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liberté et de virulentes apostrophes aux peuples et aux rois. Là venait l'illustre Buffon. Là se réunissaient encore des écrivains d'un vrai mérite, célèbres dans leur temps Marmontel, poète oublié, littérateur instruit et ingénieux; Chamfort, si piquant par ses mots et ses écrits; puis ces brillants auxiliaires de la littérature, ces gens d'esprit qui n'écrivaient pas, et n'en avaient peut-être que plus d'esprit. Ceux-là composaient dans les salons un bon mot, un agréable récit, une controverse quelquefois calculée d'avance, mais vivement soutenue; voilà leurs ouvrages. Souvent le bon mot, l'ingénieux paradoxe était répété l'auteur dans diverses maisons: c'étaient les éditions successives du livre.

par

On le conçoit sans peine, ce mouvement de conversation, cette joute des amours-propres, cette active circulation des idées devaient être comme autant de soufflets de forge, qui attisaient le feu d'une jeune intelligence. Il est tout simple que, douée d'une vivacité merveilleuse et toujours excitée, mademoiselle Necker ait montré, dès l'âge de douze ans, plus d'esprit que tous les gens qui faisaient de l'esprit auprès d'elle.

(Cours de littérature française.)

INDÉPENDANCE DE DUCIS.

Un trait distinctif du caractère de Ducis, c'était quelque chose de fier, de libre, d'indomptable. Ja

mais il ne porta, ne subit aucun joug, pas même celui de son siècle; car dans son siècle il fut constamment très-religieux.

Quand l'ordre social se rétablit avec pompe, lorsqu'on fit l'empire, l'homme qui voulait être la gloire publique de la France, et s'occupait d'attirer, d'absorber dans l'abîme de sa renommée toutes les célébrités secondaires, tourna les yeux vers Ducis; il voulait le faire sénateur, Ducis n'en avait nulle envie. Le maître de la France le chercha donc, et voulut l'honorer, le récompenser, l'avoir enfin. En général, il séduisait si facilement, qu'il était tout étonné de trouver quelqu'un qui osât résister, ou même échapper à ses bienfaits.

Un jour, dans une réunion brillante, il l'aborda comme on aborde un poète, par des compliments sur son génie ses louanges n'obtiennent rien en retour; il va plus loin, il parle plus nettement; il parle de la nécessité de réunir toutes les célébrités, toutes les gloires de la France, autour d'un pouvoir réparateur. Même silence, même froideur. Enfin, comme il insistait, Ducis, avec une originalité toute shaskspearienne, lui prend fortement le bras, et lui dit : « Général, aimez-vous la chasse ? » Cette question inattendue laisse le général embarrassé. « Eh » bien ! si vous aimez la chasse, avez-vous chassé quelquefois aux canards sauvages ? C'est une chasse » difficile, une proie qu'on n'attrape guère, et qui » flaire de loin le fusil du chasseur, Eh bien ! je suis

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» un de ces oiseaux, je me suis fait canard sauvage. » Et en même temps il fuit à l'autre bout du salon, et laisse le vainqueur d'Arcole et de Lodi fort étonné de cette incartade.

(Cours de littérature française.)

VOLTAIRE ÉCRIVAIN.

La longue vie de Voltaire et la continuelle activité de son génie, est un des événements de l'histoire de notre langue. Il en retardait la décadence par les qualités mêmes de son style. Il ajoute, pour ainsi dire, à la nature de cette langue celle de son esprit, si net, si juste, si facile, si rapide, si brillant de clarté. D'autres écrivains ont été plus éloquents; aucun plus français et plus cosmopolite à la fois. Aucun n'a servi davantage à la popularité de notre langue, et à cette convention tacite qui fait que, presque partout, deux hommes d'esprit, de nation diverse, qui se rencontrent, s'accordent à parler français. Cette influence de soixante années de verve et de gloire, cette parole toujours naturelle et vive, quoi qu'elle dît, ce goût moqueur, toujours armé contre l'affectation et l'enflure, n'empêchèrent pas cependant le cours inévitable des choses. Si la langue s'enrichit encore de combinaisons et de formes heureuses, si la prose surtout se dégagea parfois de quelques lenteurs, si l'étude plus générale des sciences introduisit dans l'usage plusieurs termes

• nouveaux et nécessaires, le naturel et la pureté du style s'affaiblirent. Voltaire lui-même, s'il ménageait avec un goût exquis le caractère de notre idiome, et ne le surchargeait d'aucun faux ornement, en émonda parfois le jet vigoureux, et n'en retint pas toutes les richesses. Sa langue, si correcte et si facile, a moins de nerf et de physionomie que celle du siècle précédent.

(Préface du Dict. de l'Académie.)

MILTON

COMPOSANT LE PARADIS PERDU.

Milton, libre et oublié, poursuivit avec ardeur la composition de son sublime ouvrage. Il avait alors cinquante-six ans ; il était aveugle, et tourmenté de la goutte. Une vie étroite et pauvre, de nombreux ennemis, le sentiment amer de ses illusions démenties, le poids humiliant de la disgrâce publique, la tristesse de l'âme et les souffrances du corps, tout accablait Milton; mais un génie sublime habitait en lui. Dans ses journées rarement interrompues, dans les longues veilles de ses nuits, il méditait des vers sur un sujet depuis si long-temps déposé dans son âme, et qu'avaient mûri, pour ainsi dire, tous les événements et toutes les passions de sa vie. Séparé de la terre par la perte du jour et par la haine des hommes, il n'appartenait plus qu'à ce monde mystérieux dont il racontait les merveilles. « Donne des

yeux à mon âme, » disait-il à sa muse. Il voyait en lui-même, dans le vaste champ de ses souvenirs et de ses pensées. Les fureurs du fanatisme, l'enthous'asme de la révolte, les tristes joies des partis vainqueurs, les haines profondes de la guerre civile avaient de toutes parts assailli et exercé son génie. Les chaires des églises d'Angleterre, les salles de Westminster, toutes pleines de séditions et de bruyantes menaces, lui avaient fait entendre ce cri de guerre contre la puissance, qu'il aimait à répéter dans ses chants, et dont il armait l'enfer contre la monarchie du ciel. La religion indépendante des puritains, leurs extases mystiques, leur ardente piété sans foi positive, leurs interprétations arbitraires de l'Écriture avaient achevé d'ôter tout frein à son imagination, et lui donnaient quelque chose d'impétueux et d'illimité, comme les rêves du fanatisme.

A tant de sources d'originalité il faut joindre cette féconde imitation de la poésie antique, qui nourrissait la verve de Milton. Homère, après la Bible, avait toujours été sa première lecture; il le savait presque par cœur, et l'étudiait sans cesse. Aveugle et solitaire, ses heures étaient partagées entre la composition poétique et le ressouvenir toujours entretenu des grandes beautés d'Isaïe, d'Homère, de Platon, d'Euripide. Il avait fait apprendre à ses filles à lire le grec et l'hébreu, et l'on sait que l'une d'elles, long-temps après, récitait de mémoire des vers

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