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princesse ne fut si regrettée, jamais il n'en fut de si digne de l'être aussi les regrets n'en ont-ils pu passer, et l'amertume involontaire et secrète en est constamment demeurée, avec un vide affreux qui n'a pu être diminué. (Mémoires.)

VAUVENARGUES.

1715-1747.

Luc de Clapier, marquis de VAUVENARGUES, naquit à Aix. Il servit quelque temps avec distinction, fut forcé de quitter le service par la faiblesse de sa santé, et vécut dans la retraite et la méditation. Il mourut à trente-deux ans. Ce jeune seigneur, qui fut, sous certains rapports, le Pascal du dix-huitième siècle, a laissé une Introduction à la connaissance de l'esprit humain, suivie de réflexions sur divers auteurs et de maximes morales, qui lui assurent une des premières places parmi les moralistes et les critiques de notre littérature.

TITUS OU L'ACTIVITÉ.

Titus se lève seul et sans feu pendant l'hiver, et, quand ses domestiques entrent dans sa chambre, ils trouvent déjà sur la table un tas de lettres qui attendent la poste. Il commence à la fois plusieurs ouvrages qu'il achève avec une rapidité inconcevable, et que son génie impatient ne lui permet pas de polir. Quelque chose qu'il entreprenne, il lui est impossible de la retarder; une affaire qu'il remet

trait l'inquiéterait jusqu'au moment qu'il pourrait la reprendre. Occupé de soins si sérieux, on le rencontre pourtant dans le monde comme les hommes les plus désœuvrés. Il ne se renferme pas dans une seule société, il cultive en même temps plusieurs sociétés; il entretient des relations sans nombre au dedans et au dehors du royaume. Il a voyagé, il a écrit, il a été à la cour et à la guerre; il excelle en plusieurs métiers, et connaît tous les hommes et tous les livres. Les heures qu'il est dans le monde, il les emploie à former des intrigues et à cultiver ses amis; il ne comprend pas que les hommes puissent parler pour parler, ou agir seulement pour agir, et l'on voit que son âme souffre quand la nécessité et la politesse le retiennent inutilement. S'il recherche quelque plaisir, il n'y emploie pas moins de manége que dans les affaires les plus sérieuses, et cet usage qu'il fait de son esprit l'occupe plus vivement que le plaisir même qu'il poursuit. Sain et malade, il conserve la même activité; il va solliciter un procès le jour qu'il a pris médecine, et fait des vers une autre fois avec la fièvre ; et quand on le prie de se ménager: « Eh! dit-il, le puis-je un moment? vous voyez les affaires qui m'accablent; » quoiqu'au vrai, il n'y en a aucune qui ne soit tout à fait volontaire. Attaqué d'une maladie plus dangereuse, il se fait habiller pour mettre ses papiers en ordre; il se souvient des paroles de Vespasien, et, comme cet empereur, veut mourir debout. (Caractères.)

RÉFLEXIONS MORALES.

C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours modérément.

Le courage a plus de ressources contre les disgrâces que la raison.

Quelques auteurs traitent la morale comme on traite la nouvelle architecture, où l'on cherche, avant toutes choses, la commodité.

Celui qui sait rendre ses profusions utiles a une grande et noble économie.

Personne ne se croit propre, comme un sot, à duper les gens d'esprit.

Il n'y a guère de gens plus aigres que ceux qui sont doux par intérêt.

Il est faux qu'on ait fait fortune lorsqu'on ne sait pas en jouir.

On peut se consoler de n'avoir pas les grands talents, comme on se console de n'avoir pas les grandes places. On peut être au-dessus de l'un et de l'autre par le cœur.

Les hommes ont la volonté de rendre service jusqu'à ce qu'ils en aient le pouvoir.

La ressource de ceux qui n'imaginent pas est de

conter.

Les grandes pensées viennent du cœur.

La raison nous trompe plus souvent que la nature. Personne n'est sujet à plus de fautes que ceux qui n'agissent que par réflexion.

HÉNAULT.

1685-1770.

Charles-Jean-François HENAULT naquit à Paris; il était fils d'un fermier-général. Il entra dans la magistrature, et fut successivement conseiller au Parlement, président de chambre et intendant de la maison de la reine.

Le président Hénault cultiva la littérature avec succès, et devint membre de l'Académie française et de celle des Inscriptions. Son principal ouvrage est un excellent Abrégé chronologique de l'histoire de France, trop loué de son vivant, et aujourd'hui trop peu lu et trop déprécié.

LE SIÈCLE D'AUguste et le sIÈCLE DE LOUIS XIV.

On a remarqué, avec raison, que les règnes d'Auguste et de Louis XIV se ressemblaient par le concours des grands hommes de tous les genres qui ont illustré leurs règnes. Mais on ne doit pas croire que ce soit l'effet seul du hasard, et, si ces deux règnes ont de grands rapports, c'est qu'ils ont été accompagnés à peu près des mêmes circonstances. Ces deux princes sortaient des guerres civiles, de ce temps où les peuples, toujours armés, nourris sans cesse au milieu des périls, entêtés des plus hardis desseins, ne voient rien où ils ne puissent atteindre; de ce temps où les événements heureux et malheureux, mille fois répétés, étendent les idées, fortifient

l'âme à force d'épreuves, augmentent son ressort, et lui donnent ce désir de gloire qui ne manque jamais de produire de grandes choses.

Voilà comme Auguste et Louis XIV trouvèrent le monde. César s'en était rendu le maître, et avait devancé Auguste; Henri IV avait conquis son propre royaume, et fut l'aïeul de Louis XIV. Même fermentation dans les esprits; les peuples, de part et d'autre, n'avaient été pour la plupart que des soldats, et les capitaines des héros. A tant d'agitation, à tant de troubles intestins succède le calme que produit l'autorité réunie. Les prétentions des républicains et les folles entreprises des séditieux détruites laissent le pouvoir dans les mains d'un seul, et ces deux princes, devenus les maîtres (quoiqu'à des titres bien différents), n'ont plus à s'occuper qu'à rendre utile à leurs États cette même chaleur qui jusqu'alors n'avait servi qu'au malheur public. Leur génie et leur caractère particulier se ressemblaient encore par là, ainsi que leurs siècles.

L'ambition et l'ardeur de la gloire avaient été égales entre eux : héros sans être téméraires, entreprenants sans être aventuriers, tous deux avaient été exposés aux orages de la guerre civile; tous deux avaient commandé leurs armées en personne; l'un et l'autre avaient su vaincre et pardonner. La paix les trouva encore semblables par un certain air de grandeur, par leur magnificence et leur libéralité. Chacun d'eux possédait ce goût naturel, cet instinct

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