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même henne, les mains jusqu'aux poignets, ainsi que la plante des pieds, et de peindre leurs ongles avec du carmin.

Avant de quitter Ispahan nous allâmes faire une visite d'adieu au Meuhthamèt pour le remercier de ses bontés. Il fut aussi bienveillant et aimable que je l'avais vu précédemment. Il me dit que je pouvais compter sur sa protection tant que je serais dans son gouvernement, et qu'il l'étendrait aussi loin qu'il le pourrait au delà de ses limites. Je pus me convaincre, à l'étiquette qui régnait chez Manoutcher-Khan, aux personnages qui composaient son divan, et à tout son entourage, qu'il jouissait de la plus grande considération à Ispahan. Non-seulement aucun désordre grave n'avait troublé la tranquillité de la ville depuis qu'il en avait pris le commandement, mais son nom seu inspirait 'aux uns une telle crainte et aux autres une confiance si grande, que sa popularité avait pris un ascendant extraordinaire sur les habitants de toutes les classes. J'étais très-heureux de voir quelle autorité et quelle puissance morale le Meuhthamet avait acquises, car nous allions laisser de nouveau M. Boré seul à Ispahan. Ses travaux, ses efforts pour y établir un collége français sur des bases durables, avaient besoin d'être encouragés, soutenus par l'autorité. Quelques Musulmans, mais plus encore les Arméniens, surtout les prêtres schismatiques, lui suscitaient une foule de difficultés et lui tendaient des piéges de toute espèce. Il ne se laissait pas prendre à ceux-ci, et le noble but qu'il se proposait lui donnait le courage et la force de tourner ou de briser celles-là. Cependant l'animosité et la jalousie de l'évêque et de ses vartabeds pouvaient devenir

dangereuses ou tout au moins gênantes, assez pour que M. Boré dût recourir à l'autorité de Manoutcher-Khân. Il était donc rassurant de savoir que le gouverneur était animé des meilleures intentions à son égard et tout disposé à lui accorder sa protection.

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Nous avions fait à Ispahan un séjour de quelques semaines pour attendre l'abaissement d'une température caniculaire, nous pensâmes à nous remettre en route et à continuer nos excursions. Elles devaient, cette fois, nous conduire dans le sud de la Perse et atteindre le golfe Persique. Afin de réussir, d'être plus dispos dans cette longue course, et plus en état de nous livrer aux études qu'elle devait nous offrir, il était important de laisser aux vents d'automne le temps de dissiper les miasmes fébriles qui planent, pendant l'été, au-dessus des contrées que nous avions à visiter et où nous pensions devoir fixer notre tente. J'étais d'autant plus désireux de voir le soleil perdre de sa force, et une saison plus fraîche succéder aux chaleurs qui nous avaient accablés, que je sentais déjà en moi le germe et les avant-coureurs de la fièvre.

Nous sortimes d'Ispahan, ou pour mieux dire de Djoulfah,

accompagnés de notre excellent hôte M. Boré qui nous fit la conduite jusqu'à une heure de la ville. Tout le monde paraissait joyeux autour de moi, chacun était enchanté de marcher en avant. Il faut dire qu'en effet, dans ce pays où la vie est si peu en harmonie avec les habitudes européennes, on préfère, malgré les privations qu'elle impose, celle qui est active et passée à chevaucher à travers les solitudes et les ruines où du moins l'œil est distrait par le changement d'aspect des lieux qu'on parcourt. Moi seul j'étais morne, et me souciais peu des nouveautés qui m'attendaient sur mon passage. J'étais dévoré par la fièvre; l'accès était arrivé à son paroxisme, et j'avais peine à me tenir à cheval; la chaleur m'accablait. Nous marchions à peine depuis deux heures, et nous savions que le caravansérail où nous devions nous arrêter était à dix heures d'Ispahan. Je finis par me cramponner à l'arçon de ma selle, et je me laissai porter par mon cheval à qui je lâchai la bride que je n'avais plus ni la force, ni la volonté de tenir.

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Le chemin était rude, rocailleux; mon cheval trébuchait souvent. Chacun de ses faux pas me causait de vives douleurs dans la tête et dans les entrailles. Je jouais de malheur il y avait six semaines que je me reposais à Ispahan, et cette maudite fièvre s'emparait de moi le jour même de mon départ. J'en étais d'autant plus affligé que je croyais, par la maladie cérébrale que j'avais faite, avoir largement payé mon tribut au climat. Mais que faire? subir mon sort, m'armer d'énergie pour endurer le mal, de courage pour porter en croupe ce lourd et incommode bagage.

Après avoir traversé un long défilé, et suivi longtemps le pied des montagnes que nous avions à notre gauche, nous

arrivâmes, à cinq heures du soir, à Mayar. Nous entrâmes dans le caravansérail où je ne pus descendre de cheval sans l'aide de deux hommes. Je me jetai de suite sur un tapis et restai abattu jusqu'au lendemain.

Le caravansérail de Mayar est un des plus beaux de la Perse. Les voyageurs le doivent, dit-on, à la mère de Châh-Abbas : il a été construit, non-seulement de manière à satisfaire aux habitudes persanes, mais encore avec une élégance qui en fait un monument dans son genre. En dépit du nom qui s'y rattache, et de son utilité pour les nombreuses caravanes qui s'y arrêtent, cet édifice est déjà délabré, et tombera bientôt en ruine. Dehors, il y a une citerne dans le réservoir de laquelle l'eau se maintient toujours. En face, est un village où l'on trouve tout ce dont on peut avoir besoin en fait d'aliments ou de provende pour les animaux.

Mayar est la première étape sur cette route qui mène à Chiraz. La seconde est Koumichâh qui est à six heures plus loin. Ce fut autrefois une ville d'une assez grande étendue, aujourd'hui ce n'est plus qu'un amas de ruines au milieu desquelles quelques maisons, restées debout, abritent un petit nombre d'habitants. L'importance trompeuse de Koumichâh est aussi due à de vastes jardins clos de murs et à une grande quantité de pigeonniers du genre de ceux dont j'ai déjà fait mention comme existant autour de Djoulfah. Cette ville fut florissante au temps des Sophis. Comme à beaucoup d'autres, les révolutions et les guerres intestines lui furent fatales.

Nous logeâmes chez un habitant qui nous reçut de son mieux, mais qui aurait sans doute été bien embarrassé

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