, le kinkina décore le flanc des Andes. Avide de produire, la terre se hérisse de cactus gigantesques, de lauriers, de daturas, d'aristoloches aux larges feuilles, d'orchidées aux vives nuances, lianes grimpantes qui courent suspendre leur parure aux escarpements des monts ou à la tige altière des arbres. Le front couvert de ces guirlandes, le cyprès, chargé de siècles, rappelle ces grands-prêtres de l'antiquité qui portaient sur leur tête blanchie une couronne de roses; et le palmier, avec sa taille élégante, qu'entourent ces festons voyageurs, se prête, mieux encore que dans les plaines de l'Asie, aux brillantes images de la galanterie orientale. Il n'est pas jusqu'aux forêts, vieilles comme la terre qui les porte, où l'œil ne voie de toutes parts s'épanouir de brillants calices.

Cependant, malgré ce luxe de couleurs et de parfums, elles étonnent, ou, pour mieux dire, elles effraient par leur caractère de grandeur et de majesté. Qui dira jamais l'horreur mystérieuse de ces profondeurs qu'animent seuls les rugissements du tapir et du cougouard; où l'écureuil, le singe qui n'est que gracieux, et celui qui, terrible, fait horreur à l'homme de sa ressemblance courent de branche en branche d'un bout de l'hémisphère à l'autre !

En présence de telles scènes, je compris que le culte druidique, dans un temps où l'Europe, vierge

encore, avait sans doute quelque chose de cette magnificence primitive, chercha la Divinité au fond des forêts, et ne permit pas d'autre sanctuaire à la loi des peuples. Mieux parée que le Mexique, cette terre enchantée ne doit pas seulement à sa Cordilière le bienfait de posséder en même temps toutes les zones. Établi à de certaines élévations, l'homme voit, du milieu des rochers qui bordent sa demeure, une Asie s'étendre à ses pieds, une Europe l'entoure, et un Groenland s'enfonce au dessus de lui dans le séjour des nuages.

Chacune de ces contrées se présente à ses regards avec les formes végétales qui la distinguent; les eaux, les bois, les airs sont peuplés des hôtes de tous ces climats jusques aux limites de la fécondité. Plus loin, des troupes de vigognes et quelquefois des chevaux, des lamas, des boeufs sauvages, perdus dans leur fuite, des lions, des ours attachés aux pas de la proie qui les égare se rencontrent, à la région des neiges éternelles, avec le sphinx et le colibri emportés par les orages. Plus loin encore, par delà le Chimboraço, règne le condor : ce roi des airs, embrassant dans son vol les climats les plus contraires, part des sables ardents du rivage pour aller sur les confins de notre atmosphère planer à des hauteurs où nos nacelles aériennes ne pourraient pas le suivre, comme s'il prenait à tâche de justifier par son essor audacieux l'allégorie païenne qui donna l'aigle pour symbole au dieu des régions éthérées. Les plateaux de Rio-Bamba,

de Quito, du Pérou sont plus élevés que celui d'Anahuac. Il n'est donné qu'aux Alpes de l'Amérique méridionale de porter des cultures, des villes, des universités florissantes, au niveau du pic de Ténériffe. Là s'élèvent les cimes les plus escarpées et les volcans les plus formidables de la terre; la se rencontrent des abîmes effroyables que le voyageur franchit sur un pont mobile de bambou; là des fleuves tout entiers roulent en cascades immenses.

Les ruines des montagnes renversées sur ellesmêmes attestent les convulsions souterraines qui les ont détruites, peut-être après les avoir formées. Tant d'imposants spectacles, au milieu desquels brillent partout l'industrie et le luxe de l'Europe, donnent à l'Amérique méridionale un caractère inexprimable de grandeur et de vie. Il semble que la nature, encore jeune et sauvage, montre dans ces contrées toute sa force, toute sa majesté première, et ne dédaigne pas d'emprunter aux arts de l'ancien monde une parure de plus.

V. HUGO.

1802.

Victor-Marie HUGO est né à Besançon en 1802. Son père, alors colonel; devint général sous l'empire; sa mère était Vendéenne de naissance et de cœur. Cette double origine explique les sympathies du poète pour les grandes choses du passé et pour les grandes pensées de l'avenir. M. Hugo débuta à qua

torze ans dans la littérature par plusieurs pièces de vers remarquables, entre autres la touchante élégie de la Canadienne, qui aujourd'hui même ne dépare point ses œuvres. A dix-sept et à dix-huit ans, il écrivit le Rétablissement de la statue de Henri IV, et Moïse exposé sur le Nil, qui est peut-être une de ses plus belles créations lyriques. En 1822, M. V. Hugo publia ses Odes et Ballades, poésie classique par la forme et empreinte du plus haut enthousiasme religieux et royaliste. Six ans après, il donna les Orientales, poésie capricieuse et fantastique, riche d'images et de coloris, peinture des mœurs orientales de l'Espagne, de la Grèce et de la Turquie d'Europe. Après cette poésie de tumulte, de bruit, parurent, en 4830, les Feuilles d'automne, poésie calme et intime, recueil de vers de famille, du foyer domestique, de la vie privée. C'est peut-être le meilleur ouvrage poétique de M. V. Hugo. Depuis, il a publié les Chants du crépuscule, peinture de la vie bruyante, sociale et politique; et les Voix intérieures, qui révèlent l'amour du poète pour la campagne et son talent de peindre le paysage. Outre ces différents recueils de vers, on doit à M. V. Hugo des romans: Han d'Islande, Bug-Jargal, le Dernier jour d'un Condamné, Notre-Dame de Paris, et les drames de Cromwell, Hernani, Marion de Lorme, Marie Tudor, le Roi s'amuse, Lucrèce Borgia, Angelo et Ruy Blas. Dans ses drames comme dans ses romans, on trouve, à côté de morceaux de génie, une foule d'invraisemblances, une violation fréquente de la vérité historique, un style défectueux, des idées étranges, du mauvais goût, et un contraste continuel entre le comique et le tragique, entre le bien et le mal, entre le beau et le laid.

M. V. Hugo est membre de l'Académie française depuis 1840.

ACCROISSEMENT SUCCESSIF DE PARIS

JUSQU'AU QUINZIÈME SIÈCLE.

Paris est né, comme on sait, dans cette vieille île de la Cité qui a la forme d'un berceau. La grève de cette île fut sa première enceinte, la Seine son pre

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