Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

du roi, pour que les excommuniés soient absous, que les évêques suspendus soient rétablis, et que vous-même donniez raison de vos desseins contre le roi. Ce n'est pas moi, répondit Thomas, c'est le souverain pontife lui-même qui a excommunié l'archevêque d'York, et qui, seul, par conséquent, a droit de l'absoudre. Quant aux autres, je les rétablirai, s'ils veulent me faire leur soumission. - Mais de qui donc, demanda Regnault, tenez-vous votre archevêché? est-ce du roi ou du pape ? J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi. — Quoi! ce n'est pas le roi qui vous a tout donné?- Aucunement, » répondit Becket. Les Normands murmurèrent à cette réponse, traitèrent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leurs siéges et tordant leurs gants qu'ils tenaient à la main. « Vous me menacez, à ce que je crois, dit le primat; mais c'est inutilement : quand toutes les épées de l'Angleterre seraient tirées contre ma tête, vous ne gagneriez rien sur moi. Aussi ferons-nous mieux que menacer, répliqua le fils d'Ours, se levant tout à coup; et les autres le suivirent vers la porte, en criant: « Aux armes ! »

La porte de l'appartement fut fermée aussitôt derrière eux; Regnault s'arma dans l'avant-cour, et, prenant une hache des mains d'un charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte pour l'ouvrir ou la briser. Les gens de la maison, entendant les coups

[ocr errors]

de hache, supplièrent le primat de se réfugier dans l'église, qui communiquait à son appartement par un cloître ou une galerie; il ne le voulut point, et on allait l'entraîner de force quand un des assistants fit remarquer que l'heure de vêpres avait sonné. « Puisque c'est l'heure de mon devoir, j'irai à l'église, dit l'archevêque, et, faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloître à pas lents, puis marcha vers le grand autel, séparé de la nef par une grille de fer entr'ouverte. A peine il avait le pied sur les marches de l'autel, que Regnault, fils d'Ours, parut à l'autre bout de l'église, revêtu de sa cotte de mailles, tenant à la main sa large épée à deux tranchants, et criant: « A moi! à moi! loyaux servants du roi!» Les autres conjurés le suivirent de près, armés comme lui de la tête aux pieds, et brandissant leurs épées. Les gens qui étaient avec le primat voulurent alors fermer la grille du chœur, lui-même le leur défendit, et quitta l'autel pour les en empêcher; ils le conjurèrent avec de grandes instances de se mettre en sûreté dans l'église souterraine ou de monter l'escalier par lequel, à travers beaucoup de détours, on parvenait au faîte de l'édifice. Ces deux conseils furent repoussés aussi positivement que les premiers. Pendant ce temps, les hommes armés s'avançaient; une voix cria : « Où est le traître?» Becket ne répondit rien. - « Où est l'archevêque ? Le voici, répondit Becket; mais il n'y a pas de traître ici: que venez-vous faire dans la

-

maison de Dieu avec un pareil vêtement, quel est votre dessein? - Que tu meures. Je m'y résigne, vous ne me verrez pas fuir devant vos épées; mais, au nom du Dieu tout-puissant, je vous défends de toucher à aucun de mes compagnons, clerc ou laïque, grand ou petit. » Dans ce moment, il reçut par derrière un coup de plat d'épée entre les épaules, et celui qui le lui porta lui dit : « Fuis, ou tu es mort. » Il ne fit pas un mouvement; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de l'église, se faisant scrupule de l'y tuer. Il se débattait contre eux, et déclara fermement qu'il ne sortirait point, et les contraindrait à exécuter sur la place même leurs instructions ou leurs ordres. Guillaume de Tracy leva son épée, et, d'un même coup de revers, trancha la main d'un moine saxon, nommé Edward Gryn, et blessa Becket à la tête. Un second coup, porté par un autre Normand, le renversa la face contre terre; un troisième lui fendit le crâne et fut asséné avec une telle violence que l'épée se brisa sur le pavé. Un homme d'armes, appelé Guillaume Mautrait, poussa du pied le cadavre immobile, en disant : « Qu'ainsi meure le traître qui a troublé le royaume et fait insurger les Anglais ! »

(Hist. de la Conquête d'Angleterre.)

THIERS.

1797.

Louis-Adolphe THIERS est le fils d'un serrurier de Marseille. Sa grand'mère était la sœur de la mère des deux Chénier. Après de brillantes études, il alla chercher fortune à Paris. Admis à la rédaction d'un journal, il se fit remarquer par la verve et l'audace de ses articles, et par une merveilleuse facilité de style et d'intelligence. Bientôt la publication de l'Histoire de la Révolution française lui assura une des plus belles positions littéraires de l'époque. Le style, toujours simple, clair, rapide, animé, souvent pur et élégant, devient nerveux et plein de force toutes les fois que le sujet l'exige. On reproche à l'auteur de tendre vers l'école fataliste. Suivant cette école, les faits arrivés étaient inévitables, les crimes commis devaient nécessairement se commettre, les victimes ont toujours tort et les bourreaux toujours raison. C'est la justification de tous les forfaits révolutionnaires par la philosophie de l'histoire.

La révolution de 1830 a porté M. Thiers aux affaires. Il est devenu député, ministre de l'intérieur et des affaires étrangères, président du conseil, membre de l'Académie française, etc.

QUALITÉS NÉCESSAIRES A UN chef d'armée.

L'homme appelé à commander aux autres sur les champs de bataille a d'abord, comme dans toutes les professions libérales, une instruction scientifique à acquérir. Il faut qu'il possède les sciences exactes, les arts graphiques, la théorie des fortifications. Ingénieur, artilleur, bon officier de troupes, il faut

qu'il devienne en outre géographe, et non géographe vulgaire, qui sait sous quel rocher naissent le Rhin ou le Danube et dans quel bassin ils tombent, mais géographe profond, qui est plein de la carte, de son dessin, de ses lignes, de leur rapport, de leur valeur, Il faut qu'il ait ensuite des connaissances exactes sur la force, les intérêts et le caractère des peuples; qu'il sache leur histoire politique, et particulièrement leur histoire militaire : il faut surtout qu'il connaisse les hommes, car les hommes à la guerre ne sont pas des machines; au contraire, ils y deviennent plus sensibles, plus irritables qu'ailleurs, et l'art de les manier d'une main délicate et ferme fut toujours une partie importante de l'art des grands capitaines. A toutes ces connaissances supérieures, il faut enfin que l'homme de guerre ajoute les connaissances plus vulgaires, mais non moins nécessaires, de l'administrateur. Il lui faut l'esprit d'ordre et de détail d'un commis; car ce n'est pas tout que de faire battre les hommes, il faut les nourrir, les vêtir, les armer, les guérir. Tout ce savoir si vaste, il faut le déployer à la fois et au milieu des circonstances les plus extraordinaires. A chaque mouvement il faut songer à la veille, au lendemain, à ses flancs, à ses derrières; mouvoir tout avec soi, munitions, vivres, hôpitaux; calculer à la fois sur l'atmosphère et sur le moral des hommes; et tous ces éléments si divers, si mobiles, qui changent, se compliquent sans cesse, les combiner au milieu du froid, du chaud, de la faim et

« PreviousContinue »