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étaient nestoriens dans le principe. Il y a un siècle environ, un jeune homme, chaldéen comme eux, vint de Diarbekhr où il exerçait la profession de teinturier, et il apporta dans le district de Selmas une ardeur de foi catholique si vive, si expansive, qu'il la communiqua à tous ceux qui le fréquentaient. Ce jeune néophyte, qui avait été converti lui-même par des missionnaires dominicains, opéra, en commençant par son apprenti, la conversion de tous les chrétiens de sa nation, parmi lesquels la foi catholique se propagea rapidement. Ils vivent maintenant sous la direction spirituelle d'un évêque qui est le patriarche général de la Chaldée.

Khosrovâh a un aspect d'aisance inaccoutumée en Perse. Cependant, les habitants sont, comme tous ceux des autres parties de ce pays, accablés d'impôts qui probablement sont plus lourds, à cause de leur qualité de chrétiens. Mais leur industrie plus développée, leur travail plus intelligent et plus assidu, viennent en aide à leurs charges et les mettent à même de vivre moins misérablement que le grand nombre des populations musulmanes. Nous restâmes un jour entier à Khosrovâh.

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Le 10 nous quittâmes Khosrovâh, et, achevant de traverser la belle et fertile plaine de Selmas, nous nous avançâmes vers de petites montagnes qui la bornaient au sud. Elles formaient comme une presqu'île dont la pointe étroite se projetait dans le lac, au sud-est. Nous ne tardâmes pas à pénétrer dans une gorge étroite qui donnait passage à la route d'Ourmyah. Le chemin y était rude, et les rochers qui le bordaient soutenaient des sommets élevés à droite et à gauche. Nous y traversâmes un ruisseau qui se frayait un lit rocailleux au travers des accidents de la montagne pour aller rejoindre les eaux du lac. Après quatre heures de marche, nous atteignîmes le village de Zindèh. Nous laissions alors derrière nous la première moitié du défilé; nous franchîmes rapidement la seconde, et, au débouché, nous nous trouvâmes sur la plage sablonneuse du lac qui n'était pas éloigné de la route. Au pied de la montagne et au bord de l'eau, était le petit village de Djemalavah que nous aperçûmes dans un intervalle capri

cieux existant entre la chaîne que nous venions de couper, et une longue roche étroite qui se prolongeait sur le rivage. Ce rocher solitaire, dont nous suivîmes le pied pendant plus d'une heure, avait des formes bizarres. Çà et là des parties verticales déchiquetées semblaient représenter des ruines. Dans l'espérance que ce n'était pas une illusion, je l'escaladai, afin de voir de près ce qu'étaient ces découpures qui avaient l'apparence de constructions. Mais j'en fus pour mes peines et mes recherches; je ne vis rien autre chose que des roches dont certaines parties, plus dures que d'autres, avaient résisté à l'action des pluies, et qui s'étaient maintenues dans une position verticale qui leur donnait l'aspect de vieilles murailles. Je reconnus bien, en un endroit, des traces de maçonneries, mais elles étaient modernes et ne présentaient aucun intérêt. Mes peines pour atteindre au sommet de ce rocher ne furent cependant pas entièrement perdues; j'y trouvai une compensation dans le magnifique panorama qui se développait dans toutes les directions. On apercevait de là le lac presqu'en entier, ainsi que les rivages baignés par ses eaux. En face étaient le territoire de Maragha et les grandes montagnes du Kurdistan persan. A droite s'élevait la chaîne que nous devions traverser pour nous rendre à Solimanyèh ; à gauche s'étendait la vaste plaine de Tassouitch, dominée par les montagnes de Khoï. Une ile verdoyante, mais où rien ne trahissait la présence des hommes, s'élevait au milieu du lac. Derrière nous, comme un mur infranchissable, se dressaient tout près les montagnes sauvages du Sandjak de Van.

A la pointe sud de la colline rocheuse que j'avais explorée était un fort village du nom de Khouloundji où nous passâmes la nuit. De cet endroit nous devions, pendant plusieurs

jours, côtoyer le lac qui, plus ou moins rapproché de nous, resta toujours en vue. En partant de Khouloundji nous marchâmes quelque temps sur une plage de sable; mais peu à peu ce sol mouvant, humide, disparut sous des marécages très-étendus au milieu desquels il eût été dangereux de s'avancer. Nous suivimes donc la route tracée qui se rapprochait du pied des montagnes. Nous y rencontrâmes d'abord bien peu de villages, et le pays nous sembla peu propre à la culture. Mais, lorsque nous eûmes traversé, sur un pont, la rivière de Djougoulali, nous entrâmes dans une contrée d'un aspect tout différent. Les villages étaient très-rapprochés les uns des autres, et leur territoire nous parut être d'une fertilité extrême. Des champs, des jardins, des plantations de tabac et de coton, des arbres de toute espèce donnaient à ce district un air d'abondance et une physionomie riante qui nous frappaient d'autant plus que nous les avions rencontrés plus rarement. Tout ce pays fait partie du territoire d'Ourmyah qui a, en effet, une réputation de fécondité aussi bien établie que celle de sa population qui passe pour la plus brave, mais la plus turbulente de tout le royaume. Cette population se compose de tribus turques dont l'établissement dans ces contrées remonte à Tchenghiz-Khân. Parmi elles se distingue celle des Affchars, qui fournit au Châh ses meilleurs serbâs, et au gouverneur de la province les loutis les plus dangereux et les plus incorrigibles.

Après Djougoulali, nous ne tardâmes pas à rencontrer une nouvelle rivière. Avant de la franchir, nous nous arrêtàmes au village de Ouzarlou qu'elle baigne du côté du sud. Nous n'avions marché que six heures; toutes nos journées, depuis notre départ de Tabriz, avaient été courtes. Cela tenait à ce

que notre tchervâdar ne nourrissait ses mules qu'avec de l'herbe; il suivait l'usage qui, en dépit des voyageurs, veut que dans cette saison on mette les mules au vert. Les muletiers prétendent que cette nourriture est favorable à leurs animaux, qu'elle les refait et les empêche d'avoir des maladies que le rude service auquel ils sont voués leur donnerait infailliblement. Mais, s'il y a quelque chose de vrai dans ce système, il faut dire que la principale raison en est l'économie, parce qu'au printemps il se trouve presque partout une herbe fine et nouvelle dont les mules et les chevaux sont trèsfriands; elle ne coûte rien, ou seulement quelques chaïs, et les muletiers trouvent un grand bénéfice dans cette provende à bon marché. A la vérité, les animanx ainsi alimentés ne peuvent faire de longues traites, les étapes qu'ils fournissent sont plus courtes que lorsqu'on les nourrit de paille et d'orge, et les muletiers allongent ainsi beaucoup leurs voyages. Mais, pour les Orientaux, le temps n'est rien, il semble qu'il n'ait point de valeur, et peu leur importe le nombre de jours qu'ils mettent pour se rendre à leur destination. Nous étions alors victimes de cet usage du vert, et nous marchions lentement. Mais nos muletiers devant nous mener jusqu'à Bagdad, c'està-dire faire plus de deux cents lieues, dans une saison où la chaleur se faisait déjà sentir, et où nous devions la trouver accablante dans les plaines de la Mésopotamie, nous étions obligés de nous résigner.

A Ouzarlou nous avions pour hôtesse une vieille femme seule qui nous abandonna, pour la journée, la plus graude partie de sa maison. Remplie d'attentions et de soins hospitaliers, elle ne nous laissa manquer de rien. Son intérieur avait un air de bien-être passé. A mille détails, on reconnais

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