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siècle, Shakspeare en Angleterre pendant la Re-
naissance, Goethe en Allemagne de nos jours.

Car le génie n'est rien qu'une puissance dévelop-
pée, et nulle puissance ne peut se développer tout
entière, sinon dans le pays où elle se rencontre natu-
rellement et chez tous, où l'éducation la nourrit, où
l'exemple la fortifie, où le caractère la soutient, où
le goût public la provoque. Plus elle est grande,
plus ses causes sont grandes; la hauteur de l'arbre
indique la profondeur des racines. Plus un poëte est
parfait, plus il est national. Plus il pénètre dans son
art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et
de sa race. Il a fallu la finesse, la sobriété, la gaieté,
la malice gauloise, l'élégance, l'art et l'éducation du
dix-septième siècle, pour produire un La Fontaine.
Il a fallu la vue intérieure des caractères, la préci-
sion, l'énergie, la tristesse anglaise, la fougue,
l'imagination, le paganisme de la Renaissance, pour
produire un Shakspeare. Il a fallu la profondeur,
la philosophie, la science, l'universalité, la critique,
le panthéisme de l'Allemagne et du dix-neuvième
siècle, pour produire un Goethe. Par cette corres-
pondance entre l'œuvre, le pays et le siècle, un
grand artiste est un homme public. C'est par elle
qu'on peut le mesurer et lui donner son rang.
C'est par elle qu'il plaît à plus ou moins d'hommes
et que son œuvre reste vivante pendant un temps
plus ou moins long. En sorte qu'on doit le consi-

CONCLUSION.

J'ai voulu montrer la formation complète d'une
œuvre poétique et chercher par un exemple en quoi
consiste le beau et comment il naît.

Une race se rencontre ayant reçu son caractère
du climat, du sol, des aliments, et des grands évé-
nements qu'elle a subis à son origine. Ce caractère
l'approprie et la réduit à la culture d'un certain
esprit comme à la conception d'une certaine beauté.
C'est là le terrain national, très-bon pour certaines
plantes, mais très-mauvais pour d'autres, incapable
de mener à bien les graines du pays voisin, mais
capable de donner aux siennes une séve exquise et
une floraison parfaite, lorsque le cours des siècles
amène la température dont elles ont besoin. Ainsi
sont nés La Fontaine en France au dix-septième

siècle, Shakspeare en Angleterre pendant la Renaissance, Goethe en Allemagne de nos jours.

Car le génie n'est rien qu'une puissance développée, et nulle puissance ne peut se développer tout entière, sinon dans le pays où elle se rencontre naturellement et chez tous, où l'éducation la nourrit, où l'exemple la fortifie, où le caractère la soutient, où le goût public la provoque. Plus elle est grande, plus ses causes sont grandes; la hauteur de l'arbre indique la profondeur des racines. Plus un poëte est parfait, plus il est national. Plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race. Il a fallu la finesse, la sobriété, la gaieté, la malice gauloise, l'élégance, l'art et l'éducation du dix-septième siècle, pour produire un La Fontaine. Il a fallu la vue intérieure des caractères, la précision, l'énergie, la tristesse anglaise, la fougue, l'imagination, le paganisme de la Renaissance, pour produire un Shakspeare. Il a fallu la profondeur, la philosophie, la science, l'universalité, la critique, le panthéisme de l'Allemagne et du dix-neuvième siècle, pour produire un Goethe. Par cette correspondance entre l'œuvre, le pays et le siècle, un grand artiste est un homme public. C'est par elle qu'on peut le mesurer et lui donner son rang. C'est par elle qu'il plaît à plus ou moins d'hommes et que son œuvre reste vivante pendant un temps. plus ou moins long. En sorte qu'on doit le consi

dérer comme le représentant et l'abrégé d'un esprit duquel il reçoit sa dignité et sa nature. Si cet esprit n'est qu'une mode, et règne seulement quelques années, l'écrivain est un Voltaire. Si cet esprit est une forme littéraire et gouverne un âge entier, l'écrivain est un Racine. Si cet esprit est le fond même de la race, et reparaît à chaque siècle, l'écrivain est un La Fontaine. Selon que cet esprit est passager, séculaire, éternel, l'œuvre est passagère, séculaire, éternelle, et l'on exprimera bien le génie poétique, sa dignité, sa formation et son origine, en disant qu'il est un résumé.

C'est qu'il fait des résumés, et les meilleurs de tous. En cela, les poëtes sont plus heureux que les autres grands hommes. Sans doute un philosophe comme Hobbes ou Descartes, un érudit comme Henri Étienne, un savant comme Cuvier ou Newton, résument à leur façon le large domaine qu'ils se sont choisi; mais ils n'ont que des facultés restreintes; d'ailleurs ils sont spéciaux, et ce champ où ils se retirent ne touche que par un coin la promenade publique où circulent tous les esprits. L'artiste seul prend cette promenade pour domaine, la prend tout entière, et se trouve muni, pour la reproduire, d'instruments que nul ne possède; en sorte que sa copie est la plus fidèle, en même temps qu'elle est la plus complète. Car il est à la fois philosophe et peintre, et il ne nous montre jamais les causes générales

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