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des doutes sur les moyens (doutes vagues et non éclaircis), vous n'en avez pas sur sa nécessité, et sur notre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins. Votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps; le malheur n'en accorde jamais.... Eh! messieurs, à propos d'une ridicule motion du PalaisRoyal, d'une risible insurrection qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles, ou (dans) les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés Catilina est aux portes de Rome, et l'on délibère. Et certes il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome.... Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là; elle menace de vous consumer, vous, vos propriétés, votre honneur.... et vous délibérez! (Fragment du discours sur le plan de Necker, proposant la contribution du quart du revenu pour éviter la banqueroute.)

:

MAURY.

1746-1817.

Jean-Siffrein MAURY était fils d'un pauvre cordonnier de Valréas, petite ville du comtat Venaissin. Promu dans les ordres, il commença sa réputation par des Éloges académiques, entre autres celui de Fénelon, par des sermons, et par les Panégyriques de saint Louis, de saint Augustin et celui de saint Vincent de Paul, qui est son chef-d'œuvre. A l'époque de la révolution, l'abbé Maury, député de son ordre, se plaça au premier rang parmi les orateurs du parti royaliste. Mais il lutta avec plus de courage que de succès contre la foudroyante éloquence de Mirabeau. Quand il désespéra de la monarchie, il se retira auprès du pape, qui le créa archevêque et cardinal. Sous l'empire, il rentra en France, se dévoua entièrement à Napoléon, et fut nommé archevêque de Paris. Quand les Bourbons revinrent, il retourna en Italie, et passa les derniers jours de sa vie dans la retraite.

Outre ses discours, le cardinal Maury a laissé un Essai sur l'éloquence de la chaire, traité devenu classique qui le place parmi nos bons écrivains et nos meilleurs littérateurs.

SAINT VINCENT DE PAUL.

Il fut successivement esclave à Tunis, précepteur du cardinal de Retz, curé de village, aumôniergénéral des galères, principal de collége, chef des missions, et adjoint au ministère de la feuille des bénéfices. Il institua en France les séminaristes, les lazaristes, les filles de la Charité, qui se dévouent au soulagement des malheureux, et qui ne changent

presque jamais d'état, quoique leurs vœux ne les lient que pour un an. Il fonda des hôpitaux pour les enfants trouvés, pour les orphelins, pour les forçats et pour les vieillards.

Il exerça pendant quelque temps un ministère de zèle et de charité sur les galères. Il vit un jour un malheureux forçat qui avait été condamné à trois années de captivité pour avoir fait la contrebande, et qui paraissait inconsolable d'avoir laissé dans la plus extrême misère sa femme et ses enfants. Vincent de Paul, vivement touché de sa situation, offrit de se mettre à sa place; et, ce qu'on aura sans doute peine à concevoir, l'échange fut accepté. Cet homme vertueux fut enchaîné dans la chiourme des galériens, et ses pieds restèrent enflés pendant le reste de sa vie du poids de ces fers honorables qu'il avait portés.

Lorsque ce grand homme vint à Paris, on vendait les enfants trouvés dans la rue Saint-Landry, vingt sous la pièce; et on les donnait par charité, disait-on, aux femmes malades qui avaient besoin de ces innocentes créatures pour leur faire sucer un lait corrompu. Ces infortunés, que le gouvernement abandonnait à la pitié, ou, pour mieux dire, à la barbarie publique, périssaient presque en totalité; et ceux qui échappaient par hasard à tant de dangers étaient quelquefois introduits furtivement, par les complots de la cupidité, dans des familles opulentes, pour en supplanter les héritiers légitimes.

Ces frauduleuses substitutions d'individus furent en France, durant plusieurs siècles, une source intarissable de procès, dont on voit encore les pièces et les détails dans les compilations de nos anciens jurisconsultes.

Vincent de Paul donna l'exemple, en fournissant d'abord des fonds assurés pour nourrir douze de ces malheureux enfants: bientôt sa charité obtint des soulagements à tous ceux qu'on trouvait exposés aux portes des églises; mais cette nouvelle ferveur qu'inspire toujours un nouvel établissement s'étant refroidie, les secours manquèrent entièrement, et les outrages faits à l'humanité allaient recommencer, Le père nourricier des orphelins ne se découragea point. Bien loin de désespérer de la Providence, il convoqua une assemblée extraordinaire : il fit placer dans son église de Saint-Lazare un très-grand nombre de ces pauvres enfants prêts à expirer, entre les bras des filles de la Charité, et montant aussitôt en chaire, il prononça, les yeux baignés de larmes, une allocution pleine d'âme, qui fait autant d'honneur à son éloquence qu'à son zèle...

On ne répondit à cette pathétique exhortation que par des sanglots; et le même jour, au même instant, l'hôpital des Enfants-Trouvés de Paris fut fondé, et doté de quarante mille livres de rentes.

(Panegyrique de saint Vincent de Paul.)

BOSSUET, ORATEUR.

Au seul nom de Démosthène, mon admiration me rappelle celui de ses émules avec lequel il a le plus de ressemblance, l'homme le plus éloquent de notre nation. Que l'on se représente donc un de ces orateurs que Cicéron appelle véhéments, et en quelque sorte tragiques, qui, doués par la nature de la souveraineté de la parole et emportés par une éloquence toujours armée de traits brûlants comme la foudre, s'élèvent au-dessus des règles et des modèles, et portent l'art à toute la hauteur de leurs propres conceptions; un orateur qui, par ses élans, monte jusqu'aux cieux, d'où il descend avec ses vastes pensées, agrandies encore par la religion, pour s'asseoir sur les bords d'un tombeau, et abattre l'orgueil des princes et des rois devant le Dieu qui, après les avoir distingués sur la terre durant le rapide instant de la vie, les rend tous à leur néant, et les confond à jamais dans la poussière de notre commune origine; un orateur qui a montré, dans tous les genres qu'il invente ou qu'il féconde, le premier et le plus beau génie qui ait jamais illustré les lettres, et qu'on peut placer, avec une juste confiance, à la tête de tous les écrivains anciens et modernes qui ont fait le plus d'honneur à l'esprit humain; un orateur qui se crée une langue aussi neuve et aussi originale que ses idées, qui donne à ses expressions

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