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Bien nous faut-il prendre le chalumeau, Et tristement, ainsi qu'au renouveau,

Le rossignol au bocage rustique,

Chacun chanter, en pleurant comme un veau : Voiture est mort, adieu la muse antique.

Or, nous serons partout déshonorés.
L'un sera mis en cornets d'épicière,
L'autre exposé dans les lieux égarés
Où les mortels, d'une posture fière,
Lui tourneront, par mépris, le derrière.
Plusieurs seront balayés au ruisseau;
Maint, au foyer traînant en maint lambeau,
Sera brûlé comme un traître hérétique.
Chacun de nous aura part au gâteau :
Voiture est mort, adieu la muse antique.

ENVOI

Prince Apollon, un funeste corbeau, En croassant au sommet d'un ormeau, A dit trois fois, d'une voix prophétique: Bouquins, bouquins, rentrez dans le tombeau ! Voiture est mort, adieu la muse antique.

BALLADE D'ENLEVER EN AMOUR

SUR L'ENLÈVEMENT DE MADEMOISELLE DE BOUTEVILLE

PAR MONSIEUR DE COLIGNY

Ce gentil joli jeu d'amours,

Chacun le pratique à sa guise.

Qui par rondeaux et beaux discours,

Chapeau de fleurs, gente cointise,
Tournois, bals, fêtes ou devise,
Pense les belles captiver;

Mais je pense, quoi qu'on en dise,
Qu'il n'est rien tel que d'enlever.

C'est bien des plus merveilleux tours
La passe-route et la maîtrise;
Au mal d'aimer, c'est bien toujours
Une prompte et souëfve' crise;
C'est au gâteau de friandise
De Vénus la fève trouver.
L'amant est fou qui ne s'avise
Qu'il n'est rien tel que d'enlever.

Je sais bien que les premiers jours
Que bécasse est bridée et prise,
Elle invoque Dieu au secours,
Et ses parents à barbe grise;
Mais si l'amant qui l'a conquise

Sait bien la rose cultiver,
Elle chante en face d'Église,

Qu'il n'est rien tel que d'enlever.

1 C'est-à-dire : il y a des gens qui... - Suave, douce.

ENVOI

Prince, use toujours de main mise, Et te souviens, pouvant trouver Quelque jeune fille en chemise,

Qu'il n'est rien tel que d'enlever.

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Le clergé et l'épiscopat français ont, en tout temps, beaucoup donné à la littérature et à la poésie. Depuis Fortunat jusqu'au cardinal de Bernis, combien ne compterait-on pas de prélats qui, par le génie ou le talent, par un savoir délicat ou par un goût judicieux, se placent de siècle en siècle à côté des grands écrivains et des grands poëtes! Davy Du Perron à côté de Ronsard, Bertaud auprès de Du Bellay, François de Sales au-dessus de d'Urfé, Pierre Camus à côté de mademoiselle de Scudery, Amyot près de Montaigne, Huet entre Bayle et Ménage, Fléchier non loin de Montesquieu, Fénelon au-dessus de tous! Glorieux filon, étincelant dans sa diversité et qui montre qu'en France la conquête des âmes n'est jamais complète sans la domination des esprits. Filon brillant, disais-je, et dont, pour l'honneur de la France et de son Église, l'éclat est pur. Car, si, par le talent comme par la doctrine, l'épiscopat français marche de pair avec toutes les principautés intellectuelles du pays, le bon sens national, la passion de l'honneur et de l'estime publique l'ont sans cesse préservé des excès de l'imagination et de la débauche d'esprit. On ne trouverait pas chez nous de cardinal Bibbiena écrivant et faisant représenter des comédies obscènes.

Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, et qui fut plus tard académicien, a conquis et doit garder sa place parmi les illustrations littéraires du clergé français: il l'a conquise comme littérateur et comme poëte, et comme poëte versifiant. Boileau, qui l'estimait, lui a reproché d'être toujours à jeûn et de ne point s'échauffer assez. Quant à moi, qui viens de relire ses trois volumes de poésies chrétiennes, et qui serais peut-être embarrassé pour en multiplier les extraits, à cause d'une certaine monotonie de sentiment et de style que j'expliquerai

tout à l'heure, je crains que Boileau, fort compétent d'ailleurs pour juger du jeûne, n'ait pas assez tenu compte à Godeau des sentiments dans lesquels il écrivait et surtout qu'il ne lui ait pas assez tenu compte de sa vie ; de sa vie qui ne fut jamais une vie paisible, mais une vie pacifiée. Sa jeunesse avait été joyeuse, turbulente, libertine; Tallemand nous apprend qu'il était enclin à l'amour, changeant, volage, et qu'il tenait tête aux 'Allemands, le verre en main. Il ne faudrait pas croire que le surnom de Nain de Julie qu'il porta à l'hôtel de Rambouillet lui fût donné par mépris de sa personne et parce qu'on le trouvait sans conséquence les anecdotes de Des Réaux en disent là-dessus tout autant qu'il en faut pour nous le faire juger un amoureux passionné, trèspersévérant et même très-pétulant; partant, un amant fort dangereux.

En 1636, il avait trente et un ans, lorsque le cardinal de Richelieu, pour le récompenser d'une paraphrase qu'il avait composée du psaume Benedicite opera Domini, lui fit don d'un évêché. Dès lors, toute cette jeunesse, toute cette étourderie, toute cette pétulance tombèrent : l'Esprit-Saint envahit cette âme tendre: il n'y eut plus qu'un excellent prêtre, qu'un pasteur édifiant par ses bonnes œuvres et par sa vie apostolique. Godeau partit pour son siége de Vence et ne le quitta plus.

Il négligea même de faire régulariser canoniquement la jonction de cet évêché avec celui de Grasse que le cardinal lui avait accordé aussi; et je vois dans cette négligence une preuve de sa charité qui ne voulait pas se partager, et peut-être de son humilité. C'est alors qu'il fut véritablement poëte: il est facile de comprendre cette mélancolie un peu monotone, cette note de résignation et d'humilité qui sert comme de basse continue à ses chants; ses poëmes, ses paraphrases, ses églogues sont des hymnes, des hymnes d'actions de graces et, plus souvent, de pénitence. Quant à ses vers d'amour, il avait écrit à son ami Conrart qui en était le dépositaire, pour qu'il les brûlât. Il est touchant de le voir quinze ans plus tard, en 4650, quitter son siége épiscopal pour venir donner les dernières consolations à la belle Angélique Paulet, qu'il avait aimée d'amour dans sa jeunesse, et pour qui ce sentiment s'était changé, dans l'éloignement et dans l'exercice des vertus pastorales, en charité évangélique. J'ai dit que Godeau était bon littérateur; il a traité l'un des premiers cette question, tant controversée depuis, de la puissance poétique de l'idéal chrétien opposé à l'Olympe. Son discours de la Poésie chrétienne mérite d'être lu, même après le Génie du christianisme.

CHARLES ASSELINEAU.

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