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faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittai le monde, et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un Dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nourrissent et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville; il me reconnaît, je le marie, et, pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne! Intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d'épouser ma mère, mes parents m'arrivent à la file. (Il se lève en s'échauffant.) On se débat : c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi; non, ce n'est pas nous. Hé mais, qui done? (Il retombe assis.) O bizarre suite d'événements! Comment cela m'est-il arrivé? Pourquoi ces choses et non pas d'autres? Qui les a fixées sur ma tête? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaieté me l'a permis; encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est plus à moi que le reste, ni même quel est ce moi dont je m'occupe un assemblage informe de parties inconnues; puis un chétif être imbécile, un petit animal folâtre, un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous

les métiers pour vivre; maître ici, valet là, selon qu'il plaît à la fortune; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices; orateur selon le danger, poète par délassement, musicien par occasion, amoureux par folles bouffées, j'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite, et trop désabusé... Désabusé !... Suzon, Suzon, Suzon! que tu me donnes de tourments! (Mariage de Figaro.)

MIRABEAU.

1749-1791.

Honoré-Gabriel Riquetti, comte DE MIRABEAU, le prince de la tribune française, naquit à Bignon, près de Nemours. Il était fils du marquis de Mirabeau, l'économiste, qui s'appelait 'ami des hommes, et qui fut le tyran de sa famille. Il annonça de bonne heure ces passions violentes qui furent la cause de ses malheurs, et qui devinrent peut-être la source de son talent. Sa conduite scandaleuse le fit renfermer dans différentes prisons, en vertu de lettres de cachet. C'est là qu'il puisa cette haine du despotisme et cet amour ardent de la liberté qui inspirèrent son éloquence. En 1789, à l'époque de la réunion des États-généraux, le comte de Mirabeau, repoussé par la noblesse, fut élu député du tiers-état en Provence. Dès son entrée dans l'Assemblée nationale, il la domina par sa parole. Il se montra en génie et en habileté le digne émule des grands orateurs anglais, ses contemporains, et il les surpassa peut-être par la puissance qu'il exerça sur l'esprit des hommes. A la voix de ce redoutable tribun, l'ancien ordre social s'écroula tout entier. Mais Mirabeau n'était pas républicain; il voulait fonder en France une mo

narchie constitutionnelle. Quand il vit la royauté en danger, il prit sa défense et résolut d'arrêter le torrent révolutionnaire. La mort le surprit au moment où il allait commencer cette nouvelle lutte.

Voyez ci-après le Portrait de Mirabeau, par Timon.

MIRABEAU

CONTRE LA BANQUEROUTE.

..... Oh! si des déclarations moins solennelles ne garantissaient pas notre respect pour la foi publique, notre horreur pour l'infâme banqueroute, j'oserais scruter les motifs secrets, et peut-être, hélas! ignorés de nous-mêmes, qui nous font si imprudemment reculer au moment de proclamer l'acte d'un grand dévouement, certainement inefficace s'il n'est pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à ceux qui se familiarisent peut-être avec l'idée de manquer aux engagements publics, par la crainte de l'excès des sacrifices, par la terreur de l'impôt.... Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts?... Mes amis, écoutez un mot, un seul mot.

Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir; il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien! voici la liste des propriétaires français; choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens. Mais choisissez; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peu

ple? Allons. Ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans le royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes; précipitez-les dans l'abîme: il va se fermer.... Vous reculez d'horreur.... Hommes inconséquents! Hommes pusillanimes! Eh! ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable! gratuitement criminel? Car enfin cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien? Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contre-coups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime?

Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France; impassibles égoïstes qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d'autres, et d'autant plus rapidement qu'elles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d'hommes sans pain vous laisseront savourer les mets dont vous n'aurez voulu diminuer ni le nombre ni la délicatesse?... Non, vous périrez, et, dans la conflagration

universelle que vous ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances.

Voilà où nous marchons.... J'entends parler de patriotisme, d'élans de patriotisme, d'invocations du patriotisme. Ah! ne prostituez pas ces mots de patrie et de patriotisme. Il est donc bien magnanime, l'effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce que l'on possède! Eh! messieurs, ce n'est là que la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l'indignation que par le mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, messieurs, c'est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale; c'est votre intérêt le plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis plus, comme autrefois : Donnerez-vous les premiers aux nations le spectacle d'un peuple assemblé pour manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus : Eh! quels titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour la maintenir, si dès votre premier pas vous surpassez les turpitudes des gouvernements les plus corrompus? si le besoin de votre concours et de votre surveillance n'est pas le garant de votre constitution.... Je vous dis Vous serez tous entraînés dans la ruine universelle; et les premiers intéressés au sacrifice que le gouvernement vous demande, c'est vousmêmes.

Votez donc ce subside extraordinaire, qui puisset-il être suffisant! Votez-le, parce que, si vous avez

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