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d'un autre édifice construit en assises d'un fort volume, les unes blanches, les autres noires. Parmi ces débris est un tronçon de colonne. En cet endroit, un pilier est resté debout, préservé sans doute par la pesanteur et la masse du bloc dont il se compose. Ce monolithe présente, sur sa face polie et d'un beau grain, une sculpture tout à fait différente de celles qui se trouvent ailleurs en Perse. Elle représente un personnage vêtu d'une longue robe à franges, qui, avec une tête humaine de profil, a une corne contournée audessus de l'oreille. Sur le sommet de sa tête sont deux autres grandes cornes de bouquetin, projetées en avant et en arrière, sur lesquelles sont posés trois objets semblables qu'on ne peut définir, mais qu'on peut prendre pour des vases sur lesquels il y aurait trois boules ou pommes. Quatre grandes ailes sont attachées à cette figure symbolique. Deux se développent derrière et deux devant. Au-dessus de la tête sont quatre lignes en caractères cunéiformes.

On trouve encore un autre pilier qui porte également une inscription de quatre lignes.

Au nord de l'emplacement sur lequel sont ces derniers débris s'élèvent, plus haut qu'aucune des ruines précédentes, celles d'un édifice dont il est impossible de reconnaître le caractère. Il était construit en fortes assises dont quelquesunes se sont maintenues.

La grande plaine arrosée par la rivière de Morghâb est, pour ainsi dire, divisée en deux parties par la réunion de cinq petites collines isolées, groupées à peu près vers le milieu de sa longueur. D'un côté est le territoire proprement dit de Morghab où est le bourg qui porte ce nom. De l'autre,

au sud-ouest, est la vaste solitude où sont éparses les ruines de la ville, sans nom authentique, mais auxquelles le tombeau que j'ai décrit a fait donner le nom de Mâder-i-Suleiman. Il est, d'après l'inspection des lieux, très-probable que le groupe de collines situées au nord-est des ruines, bornait le territoire de la ville, peut-être même lui servaient-elles de défense de ce côté. En effet, sur l'une d'elles, la plus rapprochée des ruines, on aperçoit une masse énorme de maçonnerie, qui semble être le reste d'une fortification. La manière dont ce grand massif est construit, sa position dominante et son plan même, tout porte à penser qu'il est la base d'une citadelle. Cependant, comme on pourra en juger par d'autres ruines analogues, il ne faudrait pas, à ces seuls indices, décider cette question; car les anciens monarques de l'Asie faisaient ordinairement bâtir leurs palais ou les temples sur des lieux élevés. (4)

CHAPITRE XXXIV.

Départ de Mader-i-Suleiman.

Hussein-Abad.

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Mauvais vouloir du Ketkhodah. Campement. Commen

cement de nos travaux à Nakch-i-Roustam.

Le 9 octobre, après une halte de deux jours à Mâder-iSuleïman, nous pliâmes notre tente de grand matin. Des karatchaders qui campaient dans le voisinage, et chez lesquels nous avions trouvé les provisions nécessaires à notre petite troupe, étaient venus nous saluer au départ. Ils prirent à part Ressoul-Bek et lui dirent qu'ils nous conseillaient de ne pas nous séparer les uns des autres, de ne pas nous éloigner de nos bagages, parce que nous pourrions être attaqués dans les gorges de la montagne au travers de laquelle nous allions nous engager; ils dirent même qu'ils savaient que l'on devait nous y attendre. Nous connaissions les Iliàts pour des gens auxquels il ne fallait pas se fier. Nomades et changeant de lieu souvent, il leur est plus facile qu'aux populations sédentaires de se livrer impunément au brigandage quand ils en trouvent

l'occasion. Je pensai que ceux-ci pouvaient bien avoir des vues sur nous, et que l'avis qu'ils nous donnaient était une manière de nous éprouver. Ils voulaient peut-être, avant de s'engager dans une aventure qui pouvait leur offrir des chances défavorables, tåter le terrain et voir ce qu'il y avait à espérer. La façon dont nous accueillerions leur communication, en apparence officieuse, devait sans doute leur faire estimer ce qu'ils pouvaient attendre de nous, selon l'impression que nous en témoignerions. Si nous en avions été intimidés, ils en auraient naturellement conclu qu'une attaque pouvait réussir. Des gens qui ont peur sont à moitié vaincus. Mais il n'en fut point ainsi. Nous étions assez familiarisés avec les périls du voyage, nous connaissions suffisamment le pays et ses habitants pour ne pas redouter le danger dont on nous menaçait. Nous avions d'ailleurs confiance en nous; il eût fallu une troupe nombreuse et bien déterminée pour nous barrer le passage. Nous répondîmes donc aux Iliâts que nous ne craignions rien, et que si nous trouvions devant nous des voleurs nous avions quelques balles à leur service.

Néanmoins, il pouvait être prudent de ne pas dédaigner complétement l'avertissement des karatchaders. Nous nous trouvions sur la lisière du pays des Bactyaris. Devant nous s'ouvrait un défilé d'un aspect sauvage, et à chaque détour chaque roche pouvait servir d'embuscade à des maraudeurs. Nous savions que la contrée que nous allions parcourir était infestée par les montagnards dont les repaires la dominent. Nous résolumes, en conséquence, de ne point nous séparer de nos tchervadars et de les accompagner pendant toute cette journée.

La route étroite et àpre que nous suivions était frayée au milieu des broussailles et des rocs détachés des flancs de la montagne. Celle-ci nous dominait à pic et très-élevée sur notre droite; à gauche elle était un peu plus éloignée de nous, et moins haute, mais avait une physionomie tout aussi sévère. Entre ces deux murailles coulent, souvent encaissées, quelquefois libres et se divisant en plusieurs ruisseaux, les eaux du Morghàb-Sou. Les bords en sont partout couverts d'arbrisseaux. Leurs racines plongeantes obstruent le lit de la rivière, et leurs longs rameaux, retombant en berceau, y baignent l'extrémité de leurs feuilles sous lesquelles se cachent des troupes de canards et d'autres oiseaux aquatiques. Cà et là, de grands arbres aux branches puissantes, au tronc vigoureux, attestent que si la Perse est aujourd'hui dépouillée, dénuée de végétation, c'est moins la faute de la nature que celle des hommes. Il est vrai de dire que dans ce pays l'eau est rare. Mais à cette cause naturelle il s'en joint assez d'autres qui tiennent à la négligence, à l'imprévoyance des Persans pour qu'on puisse à bon droit les accuser de l'état misérable dans lequel est leur pays sous ce rapport. Parmi ces causes j'en citerai une qui est frappante en Perse, comme dans tout l'Orient, pour faire le charbon on met simplement le feu à une certaine étendue de bois; puis on laisse gagner l'incendie qui ne s'arrête que quand il ne rencontre plus aucun aliment. Quel n'a pas dû être le résultat destructif de cette barbare méthode depuis des siècles! Il ne faut point chercher d'autre explication de la disparition des forêts qui autrefois couvraient certaines contrées dans lesquelles aujourd'hui on ne trouverait pas le plus petit brin d'arbrisseau. On ne comprend pas que, sous

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