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SÉGUR.

1753-1833.

Louis-Philippe, comte DE SÉGUR, fils du maréchal de Ségur, naquit à Paris. Il entra jeune dans l'armée et parvint au grade de maréchal-de-camp. 11 quitta le service pour la diplomatie, et fut envoyé à Pétersbourg et à Berlin. Sous l'empire, il fut nommé grand-maître des cérémonies, sénateur et membre de l'Académie française. Louis XVIII le créa pair de France.

Le comte de Ségur a cultivé les lettres avec succès et écrit un grand nombre d'ouvrages. Les plus connus sont des Mémoires, une Histoire Ancienne, une Histoire Romaine et une Histoire du Bas-Empire. On y remarque l'alliance d'une raison solide et d'un style plein de clarté, de grâce et d'élégance.

DÉVOUEMENT D'ÉPONINE.

Sabinus, général gaulois, s'était mis à la tête d'une insurrection de la Gaule contre Vespasien, et avait pris le titre de césar. Il fut complétement battu. Poursuivi après sa défaite, il prit congé de ses amis, renvoya ses esclaves, mit le feu à sa maison dans laquelle on crut qu'il avait péri, et se retira au fond d'une caverne, suivi de deux seuls affranchis, dont il connaissait la fidélité. Éponine, sa femme, que sa piété conjugale immortalisa, se livra au plus violent désespoir; et les éclats de sa douleur firent croire encore avec plus de certitude que son mari n'existait plus : elle voulait renoncer à une vie qui n'était qu'un

fardeau pour elle. Peu de jours après, Sabinus l'informa secrètement du lieu de sa retraite. Cette Gauloise courageuse, conservant encore l'apparence d'un chagrin qui pouvait écarter tout soupçon, partagea la captivité volontaire de son époux, s'éloigna peu à peu du monde, et s'enterra enfin pendant neuf années avec le seul être qui donnât du prix à sa vie.

Mais, soit par trahison, soit par imprudence, l'asile de cette famille infortunée fut enfin découverte : on amena devant Vespasien Sabinus, Éponine et deux enfants qui avaient reçu le jour au fond de cette grotte obscure. A leur vue, l'empereur versa des larmes; et il était prêt à céder aux nobles et touchantes prières d'Éponine. Mais les mœurs du siècle, la politique du temps, les alarmes du sénat, les conseils de ses ministres lui firent sacrifier la pitié à la raison d'État il envoya au supplice ces illustres proscrits et ne fit grâce qu'à leurs enfants. Éponine reprit sa fierté quand elle eut perdu l'espérance. « Apprends, dit-elle à Vespasien, qu'en remplissant >> mes devoirs et en prolongeant les jours de ta vic» time, j'ai goûté plusieurs années, dans l'obscurité » d'une caverne, un bonheur que l'éclat du trône ne » te fera jamais connaître. » La gloire l'accompagna sur l'échafaud; la honte et le remords restèrent près de l'empereur dans son palais.

Cet acte de cruauté, que la morale condamne et que la politique veut en vain excuser, fut la seule tache de ce règne glorieux. (Histoire romaine.)

HISTOIRE DES SEPT DORMANTS.

Sous l'empire de Décius, sept jeunes nobles d'Éphèse, chrétiens et persécutés, se cachèrent dans une caverne pour éviter la mort le tyran la fit murer. Dieu, protégeant ces jeunes martyrs, les plongea dans un profond sommeil, qui dura 187 ans (250-437), et qui finit lorsque Pulchérie et Théodose II occupaient le trône d'Orient. A cette époque, le propriétaire de la montagne où se trouvait cette caverne en fait extraire des pierres pour construire un bâtiment. Le jour pénètre dans le souterrain. Les sept dormeurs s'éveillent, croyant ne s'être reposés que quelques heures. Jamblius, l'un d'eux, se charge d'aller à la ville chercher des provisions. Il ne reconnaît plus ni l'aspect de la contrée, ni les traits de ses habitants; il approche d'Éphèse, et voit, avec autant de joie que de surprise, la croix briller sur le faîte des temples. En entrant chez un boulanger, il étala, pour le payer, plusieurs pièces de monnaie frappées au coin de Décius. Le boulanger s'en étonne, les voisins accourent, la multitude s'attroupe : on le traîne devant le juge, croyant qu'il a découvert un trésor. Son récit paraît une imposture; cependant on envoie chercher ses compagnons. La candeur de leurs réponses, les détails de l'histoire qu'ils racontent, et l'accord qui règne dans leurs discours, persuadent les plus incrédules; enfin le peuple, les ma

gistrats, l'évêque et l'empereur Théodose lui-même, convaincus que ces hommes saints sommeillaient en effet depuis près de deux siècles, s'humilient devant la puissance de Dieu, et se prosternent aux pieds des sept martyrs, qui expirent tous ensemble, après avoir donné leur bénédiction aux spectateurs de cet inconcevable prodige, (Histoire romaine.)

PIERRE-LE-GRAND ET MENZIKOW.

Le fameux Menzikow avait exposé ses jours dans un combat, et versé son sang pour défendre la vie de son maître Pierre-le-Grand. Ce favori joignait à de brillantes qualités de grands défauts : sa cupidité, comme son ambition, était sans bornes; il avait détourné à son profit de fortes sommes destinées aux besoins publics. Etant parti de Pétersbourg à la suite de l'empereur, qui se rendait avec une extrême diligence à Astracan dans le dessein de surprendre cette ville et de l'investir, il apprit en route qu'on l'avait dénoncé, et que le monarque était pleinement instruit des vols et des concussions de son ministre. Le silence et l'air sombre du prince, dont il connaissait l'inflexible sévérité, lui annoncent sa disgrâce; il se croit déjà précipité du faîte des honneurs dans l'opprobre et dans la misère; les déserts de la Sibérie, la solitude d'un long exil, la hache qui menace sa tête, frappent tour à tour son imagination; son sang s'allume, une fièvre maligne se déclare; il s'ar

rête dans une misérable chaumière, et y reste trois semaines plongé dans un effrayant délire. Enfin il se réveille et porte autour de la cabane ses regards inquiets; tout paraît l'avoir abandonné, un seul homme est près de lui, un seul homme le soigne, une seule voix lui adresse des paroles consolantes : cette voix, c'est celle de son prince; cet homme, c'est Pierrele-Grand.

Cette vue inopinée lui rend la vie et la force; de brûlantes larmes inondent son visage; il tombe aux pieds du monarque, qui le relève, « Grand Dieu ! s'écrie-t-il, sire, c'est vous! Oui, depuis trois se

maines je n'ai pas quitté ce lit. Quoi, vous m'aimez encore! quoi, vous m'avez pardonné! vous n'avez pas prononcé la mort d'un coupable! - Malheureux! dit Pierre en l'embrassant, pouvais - tu croire que j'oublierais que tu m'as sauvé la vie? » Un si noble trait ne rachète-t-il pas tous les défauts reprochés à un empereur qui dut ses vertus à lui seul, ses vices à son siècle, et sa gloire à son seul génie? Au fond d'une âme vraiment grande, la vertu qu'on est le plus certain de trouver, c'est la reconnaissance.

(Mémoires.)

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