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Dans ce moment terrible, le saisissement et l'effroi s'emparèrent de toutes les âmes, et des pleurs involontaires coulèrent de tous les yeux; les uns, pour les cacher, jetaient leur manteau sur leur tête, les autres se levaient en sursaut pour se dérober à sa vue; mais lorsqu'en ramenant leurs regards sur lui ils s'aperçurent qu'il venait de renfermer la mort dans son sein, leur douleur, trop long-temps contenue, fut forcée d'éclater, et leurs sanglots redoublerent aux cris du jeune Apollodore, qui, après avoir pleuré toute la journée, faisait retentir la prison de hurlements affreux. « Que faites-vous, mes amis ? leur dit Socrate sans s'émouvoir; j'avais écarté ces femmes pour n'être pas témoin de pareilles faiblesses. Rappelez votre courage; j'ai toujours ouï dire que la mort devait être accompagnée de bons augures. »

Cependant il continuait à se promener; dès qu'il sentit de la pesanteur dans ses jambes, il se mit sur son lit et s'enveloppa de son manteau. Le domestique montrait aux assistants les progrès successifs du poison. Déjà un froid mortel avait glacé les pieds et les jambes; il était près de s'insinuer dans le cœur, lorsque Socrate, soulevant son manteau, dit à Criton « Nous devons un coq à Esculape; n'oubliez pas de vous acquitter de ce vou. Cela sera fait, répondit Criton; mais n'avez-vous pas encore quelque autre ordre à nous donner? » Il ne répondit point; un instant après il fit un petit mouvement, le domes

:

tique l'ayant découvert reçut son dernier regard, et Criton lui ferma les yeux.

Ainsi mourut le plus religieux, le plus vertueux et le plus heureux des hommes; le seul peut-être, qui, sans crainte d'être démenti, pût dire hautement : « Je n'ai jamais, ni par mes paroles ni par mes actions, commis la moindre injustice. »>

(Voyage d'Anacharsis.)

COMBAT DES THERMOPYLES.

Cependant Léonidas se disposait à la plus hardie des entreprises. « Ce n'est point ici, dit-il à ses compagnons, que nous devons combattre; il faut marcher à la tente de Xercès, l'immoler ou périr au milieu de son camp. » Ses soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant : « Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton. » Toutes ces paroles laissaient une impression profonde dans les esprits. Près d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spartiates qui lui étaient unis par le sang et par l'amitié il donne au premier une lettre, au second une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. Nous ne sommes pas ici, disent-ils, pour porter des ordres, mais pour combattre; et, sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avait assignés.

Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur

tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversent les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xercès, qui avait déjà pris la fuite; ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage. La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque pas, à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites, que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses, ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetaient au hasard dans la mêlée, et périssaient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xercès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les Grecs, quoique épuisés et affaiblis par leurs pertes, enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite, et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se placer sur la petite colline qui est auprès d'Anthela : ils s'y défendirent encore quelques moments, et contre les troupes qui les sui

vaient, et contre celles qu'Hydarnès amenait de l'autre côté du détroit....

Lacédémone s'enorgueillit de la perte de ses guerriers tout ce qui la concerne inspire de l'intérêt. Pendant qu'ils étaient aux Thermopyles, un Trachinien, voulant leur donner une haute idée de l'armée de Xercès, leur disait que le nombre de leurs traits suffirait pour obscurcir le soleil. Tant mieux, répondit le Spartiate Diénécès, nous combattrons à l'ombre. Un autre, envoyé par Léonidas à Lacédémone, était détenu au bourg d'Alpénus par une fluxion sur les yeux : on vint lui dire que le détachement d'Hydarnès était descendu de la montagne, et pénétrait dans le défilé. Il prend aussitôt ses armes, ordonne à son esclave de le conduire à l'ennemi, l'attaque au hasard, et reçoit la mort qu'il en attendait.

Deux autres, également absents par ordre du général, furent soupçonnés, à leur retour, de n'avoir pas fait tous leurs efforts pour se trouver au combat. Ce doute les couvrit d'infamie. L'un s'arracha la vie, l'autre n'eut d'autre ressource que de la perdre quelque temps après à la bataille de Platée.

Le dévouement de Léonidas et de ses compagnons produisit plus d'effet que la victoire la plus brillante: il apprit aux Grecs le secret de leur force, aux Perses celui de leur faiblesse.

(Voyage d'Anacharsis.)

THOMAS.

1732-1785.

Antoine-Léonard THOMAS, né à Clermont-Ferrand, fut d'abord professeur, puis secrétaire du duc de Praslin, et obtint enfin une sinécure, qui lui permit de se livrer à son goût pour les lettres. Thomas était un homme vertueux; il eut pour ami intime le bon Ducis. On a de lui un poème intitulé Jumonville, ou assassinat d'un officier français en Amérique; la Pétréide, ou le czar Pierre-le-Grand, poème inachevé; les Éloges en prose de quelques grands hommes, un Essai sur les éloges, un Essai sur les femmes, des épitres, des odes, dont la plus remarquable est l'Ode sur le temps, etc.

ÉTAT DES CONNAISSANCES

AVANT DESCARTES.

Laissant là les temps trop reculés, je veux chercher, dans le siècle même de Descartes, ou dans ceux qui ont immédiatement précédé sa naissance, tout ce qui a pu servir à le former, en influant sur son génie.

Et d'abord j'aperçois dans l'univers une espèce de fermentation générale. La nature semble être dans un de ces moments où elle fait les plus grands efforts. Tout s'agite; on veut partout remuer les anciennes bornes, on veut étendre la sphère humaine. Vasco de Gama découvre les Indes; Colomb découvre l'Amérique; Cortez et Pizarre subjuguent des

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