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LE REMORDS ET LA CONSCIENCE.

La conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une consé quence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre ? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet, il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter: il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage, il découvre le goût du poison dans le mets qu'il a lui-même apprêté; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et, sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

O conscience! ne serais-tu qu'un fantôme de

l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? Je m'interroge; je me fais cette question: Si tu pouvais, par un seul désir, tuer un homme à la Chine, et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir? J'ai beau m'exagérer mon indigence; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre: malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

(Génie du Christianisme.)

LES FORÊTS DE L'AMÉRIQUE.

Pénétrez dans ces forêts américaines aussi vieilles que le monde quel profond silence dans ces retraites, quand les vents reposent ! Quelles voix inconnues, quand les vents viennent à s'élever! Êtesvous immobile, tout est muet: faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s'approche, les ombres s'épaississent on entend des troupeaux de bêtes sauvages

passer dans les ténèbres; la terre murmure sous vos pas; quelques coups de foudre font mugir les déserts; la forêt s'agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l'Orient; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime, et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s'assied sur le tronc d'un chêne pour attendre le jour; il regarde tour à tour l'astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et dans l'attente de quelque chose d'inconnu; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire, font palpiter son sein, comme s'il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts; mais l'esprit de l'homme remplit aisément les espaces de la nature, et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu'une seule pensée de son cœur. (Voyage en Amérique.)

CAMPAGNE ET ASPECT DE ROME.

Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone, dont parle l'Écriture; un silence et une solitude aussi vaste que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressaient jadis sur ce sol. On croit y entendre retomber cette malédiction du prophète Venient tibi duo hæc subito in die una, sterilitas et viduitas 1. Vous apercevez

Deux choses te viendront à la fois dans un seul jour : la stérilité et le veuvage (ISAÏE).

çà et là quelques bouts de voies romaines, dans les lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrents de l'hiver, qui, vues de loin, ont elles-mêmes l'air de grands chemins battus et fréquentés, et qui ne sont que le lit désert d'une onde orageuse qui s'est écoulée comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres, mais vous voyez partout des ruines d'aqueducs et de tombeaux, qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d'une terre composée de la poussière des morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchais, et ce n'étaient que des herbes flétries qui avaient trompé mon œil; quelquefois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les traces d'une ancienne culture. Point d'oiseaux, point de laboureurs, point de mouvements champêtres, point de mugissements de troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes délabrées se montre sur la nudité des champs : les fenêtres et les portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni bruit, ni habitants; une espèce de sauvage presque nu, pâle et miné par la fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spectres qui, dans nos histoires gothiques, défendent l'entrée de châteaux abandonnés. Enfin, l'on dirait qu'aucune nation n'a osé succéder aux maîtres du monde dans leur terre natale, et que vous voyez ces champs, tels que les a laissés le soc de Cincinnatus, ou la dernière charrue romaine.

C'est du milieu de ce terrain inculte, que domine et qu'attriste encore un monument appelé, par la voix populaire, le tombeau de Néron, que s'élève la grande ombre de la ville éternelle. Déchue de sa puissance terrestre, elle semble, dans son orgueil, avoir voulu s'isoler; elle s'est séparée des autres cités de la terre; et comme une reine tombée de son trône, elle a noblement caché ses malheurs dans la solitude,

Il me serait impossible de vous peindre ce qu'on éprouve, lorsque Rome vous apparaît tout à coup au milieu de ces royaumes vides, inania regna, et qu'elle a l'air de s'élever pour vous, de la tombe où elle était couchée. Tâchez de vous figurer ce trouble et cet étonnement qu'éprouvaient les prophètes, lorsque Dieu leur envoyait la vision de quelque cité à laquelle il avait attaché les destinées de son peuple. La multitude des souvenirs, l'abondance des sentiments vous oppressent, et votre âme est bouleversée à l'aspect de cette Rome qui a recueilli deux fois la succession du monde, comme héritière de Saturne et de Jacob.

(Lettre à M. de Fontanes.)

JERUSALEM.

Entre la vallée du Jourdain et les plaines de l'Idumée, s'étend une chaîne de montagnes qui commence aux champs fertiles de la Galilée, et va se

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