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DEUXIÈME PARTIE

LA FONTAINE

ET

SES FABLES.

DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE I.

LES HOMMES.

Un homme rentre chez lui le soir, cause avec ses amis, et s'amuse à leur peindre les gens qu'il a vus, les caractères qu'il a observés, les traits de mœurs qui l'ont frappé; il ne cherche point ses idées, il les trouve elles sont nées d'elles-mêmes, par la seule présence des objets. Voilà l'origine des fables de La Fontaine. Chacune d'elles est le récit d'une journée. Il a vu tout à l'heure les originaux qu'il copie. Ce

:

sont les personnages de son temps, roi, clergé, seigneurs, bourgeois, paysans. Ils sont à côté de lui, il vient de les quitter dans la rue, il les désigne du doigt:

Je connais main detteur qui n'est ni souris chauve,
Ni buisson, ni plongeon dans un tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.

Avant lui, la fable n'était qu'une moralité; tandis que Phèdre, par exemple, compose de dessein délibéré, avec des réflexions philosophiques, enfermé dans son cabinet, appliquant sa leçon à tous les hommes, disant en style sec que « le faible périt quand il veut imiter le puissant',» La Fontaine vient de la cour ou de la ville, raconte sans songer ce qu'il a vu, et sa morale s'applique aux contemporains. Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages 2.

Il n'y a qu'à recueillir ces traits épars; on verra reparaître tout un monde, esquissé à la volée, mais sans que rien y manque. Ces petits récits, amusettes d'enfants, contiennent en abrégé la société du dixseptième siècle, la société française, la société humaine.

1. Phèdre, I, xxiv.
2. La Fontaine, I, 1.

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I

Commençons par le roi; qu'il passe le premier, puisqu'il est le maître. Ensuite viendront le tigre, l'ours « et les autres puissances; » puis les magistrats, le clergé, les médecins, et tous les officiers publics; puis les bourgeois, les petites gens, les bêtes de bas étage, « la racaille qui n'a ni panaches ni aigrettes.» La fable a l'ampleur d'une Iliade.

L'air sérieux et grave est le premier devoir du monarque. Un homme ou une bête qui porte l'État dans sa tête peut-il être autre chose qu'imposant et sévère? Jusque sous la griffe du milan, il sait ce qu'il se doit, et garde sa gravité, au risque de perdre son nez. « Il n'éclate pas les cris sont indécents à la majesté souveraine1. » Louis XIV avait de la tenue même quand on l'opérait de sa fistule, et sa perruque comme ses beaux gestes seront l'éternel exemple de tous les rois.

Certes on ferait tort au pauvre fabuliste, sujet respectueux, si l'on trouvait dans son lion le Louis XIV des bêtes. La Fontaine est moraliste, et non pamphlétaire; il a représenté les rois, et non

1, La Fontaine, XII, XII.

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