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tout vivant dans son four. On dit que les Téhérânis et le roi applaudirent beaucoup à cette exécution.

Le principe de la législation est la peine du talion, pour les cas où elle peut être appliquée. L'amende, la peine de mort, la bastonnade, et en général les châtiments corporels, sont les peines infligées. Quant à la détention, elle est inusitée. Lorsqu'il y a meurtre, on livre le coupable à la famille du défunt pour qu'elle en dispose à son gré; elle peut le tuer, lui faire donner de l'argent, ou lui pardonner. Il est complétement à sa discrétion.

La loi qui régit toutes les sociétés musulmanes, le Koran, autorise la pluralité des femmes; cependant il établit des différences entre elles. Ainsi, il n'en permet pas plus de quatre légitimes, c'est-à-dire vivant toujours avec leur mari et ne pouvant être répudiées par lui selon son bon plaisir. Ces épouses sont appelées Nikià. A côté d'elles, un musulman peut avoir, sous le nom de Muthèh, autant de femmes illégitimes ou concubines qu'il lui plaît. Dans cette seconde catégorie, il y en a qui sont achetées, d'autres qui sont simplement louées. Leur maître les chasse ou les vend quand il ne s'en soucie plus. Le second mode de possession, la location, constitue ce qu'on nomme un mariage à temps, et ce temps est indéterminé. Il peut être fort court; sa durée dépend exclusivement des conventions stipulées entre les parties contractantes. Cette union temporaire a lieu moyennant un prix convenu, et le marché est passé en présence d'un mollah ou devant le Cadi. L'engagement pris par l'homme n'est pas irrévocable, il lui est loisible de renvoyer la Muthèh dont il ne veut plus, mais à la condition de payer la somme promise; si, au contraire, elle lui plaît encore, à

l'expiration du bail, il peut, d'après un nouvel arrangement, le prolonger. Bien que cet usage soit sanctionné par la loi, il existe cependant une différence très-sensible, dans l'intérieur des harems, entre les épouses légitimes et les concubines. Celles-ci, réservées aux plaisirs du mari ou occupées des soins du ménage, ne vont pas de pair avec les autres et sont toujours tenues vis-à-vis d'elles dans une position d'infériorité dont elles ont quelquefois à souffrir cruellement. Car ce que le Koran permet, le cœur ou la vanité ne le souffre pas toujours. Cette distinction entre les Nikià et les Muthèh n'existe nullement entre leurs enfants. D'après la loi musulmane, la valeur de l'origine ne dépend que du père, et tous les enfants qu'il a, quel que soit le titre de leur mère, sont légitimes. La différence entre une concubine et son fils est si grande, que celui-ci reste avec son père quand bien même sa mère est répudiée. Il y a là quelque chose de barbare à quoi il est bien difficile de croire que les pauvres mères puissent se soumettre. Peut-on penser que le sentiment maternel s'accommode d'un usage contre nature, et que la tendresse d'une mère ne se révolte pas contre une loi qui ne reconnaît que les droits du père?

Si la rupture des mariages temporaires est facile, il n'en est pas de même pour les mariages légitimes ou sérieux. Le divorce est considéré par les Persans comme un scandale, et il n'est accordé à ceux qui le souhaitent, qu'à des conditions pécuniaires si onéreuses qu'ils reculent ordinairement devant. Mais il faut dire que dans un pays où le mari a d'aussi grands priviléges, où il lui est si facile de prendre une nouvelle femme, le divorce est inutile.

L'usage et le bénéfice de la loi mahométane, en ce qui

concerne le nombre des femmes légitimes ou autres, est le privilége de quelques personnages riches; car il faut avoir de grands moyens d'existence pour entretenir un harem et satisfaire non-seulement aux besoins, mais aussi aux caprices d'un certain nombre de femmes. Aussi les Persans qui profitent de toute la latitude accordée par le Koran sont-ils très-rares; on ne les trouve guère que parmi les Châh-Zadehs ou les Khans les plus opulents. Quant à la classe moyenne ou à celle des raïas, elles sont trop misérables pour se donner le luxe de la polygamie, et chaque homme n'y a guère qu'une seule femme.

Rien ne pouvant plus nous retenir à Ispahan, nous fìmes nos adieux à notre hôte obligeant, et quittâmes tristement M. Boré que nous laissions à regret dans ce pays où nous entrevoyions pour lui des difficultés et des tribulations infinies. Le 10 mars nous suivions la même route et nous nous arrêtions aux mêmes lieux que lors de notre voyage avec l'ambassadeur. Le 14 nous descendions de la montagne de Khouroud vers Kachân, lorsque, arrivés dans la plaine, nous vîmes audessus de l'horizon, au sud-ouest, s'élever lentement dans l'air une large bande rougeâtre, épaisse, dont le soleil éclairait le bord sans pouvoir pénétrer sa masse opaque. C'était un de ces ouragans, une de ces tempêtes terrestres qui se forment dans les immenses déserts de l'Asie; c'était le Sam si redouté des voyageurs. Un vent terrible et sec, refoulé par le nuage qui montait toujours, commença à soulever autour de nous des tourbillons de poussière; ces trombes s'élevaient dans l'air et y formaient de nouvelles nuées qui se rapprochèrent et grossirent la masse de celles qui continuaient à avancer sur nos têtes. L'atmosphère en fut bientôt obscurcie; le flot de

sable montait sans cesse et le ciel ne se voyait plus. Nous étions suffoqués; nous avions beau nous envelopper et nous cacher dans nos manteaux, un sable fin, poussé avec une force irrésistible, pénétrait nos habits; nous l'aspirions par le nez, par la bouche; il s'infiltrait, pour ainsi dire, dans nos pores. Nos chevaux avaient peine à prendre leur respiration et ne marchaient qu'à regret contre l'ouragan. Nous nous trouvions dans un milieu épais et rougeâtre où nous voyions à peine à trois pas devant nous. Nous vou lions nous soustraire le plus vite possible à cette tempête et gagner Kachân dont nous étions tout près; mais l'obscurité nous faisait craindre de hâter notre course qui serait devenue dangereuse. Nos Persans se disaient avec effroi Bâd-Chariar!... C'est ainsi qu'ils désignent ces rafales surgies dans les déserts et qui les balayent dans toute leur étendue.

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Nous arrivâmes avec peine à la porte de Kachân; les rues sombres, les bazars obscurs et en partie clos, les rues désertes, tout semblait étouffé sous le poids de cette atmosphère épaisse qui était inopinément venue peser sur le pays. Nous traversâmes rapidement la ville pour aller nous mettre à couvert dans le Caravansérail-Cháh qui est à l'extérieur. L'ouragan n'avait point cessé, mais sa violence était beaucoup diminuée. Sur la fin du jour, l'air se rasséréna, et il ne resta du terrible Sam qu'une poussière épaisse et impalpable, un sable fin et luisant qui couvrait tout.

CHAPITRE LI.

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Retour à Téhéran. - Norouz. Le prince Seif-oud-dovlè-Mirza. - Visite au Châh. - Position intolérable des instructeurs français. Projet de voyage dans le Mazenderån.

Nous continuâmes notre route sans aucun accident, et nous arrivâmes à Téhérân le 20 mars.

Le lendemain était jour de Baïram; c'était la fête du Norouz ou de l'équinoxe du printemps, le jour où la nature, reprenant sa vie et ranimant sa séve, allait se parer de nouveau. Le rossignol allait recommencer son ramage, la colombe ses amours, et les fleurs, épanouies à côté des feuilles nouvelles, embellissaient déjà les jardins en réjouissant les yeux. C'était ce jour-là que les Persans fêtaient. Il devait y avoir au palais un grand selâm en présence du Châh sur son trône.

Le ministre de Russie, qui se souvenait de la bienveillance qu'il nous avait témoignée déjà à Ispahan, nous proposa de l'accompagner au sérail, et d'assister avec lui à la cérémonie. On pense bien que nous ne nous fimes pas prier. Nous nous rendimes, en conséquence, à l'ambassade russe, et nous mêlâmes aux secrétaires du général Duhamel. Le sérail touchait à l'hôtel de l'ambassade, mais l'étiquette voulait que

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