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le poison qu'on lui préparait. « Puisqu'il faut acheter la mort à Athènes, dit-il à un de ses amis, acquittezmoi de cette dette, et donnez douze drachmes à l'exécuteur.

Lui seul fut tranquille dans cette assemblée tumultueuse qui le condamna, et dont on n'exclut ni les esclaves, ni les étrangers, ni les hommes notés d'infamie. Les gens de bien n'y portèrent que leur consternation....

En allant à sa prison après avoir entendu son jugement, Phocion, dit Plutarque, conserva le même visage que quand il sortait de la place de l'assemblée, aux acclamations du peuple, pour aller se mettre à la tête de l'armée, ou qu'il reparaissait dans le sénat après avoir vaincu les ennemis. Il eut la générosité de pardonner sa mort à ses concitoyens, et ordonna à son fils de ne jamais penser à le venger. Les Athéniens ouvrirent bientôt les yeux sur leur injustice, et connurent la perte qu'ils avaient faite. Ils allèrent chercher à Mégare les cendres d'un homme à qui ses ennemis avaient fait refuser les honneurs de la sépulture dans l'Attique. On lui éleva un tombeau et une statue aux dépens de la république, et on fit mourir ses accusateurs, ou du moins leur chef Agonides. (Entretiens de Phocion.)

CONDILLAC.

1715-1780.

Étienne Bonnot DE CONDILLAC était frère de l'abbé de Mably. Comme lui, il étudia la théologie et l'abandonna pour les lettres. Il fut précepteur de l'infant de Parme et membre de l'Académie française. Condillac est le chef de la philosophie sensualiste en France. Il adopta le sensualisme de Locke, simplifia sa doctrine, et lui donna une précision séduisante, en montrant que toutes nos facultés se réduisent à la sensation, successivement transformée en attention, en comparaison, en jugement. Ce philosophe était religieux et défendit avec force les grandes vérités de la religion. Ses disciples, moins réservés, abusèrent de sa méthode, et cherchèrent à en déduire le matérialisme.

On a de Condillac: un Essai sur l'origine des connaissances humaines; un Traité des sensations; la Langue des calculs; la Logique; un Cours d'études, composé pour son élève, et comprenant la Grammaire, l'Art d'écrire, de penser, de raisonner, et une Histoire générale. Tous ces ouvrages sont remarquables par la méthode, l'ordre et la clarté.

CAIUS CALIGULA.

Caïus Caligula, troisième fils de Germanicus et d'Agrippine, avait été appelé à Caprée dans sa vingtième année. Élevé dans les camps, et par conséquent cher aux armées, il avait encore tous les vœux du peuple, et Tibère l'avait peu à peu approché du trône lorsqu'il cherchait un appui contre Séjan, dont il redoutait l'ambition.

Témoin des supplices qui devenaient de jour en

jour plus fréquents, Caligula, naturellement cruel, s'était enhardi à verser le sang des citoyens; et, toujours tremblant pour lui-même, il s'était formé dans l'art de dissimuler, que les malheurs de ses parents semblaient lui rendre nécessaire. Jamais il ne lui échappa un mot sur le sort de sa mère et de ses frères; il paraissait ignorer qu'ils eussent vécu. Il ne parut pas moins insensible aux injures qu'il recevait lui-même. Aussi a-t-on dit de lui qu'il n'y eut jamais de meilleur esclave ni de plus méchant maître.

Il faut peu de chose pour exciter l'enthousiasme du peuple. Caligula promit au sénat le gouvernement le plus sage; il rappela les exilés, il écarta les délateurs, et on crut déjà voir des vertus dans un prince qui dissimulait ses vices. Pendant une maladie dangereuse qui lui survint le huitième mois de son règne toute la ville lui montra les plus vives inquiétudes. On entourait son palais jour et nuit, l'alarme passa dans les provinces, et il y eut des citoyens qui firent vœu de donner leur vie si l'empereur réchappait. Cependant son règne, qui dura encore trois ans, ne fut plus que le délire d'un esprit égaré et féroce.

Maître de l'empire, Auguste craignait de le paraître. Tibère crut aussi devoir user de quelque circonspection. Il fallait sur le trône un prince tout à fait extravagant, pour montrer tout à coup le despotisme à découvert. Caligula, dit Montesquieu, ôta les accusations des crimes de lèse-majesté; mais il

faisait mourir arbitrairement tous ceux qui lui déplaisaient, et ce n'était pas à quelques sénateurs qu'il en voulait; il tenait le glaive suspendu sur le sénat, qu'il menaçait d'exterminer tout entier.... C'était un vrai sophiste dans sa cruauté, dit encore le même écrivain. Comme il descendait également d'Antoine et d'Auguste, il disait qu'il punirait les consuls s'ils célébraient le jour de réjouissances établi en mémoire de la victoire d'Actium, et qu'il les punirait s'ils ne le célébraient pas. Drusille, sa sœur, qui il accorda les honneurs divins, étant morte, c'était un crime de la pleurer, parce qu'elle était déesse, et de ne la pas pleurer, parce qu'elle était

sa sœur.

à

Il imagina des impôts nouveaux et inouïs; il vexa les provinces. Pour s'emparer des dépouilles des citoyens, il fit périr les plus riches, et il marqua chaque jour de son règne par des cruautés.

Cependant il s'attachait la populace par des spectacles qu'il donnait fréquemment, et les soldats par des gratifications qu'il leur faisait. En général, il trouvait dans le peuple des dispositions à l'excuser, parce qu'il lui avait rendu les comices; mais il les lui ôta bientôt après, et il se l'aliéna. On n'imagina d'autre vengeance que d'affecter de ne pas applaudir à des gladiateurs auxquels il applaudissait lui-même, et il s'écria dans sa colère : « Plût aux dieux que te peuple romain n'eût qu'une tête, je la ferais tomber ! »

Je n'entrerai pas dans le détail de ses cruautés ; je ne parlerai pas de ses folles dissipations, de sa passion pour un cheval dont il menaçait de faire un consul, de ses campagnes militaires, ridicules et extravagantes; des autels qu'il s'élevait à lui-même, dont il était le prêtre et dont il vendait chèrement le sacerdoce aux plus riches citoyens; de sa manie à se donner, tantôt pour Jupiter, tantôt pour Mercure, tantôt pour Junon, etc. Ces choses ne paraîtraient pas vraisemblables, si on ne savait pas qu'un despote dans le délire est fait pour tout oser, et qu'un peuple esclave est fait pour tout souffrir. Ce monstre périt enfin par les coups de Cassius Chéréa, un des tribuns des gardes prétoriennes. Il était dans sa vingt-neuvième année, et il avait régné près de quatre ans.

GRIMM.

1723-1807.

Frédéric-Melchior GRIMM, critique distingué, naquit à Ratisbonne de parents pauvres. Il vint jeune à Paris, comme précep teur des enfants de l'ambassadeur de Pologne et y fut secrétaire du maréchal de Saxe et du duc d'Orléans, puis chargé d'affaires du duc de Saxe-Gotha, qui le créa baron. Grimm se lia avec tous les littérateurs de l'époque, surtout avec Diderot. C'était un homme supérieur, aimable et spirituel; mais il avait un cœur sec et égoïste sa rupture avec Rousseau est connue.

Le seul ouvrage de Grimm est une Correspondance litté

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