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quelque chose. Celui-ci s'est donné sans cesse le concert que ses vers nous offrent encore. Il a erré parmi des miliers de sentiments fins, gais et tendres; son cœur lui a fourni une fête, la plus piquante, la plus gracieuse, toute nuancée de rêveries voluptueuses, de sourires malins, d'adorations fugitives. Il s'est promené à travers tous les sentiments humains, quelquefois parmi les plus nobles, d'ordinaire parmi les plus doux. En ce moment, on n'aperçoit plus sa basse condition, ses mœurs irrégulières; bien des gens ne changeraient pas son cœur ni sa vie contre le cœur ou la vie du grand roi.

CHAPITRE III.

L'ÉCRIVAIN.

I

Il est amusant de voir combien l'esprit gaulois chez La Fontaine a eu de peine à se dégager du courant public qui l'emmenait ailleurs. Le goût régnant portait les gens du côté du bel esprit, de l'éloquence, des règles classiques, de l'imitation latine; il y cède vingt fois, mais toujours il revient à luimême. Dans ce pays artificiel et correct, il n'est pas à son aise; il y va parce qu'on l'y mène, parce qu'il est convenable d'y aller; mais il y est gêné et n'y profite point.

C'est pour cela sans doute qu'il écrivit si tard. Il se cherchait, et, faute de chercher où il fallait, il ne se trouvait pas. Il essayait d'arranger l'Eunuque de

Térence, et flottait assez maladroitement entre deux genres, sans atteindre la fidélité d'une traduction ou l'intérêt d'une imitation. Ensuite il se guinda de tout son effort pour composer une bonne fiction mythologique à l'éloge de Vaux; il expliquait sa fiction dans une préface, tout au long, avec des précautions qui auraient fait honneur aux pédagogues Bossu et Rapin. Pendant trois ans il travailla et retravailla cette malheureuse fiction qui est un plaidoyer entre les déesses du jardinage, de la peinture, de l'architecture et de la poésie, et n'en tira pas grand'chose. Plus tard, quand il imite la Psyché d'Apulée, il n'atteint qu'un style faux, à demi naïf et à demi fade. Sa gaieté et sa galanterie percent à travers le masque antique, mais timidement, sans oser se montrer, avec toutes sortes d'incertitudes et de disparates. Son roman est une pastorale de courtisans modernes habillés à la grecque, occupés à disserter longuement, à rire froidement et à sourire mignardement. Psyché était trop déesse pour être à sa place entre les mains de La Fontaine; il n'ose être familier avec elle; quant à être grave et respectueux, c'est ce qu'on ne lui demandera jamais. Son Adonis n'est guère moins terne; il ne faut pas le lire quand on a contemplé la sensualité ardente, la couleur tourmentée et magnifique qui éclatent dans celui de Shakspeare. La Fontaine n'est que gracieux, galant; il fléchit sous le poids

des personnages divins; ses passions sont trop douces. Le génie enflammé de la Renaissance, la nudité, la sérénité héroïque de l'antiquité grecque, sont hors de sa portée et de ses prises. Pour son poëme de saint Malc, c'est un éloge de la chasteté ascétique; on devine qu'il n'y a pas réussi. Il l'avait fait de commande, comme ses autres pièces religieuses; il ne pouvait guère être pieux que sur une invitation étrangère. En général, quand il entre dans les grands vers, il y est comme dans l'habit d'autrui. Cet habit-là ne va pas à sa taille. De temps en temps, surtout dans les épîtres, dans les élégies, deux ou trois vers naturels se détachent; c'est un geste vrai qui s'est montré en dépit des broderies. roides et des longues manches. Mais les hémistiches distincts, les rimes régulières, le ton soutenu, la friperie mythologique ou galante, Vénus et l'Amour, les pleurs et les ardeurs, reprennent bientôt leur empire. La poésie s'en va sous les conventions et les convenances. Ces maudits alexandrins ont toujours fait dans notre langue l'office de justaucorps. Sitôt qu'on les endossait, on devenait roide; l'étiquette vous prenait; vous vous retranchiez tous les mouvements prompts et abandonnés; vous deveniez digne; vous ne parliez plus la langue ordinaire; vous vous réduisiez à un certain nombre de mots et de tours approuvés; les autres étaient écartés comme familiers et roturiers; vous deve

niez un personnage de représentation ou d'antichambre, à la longue un mannequin. Tous vos gestes étaient réglés, compassés. Il fallait ici une césure, là une épithète, plus loin un rejet. Personne ne ressemble plus à Claudien que Delille. Encore aujourd'hui nous souffrons de cette discipline; le vers naturel nous manque; celui d'Alfred de Musset1 est un tapageur; celui de Victor Hugo un épileptique. Ils ont déchiré ou bariolé le vieil habit classique avec une verve d'écoliers ou une rancune de réformateurs; mais leur mode débraillée est aussi arbitraire que la mode correcte. Ils ont pris simplement le contre-pied de l'ancienne, et notre poésie, entre les oripeaux et les guenilles, attend encore le vêtement qui lui convient. La Fontaine en a essayé plusieurs avant de trouver celui dont il avait besoin. Il en approchait pourtant en maniant le vieux français, en lisant Rabelais, Marot, la reine de Navarre. Il essayait des dizains, des ballades, des rondeaux, des virelais; il revenait à la source gauloise, au style naïf, au petit vers leste et campagnard, qui aime les mots francs, qui dit en courant toutes les choses vraies. C'est ainsi qu'à la fin il rencontra les fables et les contes.

« M. de La Fontaine, dit l'abbé Poujet, son confes

1. Plus tard, ayant trouvé le rhythme vrai, il est devenu notre plus grand poëte.

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