Page images
PDF
EPUB

regrets d'une manière si délicate et si vraie, que Bertrand ne put s'empêcher de lui promettre d'insister auprès de l'Empereur, et ajouta que si son départ était retardé d'un jour ses vœux seraient probablement exaucés. Effectivement l'ambassadeur et sa suite descendirent le 2 juillet chez le maréchal, qui, vers les trois heures, les introduisit auprès de son maître. Je tiens ces détails ainsi que ceux qui vont suivre d'un témoin oculaire.

Pendant l'entretien d'une heure et demie environ que l'ambassadeur eut avec l'Empereur seul, sa suite resta dans la salle de billard; mais avant de se retirer, il demanda la permission de présenter les personnes qui l'accompagnaient : Napoléon y consentit, et leur parla pendant une demi-heure avec tant d'affabilité, qu'ils se crurent amplement dédommagés des fatigues de leur long voyage.

Tous protestèrent contre les mauvais traitemens que l'on faisait éprouver à un si illustre capitaine. L'ambassadeur lui-même a dû remarquer combien le gouverneur actuel s'écartait des intentions du prince régent, des ministres et du peuple anglais. Il n'a pu échapper à personne, dans cette circonstance, que si le gouverneur ou des membres de son état-major s'étaient abs→ tenus de paraître à Longwood, il fallait ne l'at

tribuer qu'à la résolution prise par Napoléon, de ne plus les admettre devant lui.

Au retour de l'ambassadeur en ville, on crut apercevoir de la tristesse et de l'abattement dans la contenance de plusieurs personnes de sa suite. Il est difficile de savoir l'opinion que Napoléon a prise de notre ambassadeur, tandis qu'on peut très-bien juger des sentimens de celui-ci par la manière de penser des Anglais attachés à sa suite.

En général, Sa Seigneurie a été vue avec plaisir à Sainte-Hélène; ses manières polies et gracieuses nous ont rappelé sir George Cockburn, en même temps que nous étions frappés du contraste qu'elles font avec celles du gou

verneur.

Un des officiers de la frégate m'a dit que le capitaine Maxwell avait été touché de la manière dont Napoléon lui avait parlé de la perte de P'Alceste. Le capitaine Maxwell eut lieu d'être surpris de la mémoire fidèle et locale de Napoléon; car ce prince lui rappela la capture qu'il fit d'une frégate française, en 1811, dans l'Adriatique, ajoutant obligeamment que cette capture compenserait le malheur qu'il venait d'éprouver.

Pendant cette audience, l'Empereur s'occupa particulièrement encore de plusieurs autres per

sonnes. Il parla au chapelain des croyances religieuses des Chinois, et reçut de cet ecclésiastique des réponses si satisfaisantes qu'il pria l'ambassadeur de solliciter de l'évêque de Londres un poste convenable pour un homme qui annonçait autant de mérite. Sa révérence parut enchantée de la recommandation. Napoléon de manda à M. Abel, s'il était de la société royale de Londres, et si sir Banks lui était connu. Il parla de ce savant illustre en termes on ne peut plus flatteurs, et rappela avec plaisir que, du temps de sa puissance, les travaux de sir Joseph et des voyageurs véritablement portés au développement des connaissances humaines, avaient toujours été favorisés par la communication des dépôts scientifiques possédés par la France. Napoléon demanda si le voyageur Banks était le fils de sir Joseph, et lord Amherst répondit qu'il ne se trouve entr'eux qu'un rapport de parenté fort éloigné.

- J'ai observé avec beaucoup d'intérêt l'état d'anxiété dans lequel on était, en général, avant que les dispositions de lord Amherst ne fussent connues. Il semblait que l'honneur de notre na tion fût intéressé à ce que Napoléon vit qu'il y avait, parmi nous, des hommes d'un tel carac tère; et l'on désirait, d'une autre part, que notre ambassadeur pût faire connaître au prince

[ocr errors]

régent et aux ministres de sa majesté la vérita¬ ble position de Napoléon.

1

[ocr errors]

Le canonnier du Baring vient enfin d'obtenir sa liberté, et je puis, sans vanité, me faire les honneurs de cette affaire. On lui a permis d'abord d'aller à Longwood; mais on s'est bientôt empressé d'y ajouter cette condition, qu'il ne pourrait parler au maréchal Bertrand qu'en présence d'un officier anglais. Bertrand, justement offensé de cette condition humiliante, a refusé de voir le canonnier. Cet homme était déjà chez le maréchal, et avait commencé de s'expliquer à Madame, lorsque la volonté du gouverneur leur fut signifiée par un envoyé.

J'ai vu le capitaine Poppleton : cet officier fait à Longwood un service qui dure depuis deux ans; mais il est à la veille de son départ. Il n'a pas cherché à dissimuler le chagrin que lui cause un changement dont tout autre serait enchanté à cause des désagrémens qui résultent de l'humeur capricieuse et versatile des chefs.

Je me suis trouvé à la table des officiers du 539 régiment avec le docteur O'Meara, et lui ai demandé s'il était vrai que l'Empereur eût été dangereusement malade. Il m'a répondu que peu d'hommes étaient doués d'une aussi bonne constitution que co prince. La nature paraît

l'avoir destiné à atteindre un âge fort avancé. Ces heureuses dispositions sont encore favorisées par la sobriété constante et la régularité de son régime; la privation de toute exercice et particulièrement du cheval nuit cependant à sa santé; c'est à cette cause qu'il faut attribuer les maux de dents et les catharres dont il souffre fréquemment. Je tacherai de revoir le docteur et d'en obtenir de nouveaux renseignemens que je vous enverrai sans retard.

Je suis, etc. etc.

LETTTE VII.

MON CHER

Rade de Jame's Town, le 5 juillet 1817.

L'amiral et lady Malcolm viennent de s'embarquer à bord du New Castle et de partir pour l'Angleterre : on les regrette généralement dans la colonie. Le gouverneur a, ces jours passés, montré un vif ressentiment contre deux capitaines de marine, qui, dans un comptoir de la ville, avaient reproché au discours de lord Bathurst de renfermer beaucoup de faussetés. Sir Lowe commence à s'inquiéter de ce que les

« PreviousContinue »