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simplicité noble et riche. Un cocher à livrée les dirigeait; un jockey, d'une figure et d'une tournure charmantes, excitait leur ardeur. De deux lieues en deux lieues, des postillons attentifs, point grossiers, point impertinents et point ivres, venaient remplacer l'attelage par des chevaux frais, toujours semblables aux premiers, et qu'on voyait de loin frapper la terre, comme pour solliciter la carrière promise à leur impatience. Quoique le trajet ne soit pas long, il n'est point de prévenances délicates dont les enchanteurs qui me conduisaient ne se soient avisés pour l'embellir. A moitié chemin, un majordome officieux m'a introduit dans un salon magnifique, où étaient servis toutes sortes de rafraîchissements: un thé limpide qui perlait dans la porcelaine; un porter écumeux qui bouillonnait dans l'argent; et, sur une autre table, des mets choisis, copieux, variés, qu'arrosait le porto. Après cela, je me suis remis en route, et les coursiers empressés... Mais il est peut-être temps de reprendre haleine, et de dire, en termes plus positifs, que l'Angleterre est le premier pays du monde pour ses chevaux, ses voitures publiques et ses auberges. L'équipage magnifique dont je viens de parler, c'était le coche; et ce caravanseraï des Mille et une Nuits, c'était un café sur le grand chemin, On comprendrait facilement, aux environs de Londres, l'erreur de don Quichotte, qui prenait les hôtelleries pour des châteaux.

De Brighton à Londres, il n'y a au fait qu'une rue

de vingt lieues, bordée de parcs, de jardins, de riantes métairies, de jolies maisons de campagne, de charmants pavillons tapissés du haut en bas d'une tenture de roses, et précédés de cours ou de terrasses toutes couvertes de frais ombrages sous lesquels dansent de jeunes filles qui donneraient des regrets à Raphaël. Le premier âge est charmant partout. Il est ravissant en Angleterre. C'est presque une rareté qu'une beauté médiocre au-dessous de seize ans.

(Promenade de Dieppe aux montagnes d'Ecosse.)

LE LOCH LOMOND.

Le lac Lomond commençait à se découvrir à ma droite et décorait un horizon immense de l'incroyable variété de ses aspects. Qu'on n'attende pas de moi l'impossible effort de le peindre.

Qui pourrait faire passer avec une encre froide, avec des mots stériles, dans l'esprit et le cœur des autres, des émotions dont on s'étonne soi-même et qu'on ne se croyait plus la force d'éprouver? Qui pourrait décrire cette méditerranée des montagnes, chargée d'îles toutes variées dans leurs formes et dans leur caractère; les unes graves, majestueuses, couvertes de noirs ombrages qui se confondent avec la couleur des eaux, car les lacs de Calédonie sont toujours les lacs noirs d'Ossian; les autres plus

tristes, plus austères encore, dressant çà et là sur leur surface quelques rochers dépouillés, à peine frappés de tons bizarres par les reflets de la lumière, ou quelques touffes de fleurs saxatiles; le plus grand nombre déployant de frais rivages, des bocages ravissants, des bouquets de futaies élevées, placés comme de grandes masses d'ombres sur le vert soyeux de la pelouse jardin délicieux où l'âme se transporte avec ravissement, et dont l'éloquente beauté parle au cœur de tous les hommes ! J'ai vu un paysan immobile devant le lac, les yeux fixes, l'esprit absorbé, à cé qu'il paraissait, dans une méditation profonde. Je me suis approché de lui. Je l'ai détourné de sa contemplation. Il m'a regardé un moment, et m'a dit en soupirant et en élevant les mains vers le ciel : Fine country (superbe pays)!

« Le lac Lomond peut être regardé en élégance, en grandeur, en variété de sites et d'effets, dit l'excellent Itinéraire de Chapmann, comme le plus intéressant et le plus magnifique de la Grande-Bretagne. » Je le regarde, moi qui ai parcouru beaucoup de pays, comme un des spectacles les plus intéressants et les plus magnifiques de la nature, et je me flatte de faire adopter cette appréciation au lecteur le moins sensible à ce genre de beautés, sans me servir d'aucun des prestiges de l'hyperbole. Qu'il se représente un lac sur lequel on compte trentedeux îles, dont un grand nombre ont plusieurs milles de longueur, et qui a son horizon borné de tous côtés

par une chaîne de montagnes dont quelques-unes ont plus de cinq cents toises d'élévation. Qu'il joigne à cette simple donnée topographique l'effet d'une végétation variée, mais toujours charmante ou sublime; celui des accidents du jour et de l'ombre dans les circuits de ces gorges profondes où le soleil paraît et disparaît à tout moment, en passant derrière les montagnes qui les embrassent; les apparences bizarres des vapeurs qui pendent à leurs sommets, dans ce pays qui a consacré, si l'on peut parler ainsi, la mythologie des nuages; les bruits singuliers des échos qui se renvoient à des distances infinies la moindre rumeur du moindre flot, et qui finissent par vous apporter je ne sais quel frémissement harmonieux, comme celui qui expire dans la dernière vibration d'une corde de harpe; la tradition des premiers temps, et, avec elle, les noms d'Ossian, de Fingal, d'Oscar, qui sont parvenus avec la mémoire de leurs faits et de leurs chants à tous les habitants de ces rivages presque aussi vivement que ceux des héros d'une époque plus rapprochée, et de ce Rob-Roy luimême, par lequel le Calédonien, ému d'une forte surprise ou d'un profond sujet de crainte, jure encore aujourd'hui comme les Latins juraient par Hercule.

(Promenade de Dieppe aux montagnes d'Écosse.)

LES SOUVENIRS DE LA VIEILLESSE.

Le plus doux privilége que la nature ait accordé à l'homme qui vieillit, c'est celui de se ressaisir avec une extrême facilité des impressions de l'enfance. A cet âge de repos, le cours de la vie ressemble à celui d'un ruisseau que la pente rapproche, à travers mille détours, des environs de sa source, et qui, libre enfin de tous les obstacles qui ont embarrassé son voyage inutile, vainqueur des rochers qui l'ont brisé à son passage, pur de l'écume des torrents qui a troublé ses eaux, se déroule et s'aplanit tout à coup pour répéter une fois encore, avant de disparaître, les premiers ombrages qui se soient mirés à ses bords. A le voir ainsi, calme et transparent, réfléchir à sa surface immobile les mêmes arbres et les mêmes rivages, on se demanderait volontiers de quel côté il commence et de quel côté il finit. Il faut qu'un rameau de saule, dont l'orage de la veille lui a confié le débris, flotte un moment sous vos yeux pour vous faire reconnaître l'endroit vers lequel son penchant l'entraîne.

Demain le fleuve qui l'attend à quelques pas l'aura emporté avec lui, et ce sera pour jamais.

Tous les intermédiaires s'effacent ainsi dans les souvenirs de la vieillesse, reposée des passions orageuses et des espérances déçues, quand les longs voyages de la pensée ramènent l'homme, de circuits.

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