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croire à la renaissance de la poésie chantée, comme les déesses du Louvre et de Fontainebleau peuveut lui donner l'enivrante illusion d'un Olympe. Il n'a pas ressuscité les Pythiques, mais il nous a légué la langue actuelle, la pâte même de la poésie élevée. L'argile que nous modelons, le marbre que nous taillons sont tout à fait siens, le marbre et l'outil! Il eut la grecque fureur, l'amour de Dieu, l'enthousiasme de la gloire, une âme pindarique plus que ses œuvres. Mauvais flatteur et trop indépendant pour se concilier longtemps la faveur des cours, Ronsard finit disgracié, revenu aux grandes pensées, et après avoir trouvé des plaintes éloquentes sur les malheurs des Français châtiés par leurs mains. Il termine sa vie par une belle mort chrétienne digne de l'antiquité, à Saint-Còme, entouré des religieux et dans les bras de son ami Galland. Il expira en héros, en sage, pardonnant à tous et n'ayant jamais nui à personne. A peine est-il couché dans le cercueil, c'est dans toute la France comme un long cri de douleur et d'angoisse." Du Perron, Claude Binet, Daurat, Baïf, Amadis Jamyn, Scaevole de Sainte-Marthe, Galland, Bertaut, Claude Garnier, tous les poëtes les plus éminents se piquent d'émulation pour élever à Ronsard un tombeau qui brave les âges, et, en grec, en latin, en italien, on le chante, on le glorifie pour recommander à la postérité équitable le soin de sa renommée. La postérité n'a pas accepté le legs; elle a renié ce créateur sans lequel elle n'aurait eu ni Corneille, ni Malherbe, ni Chénier, ni les modernes! Un jour, redevenue plus juste, elle lui rendra sa place, et son buste majestueux apparaîtra, comme au frontispice de ses œuvres, élevé sur de puissantes architectures, couronné par les vieux maitres de la lyre, pleuré par un héros armé et par une muse éclatante et nue qui laisse ruisseler sa chevelure blonde avec les flots épanchés de son urne de marbre. Quand Ronsard se déclarait immortel et se couronnait de ses propres mains, il n'était pas guidé par un vain orgueil! Il continuait, réclamait, affirmait le rôle du poëte. C'était le vieil Hésiode, c'était son maître Pindare et surtout les poëtes à venir qu'il couronnait sur son propre front. Quel doit être celui qui parle aux âmes, voilà ce qu'il voulait enseigner à la France en l'entraînant, loin de Marot et de Saint-Gelais, vers le vol des grandes muses. En ses maîtresses, il adorait surtout la beauté impérissable que de tout temps les dieux ont fiancée au génie; il ne se montra si fier, que comme le fils et comme le père de ceux dont la voix ailée voltige parmi les hommes. Laissons-lui donc ce laurier qu'il usurpait non sans justice, et, s'il le faut, rattachons-le sur son front d'une main pieuse, car ce front a porté

la fortune même et l'avenir de la poésie. Dix années d'études ardues, l'intuition vague mais certaine de l'avenir, l'ambition de ressusciter la Grèce parmi les brumes du nord et dans un pays déchiré par les guerres civiles, quarante ans de travaux, l'ennui des cours et la disgrâce des rois, le nom de l'amour glorifié, la France chantée et consolée, une renommée universelle dignement portée, puis la disgrâce, les longues souffrances, l'interminable agonie, une mort chrétienne et stoïque, n'est-ce pas de quoi mériter le noir rameau toujours arrosé de sang et de pleurs? Il n'aura manqué à Ronsard ni l'aspiration vers les infinis du beau, ni le désir de la perfection, ni le martyre, ni l'insulte; ne lui refusons donc pas sa place dans l'Olympe des poëtes, où il a le droit de porter la pourpre, sinon près de ceux à qui il tentait de ressembler, du moins à côté de Virgile et d'Horace, dans ce groupe qui, loin des aveuglantes splendeurs d'Homère, de Pindare et d'Eschyle, traine après lui une douce lueur d'étoiles et de crépuscule.

THEODORE De Banville.

SONNETS

Je fuy les grands chemins frayez du populairc,
Et les villes où sont les peuples amassez :
Les rochers, les forets, desjà sçavent assez
Quelle trempe a ma vie estrange et solitaire.

Si1 ne suis-je si seul, qu'Amour, mon secrétaire,
N'accompagne mes pieds debiles et cassez;
Qu'il ne conte mes maux, et presens et passez,
A ceste voix sans corps 2 qui rien ne sçauroit taire.

Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy,
Je m'arreste, et je dy: Se pourroit-il bien faire
Qu'elle pensast, parlast, ou se souvinst de moy?

Qu'à sa pitié mon mal commençast à déplaire?
Encor que je me trompe, abusé du contraire,
Pour me faire plaisir, Helene, je le croy.

Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de cès fleurs epanies 3:
Qui ne les eust à ce vespre cueillies,
Cheutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes fletries;
Et, comme fleurs, periront tout soudain.

-

1 Pourtant, je ne suis pas si seul qu'Amour... - L'écho. 3 Pour: épaC'est-à-dire : si on ne les eût... - 5 Ce soir. - 6 Tomberont.

nouies.

-

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame,
Las! le temps non, mais nous, nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame:

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, ne sera plus nouvelle:
Pour ce', aymez-moy, ce pendant qu'estes belle.

Genèvres herissez, et vous, houx espineux,
L'un hoste des deserts, et l'autre d'un bocage:
Lierre, le tapis d'un bel antre sauvage,
Source, qui bouillonnez d'un surgeon sablonneux;

2

Pigeons, qui vous baisez d'un baiser savoureux, Tourtres, qui lamentez d'un eternel veufvage, Rossignols ramagers, qui, d'un plaisant langage, Nuict et jour rechantez vos versets amoureux;

Vous à la gorge rouge, estrangere arondelle,
Si vous voyez aller ma nymphe en ce printemps,
Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle,

Dites-luy, pour neant, que sa grâce j'attens,
Et que pour ne souffrir le mal que j'ay pour elle,
J'ay mieux aimé mourir que languir si longtemps.

Vous mesprisez nature: estes-vous si cruelle
De ne vouloir aymer? Voyez les passereaux
Qui demenent l'amour, voyez les colombeaux;
Regardez le ramier, voyez la tourterelle:

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Voyez, deçà delà, d'une fretillante aile
Voleter par les bois les amoureux oiseaux;
Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,
Et toute chose rire en la saison nouvelle.

Icy, la bergerette, en tournant son fuseau,
Desgoise ses amours, et là, le pastoureau
Respond à sa chanson: icy, toute chose aime,

Tout parle de l'amour, tout s'en veut enflamer:
Seulement vostre cœur, froid d'une glace extrême,
Demeure opiniastre et ne veut point aimer.

Je mourrois de plaisir, voyant par ces bocages
Les arbres enlacez de lierres espars,
Et la verde lambrunche 2 errante en mille pars
Sur l'aubespin fleuri près des roses sauvages.

Je mourrois de plaisir, oyant les doux ramages
Des hupes, des coqus et des ramiers rouhars
Dessus un arbre verd, bec en bec fretillars,
Et des tourtres, aux bois, voyant les mariages.

Je mourrois de plaisir, voyant, en ces beaux mois,
Debusquer un matin le chevreuil hors du bois,
Et de voir fretiller dans le ciel l'alouette;

Je mourrois de plaisir où je languis transi,
Absent de la beauté qu'en ce pré je souhaite :
Un demy-jour d'absence est un an de souci.

1 Raconte.-2 Vigne vierge. tir brusquement, déboucher.

- 3 Pour coucous. - Roucoulants. "Sor

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