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a présenté deux fois dans le même lieu, il nous suffira de dire que le nombre des victimes immolées par le glaive surpassait de beaucoup celui des vainqueurs accourus de toutes parts pour se livrer au carnage, et que les montagnes voisines du Jourdain répétèrent en gémissant l'effroyable bruit qu'on entendait dans le temple. (Histoire des Croisades.)

L'AUDIENCE DU GRAND-VIZIR.

L'heure de l'audience approchait, des espèces d'huissiers ont introduit les plaideurs et les témoins. Ceux-ci se rangeaient en face du tribunal : les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Les Juifs, les Arméniens et les Grecs restaient placés derrière les musulmans. Les officiers des tchaoux, qui répondent à notre gendarmerie à pied, étaient chargés de maintenir l'ordre. Quelques soldats attachés à la maison du vizir occupaient l'extrémité de la salle. La séance s'est ouverte à onze heures précises. Le vizir, qui est absent de la capitale, a été remplacé par le kaïmacan. A la droite et à la gauche du kaïmacan se sont assis les deux kasi-eskers, les mollahs d'Eyoub, de Galata et de Scutari; devant lui, était le magistrat, chef de la police, chargé de poursuivre les coupables qu'il a arrêtés, et le procureurgénéral des vacoufs, qui doit, dans toutes les affaires, défendre les intérêts des mosquées; ni les juges, ni les huissiers, ni les écrivains attachés au tribunal

suprême n'ont de costume particulier, c'est le turban et le simple vêtement des ulémas.

Quand tout le monde a été placé, des acclamations se sont fait entendre en l'honneur du sultan. Alors un huissier a élevé la voix pour appeler les causes ; à mesure qu'il les appelait, un autre huissier lisait les requêtes et les placets des plaideurs; ceux-ci exposaient leurs griefs ou leurs motifs de défense; la plupart parlaient à voix basse, et paraissaient intimidés par l'apparei! de la justice. Les femmes plaidaient elles-mêmes leur cause, et, ce qui nous a étonnés, c'est que plusieurs d'entre elles s'exprimaient avec la plus grande facilité et la plus parfaite assurance. Les Francs qui avaient à plaider étaient accompagnés d'un drogman de leur nation, qui prenait pour eux la parole. Nous avons remarqué que chaque mollah prononçait dans les causes qui appartenaient à sa juridiction. Le kaïmacan entendait la sentence et la confirmait; un secrétaire assis devant les juges écrivait sur la requête de chaque plaideur le jugement qui venait d'être rendu. Ce qui m'a surpris d'abord dans cette audience solennelle, c'est le mélange des causes civiles et des causes qui sont du ressort de la police correctionnelle; après un procès sur la possession d'une maison ou d'un champ, venait une autre affaire où il était question de la bastonnade chose plus étrange encore! des malheureux qu'on venait de condamner à recevoir cent coups de bâton sur le dos, ou sur la plante des pieds, étaient

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à l'instant même traînés dans la cour du palais, où leur jugement était exécuté. Leurs cris plaintifs et la voix de celui qui comptait les coups arrivaient jusqu'à nos oreilles, et se mêlaient à la voix des juges, des huissiers et des plaideurs. On m'assura que ces sortes d'exécution se font quelquefois dans la salle de l'audience, et même pour des condamnations à mort, tant la justice turque est pressée d'en finir.

Cette audience du grand-vizir a duré deux heures, vingt-cinq ou trente affaires ont été expédiées ; notre interprète n'a pas eu le temps de nous expliquer un seul des procès que nous avons vu juger. Nous sommes sortis avec la foule des plaideurs presque tous mornes et tristes; nous avons trouvé dans la rue deux hommes qui avaient reçu la bastonnade, ils se traînaient avec peine, et regagnaient leur domicile en gémissant. Deux ou trois femmes qui avaient perdu leur procès jetaient les hauts cris et s'emportaient contre les juges; l'audacieuse vivacité de leurs plaintes contrastait avec le silence presque religieux de la foule, qui paraissait prendre à la lettre cette maxime accréditée chez les Turcs : Un doigt abattu par le glaive de la justice ne fait point de mal. (Correspondance d'Orient.)

LE NIL.

Le Nil offre aux voyageurs un merveilleux spectacle, soit qu'on ne considère que le volume de ses

eaux, soit qu'on examine les phénomènes qui accompagnent son cours. J'ai vu naguère les sources du Scamandre, les rives du Simoïs, l'embouchure du Granique, et le lit poudreux de l'Ilissus et du Céphise; tous ces fleuves si renommés n'auraient pas assez d'eau, surtout dans les chaleurs de l'été, pour remplir un des canaux du Delta; le Nil ne cesse jamais de couler, et c'est dans la saison où la plupart des sources tarissent, lorsque la terre est desséchée par des torrents de feu, que le fleuve d'Égypte enfle ses eaux et sort de son lit; le Nil, selon l'expression d'un ancien, surpasse le ciel luimême dans la distribution de ses bienfaits, car il arrose la terre sans le secours des orages et des pluies; le débordement des fleuves est presque toujours un signal de calamités, et répand ordinairement la terreur; l'inondation du fleuve d'Égypte est au contraire la source de tous les biens, et, lorsqu'il déborde, des bénédictions se font entendre sur ses rives; ses eaux bienfaisantes, sans recevoir aucun tribut du pays qu'il parcourt, suffisent à tous les besoins des campagnes et des cités, abreuvent tous les animaux, toutes les plantes, remplissent un grand nombre de canaux dont plusieurs ressemblent à des rivières, et se partagent en deux branches principales, qui vont se jeter à la mer ; non seulement les eaux du fleuve répandent la fécondité, mais le sol même qu'elles fertilisent est leur ouvrage. Vous connaissez la vénération des anciens Égyptiens pour

le Nil, qu'ils regardaient comme une émanation divine de Knouphis à la tunique bleue et à la tête de bélier; ils avaient dans leur croyance religieuse un Nil terrestre et un Nil céleste, comme, nous autres chrétiens, nous avons une Jérusalem de la terre et une Jérusalem du ciel; le culte du fleuve divin n'existe plus, mais ses bienfaits nous restent; et les peuples reconnaissants l'appellent encore le bon Nil, nom qu'on a toujours donné à la Providence.

Quelle est l'origine de ce fleuve miraculeux ? C'est une question qu'on fait en vain depuis trois ou quatre mille ans. Cette ignorance des sources du Nil a donné lieu à beaucoup de fables pleines de poésie; car tel est l'esprit de l'homme, qu'il veut toujours tout savoir, et que, pour lui, il n'y a rien de plus poétique que ce qu'il ne sait pas. De toutes les espérances qu'on avait données au monde savant, de toutes les convictions qui s'étaient formées, il ne reste aujourd'hui qu'une opinion vague et confuse qui place les sources du Nil dans le Gebel-el-Kamar, ou les montagnes de la Lune, à plus de huit cents lieux des embouchures du fleuve.

Cependant les recherches n'ont point été abandonnées, on s'occupe maintenant de nouvelles tentatives; je dois vous dire que, pour mon compte, j'attends fort paisiblement les résultats de ces grandes entreprises si les nouveaux efforts des voyageurs sont couronnés d'un plein succès, je jouirai de la découverte, et j'applaudirai de tout mon cœur à

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