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monde tel que vous l'avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd'hui une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène; les grands rôles sont remplis par de

nouveaux acteurs.

Ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros dans la vertu comme dans le vice, qui font le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques; un nouveau monde s'est élevé insensiblement, et sans que vous vous en soyez aperçus, sur les débris du premier. Tout passe avec vous et comme vous; une rapidité que rien n'arrête entraîne tout dans les abîmes de l'éternité; vos ancêtres vous en frayèrent le chemin, et nous allons le frayer demain à ceux qui viendront après nous. Les âges se renouvellent, la figure du monde passe sans cesse, les morts et les vivants se remplacent et se succèdent continuellement; tout change, tout s'use, tout s'éteint. Dieu seul demeure toujours le même; le torrent des siècles qui entraîne tous les hommes roule devant ses yeux, et il voit avec indignation de faibles mortels, par ce cours rapide, l'insulter en passant, vouloir faire de ce seul instant tout leur bonheur, et tomber au sortir de là entre les mains de sa colère et de sa vengeance. (Sermon sur la mort.)

LA MORT DU PÉCHEUR.

Alors le pécheur mourant, ne trouvant plus dans le souvenir du passé que des regrets qui l'accablent, dans tout ce qui se passe à ses yeux que des images qui l'affligent, dans la pensée de l'avenir que des horreurs qui l'épouvantent, ne sachant plus à qui avoir recours, ni aux créatures qui lui échappent, ni au monde qui s'évanouit, ni aux hommes qui ne sauraient le délivrer de la mort, ni au Dieu juste qu'il regarde comme un ennemi déclaré dont il ne doit plus attendre d'indulgence, il se roule dans ses propres horreurs, il se tourmente, il s'agite pour fuir la mort qui le saisit, ou du moins pour se fuir lui-même. Il sort de ses yeux mourants je ne sais quoi de sombre et de farouche qui exprime les fureurs de son âme; il pousse du fond de sa tristesse des paroles entrecoupées de sanglots qu'on n'entend qu'à demi, et l'on ne sait si c'est le désespoir ou le repentir qui les a formées. Il jette sur un Dieu crucifié des regards affreux, et qui laissent douter si c'est la crainte ou l'espérance, la haine ou l'amour qu'ils expriment; il entre dans des saisissements où l'on ignore si c'est le corps qui se dissout, ou l'âme qui sent l'approche de son juge; il soupire profondément, et l'on ne sait si c'est le souvenir de ses crimes qui lui arrache ses soupirs, ou le désespoir de quitter la vie. Enfin, au milieu de ces tristes

efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s'entr'ouvre d'elle-même, tout son esprit frémit, et par ce dernier effort son âme infortunée s'arrache comme à regret de ce corps de boue, tombe entre les mains de Dieu, et se trouve seule au pied du tribunal redoutable. (Sermon sur la mort du pécheur.)

PLAISIR DE LA BIENFAISANCE.

Quel usage plus doux et plus flatteur pourriezvous faire de votre élévation et de votre opulence? Vous attirer des hommages? mais l'orgueil lui-même s'en lasse. Commander aux hommes et leur donner des lois? mais ce sont là les soins de l'autorité; ce n'en est pas le plaisir. Voir autour de vous multiplier à l'infini vos serviteurs et vos esclaves? mais ce sont des témoins qui vous embarrassent et vous gênent, plutôt qu'une pompe qui vous décore. Habiter des palais somptueux? mais vous édifiez, dit Job, des solitudes où les soucis et les noirs chagrins viennent bientôt habiter avec vous. Y rassembler tous les plaisirs? ils peuvent remplir ces vastes édifices, mais ils laissent toujours votre cœur vide. Trouver tous les jours dans votre opulence de nouvelles ressources à vos caprices? la variété des ressources tarit bientôt; tout est bientôt épuisé : il faut revenir sur ses pas, et recommencer ce que l'ennui rend insipide et ce que l'oisiveté a rendu nécessaire. Employez

tant qu'il vous plaira vos biens et votre autorité à tous les usages que l'orgueil et les plaisirs peuvent inventer, vous serez rassasiés, mais vous ne serez pas satisfaits; ils vous montreront la joie, mais ils ne la laisseront pas dans votre cœur. Employez-les à faire des heureux, à rendre la vie plus douce et plus supportable à des infortunés que l'excès de la misère a peut-être réduits mille fois à souhaiter, comme Job, que le jour de leur naissance eût été lui-même la nuit éternelle de leur tombeau; vous sentirez alors le plaisir d'être né grand; vous goûterez la véritable douceur de votre état : c'est le seul privilége qui le rende digne d'envie. Toute cette vaine montre qui vous environne est pour les autres : ce plaisir-là est pour vous seul; tout le reste a ses amertumes: ce plaisir seul les adoucit toutes. La joie de faire du bien est tout autrement douce et touchante que la joie de le recevoir. Revenez-y encore, c'est un plaisir qui ne s'use point: plus on le goûte, plus on se rend digne de le goûter. On s'accoutume à sa prospérité propre, et on y devient insensible; mais on sent toujours la joie d'être l'auteur de la prospérité d'autrui; chaque bienfait porte avec lui ce plaisir doux et secret, et le long usage qui endurcit le cœur à tous les plaisirs le rend ici tous les jours plus sensible. (Petit Carême.)

DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

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