constance. Il s'avisa enfin d'écrire à l'Empereur même, mais c'était moins dans l'espérance de réussir que pour n'avoir pas à se reprocher d'avoir négligé une chance de succès. Huit jours étaient à peine écoulés, qu'il reçut, contre son attente, mais avec la plus vive satisfaction, des passeports, et cette réponse flatteuse: que l'Empereur voulait d'autant plus volontiers faciliter son départ, qu'il n'ignorait pas que ses voyages étaient purement dans l'intérêt des sciences. M. Marning, en conséquence, ne tarda pas à quitter la France. Il visita le Thibet, en traversa les déserts; vit le grand Lama, et accompagna lord Amherst dans sa route jusqu'à Pékin. Sa profonde connaissance de la langue chinoise le mit à même d'être fort utile à sa seigneurie. M. Marning avait quitté Canton avant l'ambassadeur, et n'était que depuis peu à SainteHélène. Vous avez vu sans doute Napoléon, « lui dis-je? - Non, a-t-il répliqué. Le gouverneur « m'a très-bien reçu, mais je n'ai pu obtenir la permission que je désirais. J'ai souhaité aussi « offrir à Napoléon quelques raretés de la Chine « et lui témoigner par là ma gratitude pour la protection que j'en avais obtenue lorsqu'il « était l'arbitre suprême de tant de nations. J'avais la promesse que mon présent lui serait remis; mais on m'avait défendu de l'accom α pagner d'aucune expression de mes sentimens. Mon silence n'a servi à rien; le gouverneur a « tout gardé, et j'en suis encore à deviner en quoi sa surveillance aurait été en défaut si Napoléon «< eût appris que je lui avais envoyé quelques « livres de thé, du tabac et des éventails faits avec « des plumes. D Je dînai le jour suivant à James-Town: la conversation roula de nouveau sur la lettre de M. de Montholon, le discours de lord Bathurst, Napoléon, Longwood et sir Hudson-Lowe. Un de nos capitaines nous fit part que peu de jours après son arrivée, il avait demandé à sir Thomas Reade s'il connaissait la brochure de Santini, et que, sur sa réponse négative, il la lui montra. En y voyant la lettre de M. le comte Montholon, le chevalier s'écria avec emportement: « Comment! «< ils ont pu réussir à répandre ce document en Europe! Ceci prouve clairement que les res⚫trictions n'ont pas été assez sévères. » Dans la discussion très-animée qui s'ensuivit, chacun fut d'opinion qu'il avait toujours été contraire aux principes de la justice que les particuliers ne pussent porter plainte pour leurs griefs; et que lorsque les agens de l'autorité craignent la publicité et s'environnent de ténèbres, on doit s'attendre à ce qu'ils deviendront bientôt criminels; ou plutôt qu'ils le sont déjà. Mille circonstances plus frappantes les unes que les autres furent rappelées, et prouvaient jusqu'à l'évidence les manœuvres inquisitoriales employées pour empêcher jusqu'aux communications verbales entre les Français, les habitans, et les officiers de la garnison. Ce que j'avais entendu dire en Angleterre différait tant de la vérité que je ne pus effacer l'impression pénible que j'éprouvais malgré moi. Cependant deux anecdotes que l'on raconta quelques instans après finirent par distraire agréablement mon esprit, et ont donné encore plus de fixité à certaines idées que vous et moi avons acquises en France. Voici ces anecdotes. Cinq cents prisonniers Anglais, detenus à Givet, remarquèrent un jour plusieurs voitures de voyage qui s'y arrêtèrent jusqu'au lendemain matin. C'était une partie de la suite de l'Empereur et de l'Impératrice, lesquels revenaient alors de la Hollande. Le jour suivant, huit ou dix autres voitures entourées d'une forte escorte et de beaucoup de peuple, s'arrêtèrent également pour la nuit. La ville fut illuminée; la population des environs affluait, parce que l'Empereur était arrivé. Il survint du mauvais temps, la pluie tomba par torrens; les eaux de la Meuse se débordèrent et rompirent le pont de bateaux. Napoléon cependant était très-impatient de partir. On rassembla le lendemain, à la pointe du jour, tous les mariniers de la contrée, pour aviser aux moyens de traverser la rivière. La chose leur parut impossible; il n'y avait, suivant eux, d'autre parti que d'attendre que les eaux fussent moins hautes. « Quand on vint dire à Napoléon que le D passage était impossible: Impossible! s'écria ce Prince, qui n'était pas accoutumé à ce mot-là; il faut cependant que je sois de l'autre côté avant «midi.» Sur-le-champ il alla lui-même reconnaître l'état des eaux, et ne tarda pas à juger, avec son discernement accoutumé, que les gens qu'il avait consultés manquaient de courage et d'expérience. «Il y a ici des prisonniers anglais; qu'on m'en amène trois, dit-il, les plus élevés « en grade. » Conformément à son ordre, un aspirant, celui même de qui je tiens cette anecdote, et deux des plus anciens matelots lui furent présentés. Combien êtes-vous d'Anglais dans les baraques? demanda-t-il. Cinq cents environ, Sire. Y a-t-il beaucoup de marins parmi vous?-Nous le sommes presque tous, • Sire. Bien !..... Allez m'en chercher une « centaine, choisissez les plus habiles; qu'ils « montent ces bateaux; j'aurai besoin d'eux pour ⚫ traverser la rivière. La rapidité du courant et la crue des eaux ont rendu cette opération a « « mer. << difficile et peut-être dangereuse. Quel est votre avis? La croyez-vous possible? Oui, trèspossible, répondit l'un des deux vieux loups de Hé bien, mettez-vous à l'ouvrage, ajouta l'Empereur, et faites votre possible pour que mes équipages soient de l'autre côté avant « midi. » Nos compatriotes exécutèrent ce qu'ils avaient promis. On les avait munis des ustensiles nécessaires; mais la connaissance profonde des ressources de leur métier les servit encore plus que le reste. Tous les Anglais employés dans cette circonstance furent habillés à neuf, et recurent chacun un présent de quelques napoléons avec leur liberté. On voit qu'ils furent généreusement dédommagés de quelques heures de peine. Cette petite histoire a paru faire plaisir à tout le monde; chacun de nous semblait pénétré de reconnaissance envers l'empereur des Français, à cause de la noble confiance avec laquelle il s'était mis à la discrétion de marins anglais, au milieu d'un torrent rapide et dangereux. Je tiens la seconde anecdote d'un officier anglais qui a été prisonnier à Verdun. « On nous traitait parfaitement, dit-il; nous jouissions « des mêmes avantages que les habitans. Nous pouvions aller jusqu'à deux lieues de la ville ⚫ sans permission; on tolérait même que nous |