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souvent ruiné, donnant parfois tout ce qu'il avait pour racheter ses hommes; mais en revanche avide et pillard, rude en guerre et sans quartier. Comme les autres capitaines de ce temps, il préférait la ruse à tout autre moyen de vaincre, et restait toujours libre de sa parole et de sa foi. Avant la bataille, il était homme de tactique, de ressource et d'enjeu subtil; il savait prévoir et pourvoir. Mais une fois qu'il y était, la tête bretonne reparaissait : il plongeait dans la mêlée, et si loin qu'il ne pouvait pas toujours s'en tirer. Deux fois il fut pris, et paya rançon. (Histoire de France.)

SALVANDY.

1796.

Narcisse-Achille DE SALVANDY est né à Condom, en Gascogne, vers 1796. Il entra jeune au service, et se distingua dans les campagnes de 1813 et de 1814. La guerre terminée, il prit la plume et écrivit des pamphlets patriotiques où il se montrait interprète énergique de l'indignation nationale contre l'invasion étrangère. Plus tard, M. de Salvandy a publié Alonzo, ou l'Espagne contemporaine, roman historique, où l'on trouve une imagination riche, un style brillant, des peintures chaleureuses, et souvent une forte éloquence; une Histoire de Pologne, avant et sous le roi Jean Sobieski, monument de style plein de noblesse et de fermeté.

Il a écrit dans les journaux une foule d'articles et de pamphlets remplis de verve satirique.

M. de Salvandy est conseiller d'État, membre de l'Académie française, député, ambassadeur, etc.

PASSAGE DU GRAND SAINT-BERNARD

PAR BONAPARTE.

Pour frapper les grands coups qu'il prépare, Napoléon a les Hautes-Alpes à franchir; et le grand Saint-Bernard, qui de tous les points de la vaste chaîne lui livrerait de plus près le cœur de l'Italie, est aussi celui où la nature a semblé réunir le plus de difficultés insurmontables pour défendre ses forteresses contre les conquérants. Il est inaccessible à une armée... On l'a cru jusqu'à ce jour; les soldats français le croient encore. Les têtes de colonne, en se rencontrant à Martigny, s'arrêtent, étonnées, au pied de ces gigantesques boulevards. Comment pousser plus avant dans ces gorges, qui semblent murées par ces abîmes sans fond! Il faudrait longer les précipices effroyables, gravir les glaciers immenses, surmonter les neiges éternelles, vaincre l'éblouissement, le froid, la lassitude; vivre dans cet autre désert, plus aride, plus sauvage, plus désolant que celui de l'Arabie, et trouver des passages au travers de ces rocs entassés jusqu'à dix mille pieds au-dessus du niveau des mers. Il y a bien entre les escarpements et les abîmes, suspendu sur les torrents, dominé par les crêtes d'où roulent à flots les neiges homicides, et taillé dans les anfractuosités de la roche vive, un sentier qui monte pendant plusieurs lieues, raide, inégal, étroit jusqu'à n'avoir parfois

que deux pieds à peine, tournant à angles si aigus, qu'on marche droit au gouffre, et glissant, chargé de frimas, perdu, d'intervalle en intervalle, sous les avalanches. Chemin si terrible, qu'il a fallu préposer de charitables cénobites à la garde de cette rampe meurtrière, afin d'enhardir le voyageur isolé par la promesse de lui donner un chien pour guide, un fanal pour secours, un hospice pour repos et une prière pour aide ou pour funéraille. Là passera aussi une armée. Bonaparte l'a dit; il a marqué du doigt la route. Martigny et Saint-Pierre sont encombrés d'apprêts qui attestent aux soldats que leur chef a pensé à tout. Aux mulets rassemblés de toute la Suisse ont été ajoutés les traîneaux, les brancards, tous les moyens de transport que le génie de l'administration française ou les habitudes de la contrée ont pu fournir. Pendant trois jours l'armée démonte ses canons, ses forges de campagne, ses caissons. Marmont et Gassendi placent leurs bouches à feu dans des troncs d'arbres creusés, les cartouches dans des caisses légères, les affûts, les provisions, les magasins sur des traîneaux faits à la hâte ou sur ceux du pays; puis, le 17 mai, tout s'élance; les soldats montent, au cri de Vive le premier consut! à l'assaut des Alpes; la musique des corps marche en tête de chaque régiment. Quand le glacier est trop escarpé, le pas trop périlleux, le labeur trop rude, même pour ces fanatiques de gloire et de patrie, les tambours battent la charge, et les retranchements de l'Italie sont

emportés. C'est ainsi que la colonne s'étend, monte, s'attache aux crêtes des Alpes, les étreint de ses anneaux mouvants. C'est un seul corps qui n'a qu'une pensée, qu'une âme; une même ardeur, une même joie court dans les rangs; les mêmes chants apprennent aux échos de ces monts la présence, la gaieté, la victoire de nos soldats: la victoire! car voilà le sommet atteint, le drapeau tricolore arboré, le grand Saint-Bernard vaincu !... Le premier consul a promis par pièce 1,000 francs aux soldats qui se sont dévoués à cette tâche : tous refusent; ils n'acceptent pour récompense que les périls et l'Italie.

POUVOIR DE L'HOMME

SUR LA CRÉATION.

Dieu avait dit à l'homme, en le créant à sa ressemblance et le bénissant :

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« Crois et multiplie !

Remplis la terre, subjugue-la!

>> Règne sur les poissons de la mer, sur les oiseaux » du ciel, sur tous les êtres vivants qui se meuvent » sur la terre ! »

:

Dieu avait dit peu de temps s'écoula, et les créatures robustes, armées, terribles, fuyaient de toutes parts. La créature débile et nue avait su poursuivre, atteindre, dompter les monstres de l'air et ceux de l'océan. L'oiseau abattu, le poisson dévoré lui

fournissaient la plume et l'arête qui mettaient à la portée de son bras les hôtes les plus rapides des forêts. Ami dévoué, sentinelle obéissante, le chien faisait la garde à ses côtés et donnait sa vie pour sa vie. Le tigre le vêtissait de sa peau. La cavale le nourrissait de son lait et de sa chair. Le taureau, l'âne, l'éléphant, le dromadaire, domptés, formaient autour de lui en quelque sorte une famille d'esclaves, qui employaient à l'envi leur force patiente à le servir. Toute la nature vivante semblait, comme autant d'artisans dociles, n'avoir d'autre tâche que d'aplanir devant lui les obstacles, de rapprocher les distances, de lui chercher, sur la surface de la terre et dans son sein, des richesses ou des jouissances toujours nouvelles. Le chameau, le renne, le cheval, cette noble conquête, transportaient au gré de ses vœux les plus lourds fardeaux, les matériaux les plus utiles, et au besoin lui-même, d'une extrémité des continents à l'autre. Déjà le caillou lui avait donné l'étincelle qui triomphait des hivers, éclairait l'obscurité des nuits, mettait des plaines fécondes à la place des forêts immenses des premiers temps, assouplissait le fer et l'or, changeait les métaux, arrachés par lui du sein de la terre bruts et inutiles, en haches, en glaives, en charrues, plus tard en monnaies précieuses; le pin, descendu à sa voix du haut des montagnes dans le sein des mers, prenait sous ses auspices possession de l'océan, et, formant sur la face des flots comme des ponts mobiles, comme des comptoirs

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