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aussi les yeux vers la cime des tours; mais c'était pour admirer le vol des hirondelles qui y faisaient leurs nids. Son père, qui le voyait dans une espèce d'extase, l'attribuant à la majesté du monument, lui dit « Eh bien! Henri, que penses-tu de cela? » L'enfant, toujours préoccupé de la contemplation des hirondelles, s'écria : « Bon Dieu! qu'elles volent haut! » Tout le monde se mit à rire, son père le traita d'imbécile; mais toute la vie il fut cet imbécile, car il admirait plus le vol d'un moucheron que la colonnade du Louvre. (Ibid.)

HUMANITÉ DE BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

Un jour il trouva un malheureux chat près d'expirer dans l'égout d'un ruisseau; il était percé d'un coup de broche et poussait des cris effrayants. Ému de, pitié, il le cache sous son habit, le porte furtivement au grenier, lui fait un lit de foin, et vient lui donner à boire et à manger à toutes les heures du jour, partageant avec lui son déjeuner et son goûter, et lui tenant fidèle compagnie. Au bout de quelques semaines le pauvre animal avait recouvré la santé ; il devint alors un excellent chasseur de souris, mais si sauvage qu'il ne se montrait plus qu'à la voix de son ami, sans cependant jamais se laisser approcher. Il se promenait autour de lui, enflant sa queue, se caressant au mur, et fuyant au moindre mouvement, au bruit le plus léger. A la fois méfiant et reconnais

sant, il vit toujours un homme dans son libérateur. Bernardin de Saint-Pierre ne pouvait se rappeler cette petite aventure sans attendrissement. « Dans une de nos promenades, disait-il, je la racontai à J.-J. Rousseau; il en fut touché jusqu'aux larmes, et je crus un instant qu'il allait m'embrasser. » (Ibid.)

BERNARDIN ERMITE.

Sa confiance en Dieu, première impression de son enfance, consolation de toute sa vie, fut singulièrement exaltée par la lecture de quelques livres pieux et amusants, entre autres par la Vie des saints. Il y avait dans le cabinet de son père un énorme in-folio renfermant toutes les visions des ermites du désert. Ravi des miracles qu'il y voyait, persuadé que la Providence vient au secours de tous ceux qui l'invoquent, il crut ne plus rien avoir à craindre de ses parents et de ses maîtres, et résolut de s'abandonner à Dieu à la première occasion où il aurait à se plaindre des hommes. Cette occasion ne tarda pas à se présenter. Un jour (à cette époque il avait neuf ans), un maître d'école, chez lequel on l'envoyait étudier les éléments de la langue latine, l'ayant menacé de le fouetter le lendemain s'il ne récitait pas couramment sa leçon, il prit à l'instant même le parti de dire adieu au monde et d'aller vivre en

ermite au fond d'un bois. Le matin du jour fatal il se leva tranquillement, mit en réserve une portion de son déjeuner, et, au lieu de se rendre à l'école, il se glissa par des rues détournées et sortit de la ville. Heureux de sa liberté, sans inquiétude de l'avenir, ses regards se promenaient avec délices sur une multitude d'objets nouveaux qui lui semblaient autant de prodiges. La campagne était fraîche et riante; les bois, les prairies, les collines se déroulaient devant lui, et il se voyait avec admiration seul et libre au milieu de ce brillant horizon. Il marcha environ un quart de lieue dans un joli sentier jusques à l'entrée d'un bouquet de bois d'où s'échappait un petit ruisseau. Ce lieu lui parut un désert; il le crut inaccessible aux hommes et propre à remplir ses projets. Résolu de se faire ermite, il y passa toute la journée dans la plus douce oisiveté, s'amusant à ramasser des fleurs et à entendre chanter les oiseaux. Cependant l'appétit se fit sentir vers le milieu du jour. Son déjeuner étant achevé, il cueillit des mûres de haie, et arracha avec ses petites mains des racines, dont il fit un repas délicieux. Ensuite il se mit en prières, attendant quelque miracle de la Providence; et, se rappelant tous, les saints ermites qui dans la même position avaient reçu les secours du ciel, il lui semblait toujours qu'un ange allait lui apparaître et le conduire dans une grotte sauvage ou dans un jardin de délices. Cette agréable attente l'occupa le reste du jour. Cependant le soleil était déjà sur son

déclin, l'air se rafraîchissait insensiblement, et les oiseaux avaient cessé leur ramage. Le petit solitaire se préparait à passer la nuit sur l'herbe au pied d'un arbre, lorsqu'à l'entrée de la plaine il aperçut la bonne Marie Talbot qui l'appelait à grands cris. Son premier mouvement fut de fuir dans la forêt; mais la vue de cette pauvre fille, qui tant de fois avait essuyé ses larmes, et qui en versait en le retrouvant, l'arrêta tout court; il s'élança vers elle, et se mit aussi à pleurer.

De retour dans sa famille, son père et sa mère lui firent raconter comment il avait vécu; ensuite ils lui demandèrent ce qu'il aurait fait dans le cas où il n'eût plus rien trouvé dans les champs. Il ne manqua pas de leur répondre qu'il était sûr que Dieu l'y aurait nourri en lui envoyant un corbeau chargé de son dîner, comme cela était arrivé à saint Paul l'ermite.

(Ibid.)

BERNARDIN ET LE CAPUCIN.

La famille de Bernardin était liée avec un capucin du voisinage, homme agréable, qui s'était fait l'ami de la maison, en caressant les enfants et en leur donnant des dragées. Chaque jour il rendait visite au petit solitaire, c'est ainsi que s'appelait notre écolier depuis sa fuite dans le désert. Sa bonté captiva le cœur d'un enfant qui ne demandait qu'à aimer. Le frère Paul était un des plus amusants capucins

du monde, ayant toujours quelque histoire plaisante à raconter, et sachant à la fois éveiller et satisfaire la curiosité.

et

Sur le point de faire une tournée en Normandie, il pria M. de Saint-Pierre de lui confier son fils, auquel il promettait instruction et plaisir. Sa proposition fut accueillie avec empressement, voilà notre petit ermite devenu apprenti capucin, voyageant à pied, le bâton à la main, suivant ou précédant son guide et se croyant déjà un grand personnage. Le soir, son compagnon le conduisait soit dans un couvent, soit dans un château, soit même chez quelque riche villageois, et partout il se voyait accueilli, fêté, caressé, soupant bien, dormant bien, et prenant goût au métier. Les dames surtout, charmées de son air éveillé, ne manquaient jamais de remplir ses poches de toutes sortes de friandises pour lui faire oublier les fatigues du voyage. Malgré cette précaution, il demanda souvent à se reposer. Son guide se gardait bien alors de le contredire; mais ayant recours à la ruse, il lui montrait dans le lointain une belle forêt ou une prairie émaillée, lui promettait de s'y arrêter, puis commençait une historiette, dont l'intérêt ne manquait pas de redoubler à l'approche du but, qui, bientôt dépassé, reparaissait toujours à l'horizon sous les plus riants aspects. Ainsi, de plaisir en plaisir, d'histoire en histoire, on arrivait au gîte sans s'être aperçu de la longueur du chemin. La tournée dura quinze jours, et le petit

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