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Lascaris. En y jouant, recoloyent les passaiges des auteurs anciens esquelz est faicte mention, ou prinse quelque métaphore sus icelluy jeu. Semblablement, ou alloyent veoir comment on tiroyt les métaulx, ou comment on fondoyt l'artillerie ou alloyent veoir les lapidaires, orfebvres, et tailleurs de pierreries, ou les alchimistes et monnoyeurs, ou les veloutiers, les horlogers, imprimeurs, organistes, tincturiers, et aultres telles sortes d'ouvriers, et, partout donnans le vin, apprenoyent et considéroyent l'industrie et invention des mestiers,

Alloyent ouyr les leçons publicques, les actes solennelz, les répétitions, les déclamations, les plaidoyez des gentilz advocatz, les concions des prescheurs évangélicques.

Passoyt par les salles et lieux ordonnez pour l'escrime et là, contre les maistres, essayoyt de tous bastons, et leur montroyt par évidence que autant, voyre plus, en sçavoyt qu'iceulx. Et, au lieu d'arboriser, visitoyent les bouticques des drogueurs, herbiers, et apothécaires, et. soigneusement considéroyent les fruitz, racines, feuilles, gommes, semences, axunges pérégrines (baumes étrangers), ensemble aussi comment on les adultéroyt.

......

Ainsi feut gouverné Gargantua, et continuoyt ce procez (procédé) de jour en jour, proufitant comme entendez que peult faire ung jeune

Bibliothécaire de François Ier.

homme selon son éâge de bon sens, en tel exercice, ainsi continué. Lequel, combien qu'il semblast pour le commencement difficile, en la continuation tant doulx feut, légier et délectable, que mieux ressembloyt ung passe-temps de roy que l'estude d'un escholier. Toutesfoys, Ponocrates, pour le séjourner (reposer) de ceste véhémente intention des esperitz, advisoyt une foys le moys quelque jour bien clair et serain, auquel bourgeoyent au matin de la ville, et alloyent à Gentily, ou à Boloigne, ou à Mont-Rouge, ou au pont Charanton, ou à Vanves, ou à SainctClou. Et là passoyent toute la journée à faire la plus grande chière dont ilz se pouvoyent adviser: raillans, gaudissans, beuvans d'autant; jouans, chantans, dansans, se veaultrans en quelque beau pré, dénicheans des passeraulx, prenant des cailles, peschans au grenoilles et escrevisses.

Mais encore que ycelle journée feust passée sans livres et lectures, point elle n'estoyt passée sans prouffict; car, en ce beau pré, ilz recoloyent par cueur quelques plaisans vers de l'Agriculture de Vergile, de Hésiode, du Rusticque de Politian, descripvoyent quelques plaisans épigrammes en latin, puis les mettoyent par rondeaulx et ballades en langue francoyse....

AMYOT.

1513-1593.

Jacques AMYOT était fils d'un pauvre mercier de Melun. Il fit ses études à Paris, en servant de domestique à ses camarades de collége. Il fut ensuite précepteur particulier, et professeur de grec et de latin à l'université de Bourges. Son savoir et son mérite lui valurent l'éducation du fils de Henri II. Charles IX, un de ses élèves, devenu roi, le nomma successivement grandaumônier de France, conseiller-d'état, conservateur de l'université et évêque d'Auxerre. On a d'Amyot une traduction des OEuvres complètes de Plutarque, et de quelques autres ouvrages moins importants. Peu d'écrivains ont rendu plus de services à la langue française. Son style, conforme au génie de notre vieux idiome, a une élégance et une grâce inconnues avant lui: il contraste avec la langue demi-française et demi-gasconne employée par Montaigne.

BONHEUR DE ROME SOUS NUMA.

Janus avait à Rome un temple, ayant deux portes, lesquelles on appelle les portes de la guerre, pour ce que la coutume est de l'ouvrir, quand les Romains ont guerre en quelque part, et de le clorre, quand il y a paix universelle, ce qui est bien mal aisé à voir, et advient bien peu souvent. Mais durant le règne de Numa, il ne fut jamais ouvert une seule journée : ains demeura fermé l'espace de 43 ans entiers, tant étaient toutes occasions de guerre et partout éteintes

et amorties; à cause que non-seulement à Rome le peuple se trouva amolli et adouci par l'exemple de la justice, clémence et bonté de Numa, mais aussi ès-ville d'alenviron commença une merveilleuse mutations de mœurs, ne plus ne moins que si c'eust été quelque douce haleine d'un vent salubre et gratieux qui leur eût soufflé du côté de Rome pour les rafraîchir; et se coula tout doucement ès cœurs des hommes un désir de vivre en paix, de labourer la terre, d'élever des enfants en repos et tranquillité, et de servir et honorer les dieux; de manière que par toute l'Italie n'y avait que fêtes, jeux, sacrifices et banquets. Les peuples hantaient et trafiquaient les uns avec les autres sans crainte ne danger, et s'entrevisitaient en toute cordiale hospitalité, comme si la sapience de Numa cût été une source de toutes bonnes et honnêtes choses, de laquelle plusieurs ruisseaux se fussent dérivés pour arroser toute l'Italie, et que la tranquillité de sa prudence se fût de main en main communiquée à tout le monde; tellement que les excessives figures de parler, dont les poètes ont accoutumé d'user, ne seraient pas encore assez amples pour suffisamment exprimer le repos de ce règne-là.

(Vie de Numa.)

MONTAIGNE.

1533-1592.

Michel, seigneur de MONTAIGNE, naquit au château de ce nom, en Périgord. A vingt et un ans il fut nommé conseiller au parlement de Bordeaux, et il sut s'attirer l'estime et la considération générale. Son caractère insouciant, exempt d'ambition, ennemi de toute contrainte, et son amour pour une vie tranquille et délicieuse, le firent renoncer à ces fonctions assujettissantes. Il se retira dans son chateau, et partagea son temps entre la philosophie, la littérature et les soins de sa maison. Il lui vint dans l'idée d'écrire; et il se mit à raconter ses pensées et ses sentiments dans un livre auquel il donna le nom d'Essais. Ce sont des causeries pleines de bonhomie et de naïveté sur toutes sortes de sujets. II prend un sujet au hasard, l'examine, en s'appuyant sur l'autorité des anciens et des modernes, sur sa raison et sur son expérience personnelle; il donne son avis, non comme bon, mais comme sien Tout en se jouant, il ébranle, l'une après l'autre, toutes les fausses doctrines de son temps. Il attaque notre législation confuse, débris de coutumes diverses; le pédantisme, l'ignorance et la sévérité des écoles; l'esprit de faction, qui bouleverse le royaume pour le réformer; les disputes des théologiens, qui se querellent souvent sur des mots; les fureurs des sectaires, qui s'égorgent pour des opinions; les injustices judiciaires, la torture, l'inquisition, etc. On trouve dans son livre des conseils excellents sur presque toutes les positions difficiles de la vie : c'est ce qui l'a fait appeler le Bréviaire des hommes. Quoique son style ne soit pas aussi correct qu'il aurait pu l'être, même de son temps, les Essais sont considérés comme le premier chef-d'oeuvre classique de la littérature française.

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