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enfanté les plus suaves créations, imaginé les plus subtiles raffinements de la jouissance. - Dans un large bassin, toujours plein d'une eau limpide et profonde, se baignent seize cariathides en marbre, groupées par quatre, et supportant quatre colonnettes de glaces et d'or, le long desquelles se glisse une douce lumière; - sur sa nappe tranquille posent de larges nénuphars en cristal, desquels s'échappent, comme de longs pistils, de gracieux jets d'eau. Leurs gouttes, éparpillées, rafraîchissent la dalle. -Partout de vives peintures, des sculptures gracieuses, de riches mosaïques : - cent miroirs, comme si ce n'était pas assez d'une réalité, répètent les charmants détails de cet ensemble enchanteur. Mais c'en est assez. Tu vas peut-être, lecteur, vendre ton âme pour cette vie asiatique enchâssée de perles, d'or, de saphirs, où tu entrevois à chaque pas une joie nouvelle, où tu crois que chaque heure donne un bonheur nouveau: - c'est là que demeure le vieux et austère eunuque Manoutcher-Khân.

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Le palais de Kalvèt-Serpouchideh est d'une date récente; il fut construit par le prince Sefi-ed-Doulèt, fils de Fet-AliChâh, qui eut en partage le gouvernement d'Ispahan. Il n'avait pas eu l'ambition de rivaliser avec les splendeurs de Châh-Abbas; il n'avait pas visé aux grandeurs somptueuses du Tchehel-Sutoun. Homme de goût et de plaisir, épicurien de l'école d'Hafiz, le Châh-Zadèh avait conçu l'idée d'un paradis à son usage, il l'avait réalisée. Entouré des ruines des Sophis, redoutant la tristesse de ce spectacle de dévastation et de misère que l'époque actuelle mettait sous ses yeux, il avait réussi à charmer les siens par tout ce que l'art et l'imagination pouvaient enfanter de plus délicat et

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de plus galant. Mais combien d'exactions furent le prix des plaisirs du prince? Voilà ce que je ne sus pas, et ce que pourraient dire les Ispahanis. - Dépossédé, par suite du système adopté par Mehemet-Châh, comme la plupart des princes de sa famille, il vit modestement aujourd'hui à Téhérân; rêvant avec tristesse à son délicieux Amarat. — Souhaitons-lui des souvenirs qui le consolent des plaisirs qu'il a perdus.

CHAPITRE XXXII.

Un agent anglais. — Bazars d'Ispahan. — Intérieur persan. — Repas. — Musique. Habillement. - Visite d'adieu à Manoutcher-Khân.

Le nombre des hôtes que M. Boré recevait obligeamment dans sa maison s'augmenta d'un nouvel arrivé. C'était cet Anglais dont j'avais reçu la visite à la grotte de Tàgh-iBostan. On se rappelle qu'il m'avait écrit pour me donner avis de son arrestation par le Serdâr, qui l'avait envoyé au camp du roi ainsi que son compagnon de route. Là, le premier ministre l'avait reçu mieux qu'il ne s'y attendait. - Car il faut dire que les Persans sont sans méchanceté et naturellement portés à la bienveillance; ils conservent les formes habituelles d'une politesse affable, même à l'égard des gens dont ils ont à se plaindre. plaindre. Après les ordres qui avaient été expédiés à Kerman-Chah, ces voyageurs étaient devenus les hôtes du Châh. Le vizir leur assigna une tente au milieu du camp, et, bien qu'ils y fussent gardés à vue, ils y étaient très-bien traités. On fournissait à tous leurs besoins, et on le faisait avec une libéralité qui ne laissait

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rien à désirer. Après quelques jours passés au camp royal et plusieurs entrevues avec les autorités, après beaucoup de pourparlers, l'un de ces deux Anglais, qui voulait se rendre dans l'Inde par l'Affghanistan, partit pour Téhérân où il devait prendre la route du Khorassân. Quant à l'autre, il avait simplement annoncé le désir de visiter la Perse et d'y recueillir quelques notes archéologiques. Hadgi-MirzaHagassi avait de bonnes raisons pour douter de sa sincérité; il ne croyait guère à ce qu'il disait et craignait ce qu'il ne disait pas. Il n'avait pas tort, comme on le verra par la suite. Néanmoins, n'ayant que des soupçons, et le ministre de Russie intercédant en faveur de ce jeune homme qui d'ailleurs ne paraissait pas dangereux, le vizir lui permit de rester à Ispahan.

Dans ce moment-là, les Anglais cherchaient à fomenter la révolte chez les Bactyaris, espérant les décider à se rendre indépendants du Châh, ce qui devait entraîner tout le littoral du golfe Persique. Le hadgi craignait, non sans raison, que son prisonnier ne profitât de sa liberté, s'il la lui rendait, que pour se jeter dans les montagnes du Khouzistân et n'allàt tendre la main aux agents de l'Angleterre qui se trouvaient déjà de ce côté. Il le fit donc accompagner par des cavaliers qui avaient l'ordre de le conduire à Ispahan par une route qui leur était désignée, et de ne le quitter que rendu dans cette ville, après avoir donné au gouverneur avis de son arrivée. C'est dans cet équipage et ainsi escorté qu'il vint un matin descendre de cheval à la porte de M. Boré, qui le reçut cordialement. Les aventures de ce jeune homme, la défiance persistante du gouvernement persan à son égard, et les réflexions que nous suggéra sa con

versation, finirent par nous convaincre qu'il était réellement un de ces agents sans caractère officiel, mais aussi entreprenants que persévérants, que l'Angleterre lance partout où elle a des vues à poursuivre, des intérêts à conserver.

A cette époque, il couvait sur plusieurs points de la Perse des révoltes qui menaçaient d'envahir toutes les provinces. La faiblesse du vieux Mollah qui dirigeait les affaires publiques et régnait pour le roi malade et débonnaire, encourageait l'esprit de rébellion. Les tribus toujours Hâhssi s'étaient armées les premières. Un rebelle, Aga-Khân, chef de secte par politique, voleur par besoin et par occasion, avait levé la bannière sous laquelle les débris des bandes de loutis d'Ispahan et quelques sophis fanatiques étaient venus se ranger. Après avoir quelque temps intercepté les routes du centre, avoir pillé les caravanes et les villages, il s'était jeté du côté de Kerman où il avait de nombreux partisans. Mais les plus redoutables ennemis qui menaçaient alors la Perse étaient les Anglais. Mécontents des suites qu'avait eues pour eux le siége d'Hérât, bien qu'il eût été levé, ils ne pouvaient pardonner au Châh d'avoir expulsé de Téhérân le représentant britannique. L'esprit de rancune avait fait alliance avec l'esprit d'envahissement, et, sur plusieurs points du territoire persan, ils se montraient ou agissaient sourdement, de manière à susciter des difficultés au gouvernement de ce pays. Ils étaient à Khiva, à Herat dont ils étaient restés les maîtres; ils s'étaient avancés jusqu'à Ouriân, sur la limite du Khorassan. A leurs instigations les Beloutchs menaçaient de conduire de nombreux auxiliaires à AgaKhân, et de mettre le siége devant Kermân dont le gouverneur venait de perdre son frère tué par les révoltés. Les

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