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moitié, puisque l'attaque avait eu lieu malgré la sainteté de l'imâm-zadèh; mais la justice et l'autorité ne l'étaient nullement. Triste exemple de la faiblesse du pouvoir qui ne sait, en Perse, qu'être débile ou cruel. Cependant, il fallait une vengeance, une proie à l'autorité; la victime fut le ketkhodâh d'un des quartiers de la ville, qui passait à tort ou à raison pour protéger les mauvais sujets. Il fut pris et eut la tête tranchée. Le kalantar, qui était également réputé leur ami, fut arrêté, mais il sut se faire relâcher, probablement en vidant sa bourse.

Je revis souvent Ferrhâd-Mirza; il avait la bonté de me mettre fort à mon aise, et de causer avec moi sur le pied de l'intimité. J'essayai de mettre sa bienveillance à profit pour Ressoul - Bek, qui avait un barat à se faire payer à Chiraz. J'en parlai au prince, qui voulut bien s'y intéresser; mais par combien de détours n'essaya-t-on pas d'éluder l'acquittement de cette dette, qui était cependant revêtue du sceau royal! On me remettait de jour en jour, et je dois dire que le pauvre Châh-Zadèh en avait l'air tout honteux. Chaque fois il me disait : « Dema n... » Les Persans remettent toujours ces sortes de choses au lendemain, absolument comme le barbier dont l'enseigne porte: Ici on rase pour rien... demain.

Nous fumes invités à prendre le thé chez un évêque arménien, kalifah du pape schismatique d'Etch-Miazin. Il venait de Bagdad par Bassorah et Bouchir; il nous raconta mille fables sur ce qui se disait, à Bagdad, des affaires de Syrie. Il était difficile d'y démêler la vérité. Ce khalifah nous dit qu'il s'était arrêté à l'île de Karak, qu'il y avait trouvé deux frégates anglaises, et qu'il y avait vu débarquer dix-huit pièces

de 'canon. Son opinion était, d'après ce qui se passait dans cette île, que les Anglais s'y fortifiaient plus que jamais.

Nous fimes à Chiraz une provision de plâtre fin, dans l'espoir d'opérer quelques moulages à Persépolis, en y repassant. C'était une manière de compléter nos travaux et de leur donner un moyen de contrôle qui pût inspirer toute confiance dans leur exactitude. Nous ne pouvions espérer emporter beaucoup de moules des sculptures; le voyage qui nous restait à faire était trop long, et les moyens de transport trop difficiles pour nous permettre de réunir plusieurs sujets qui auraient composé la charge de plusieurs mules. Il nous suffisait d'emporter en France un ou deux types pour l'appréciation du travail et des reliefs de ces curieux monuments, dont nos dessins étaient d'ailleurs la complète et fidèle traduction.

La veille de notre départ de Chiraz, nous assistâmes encore à une cérémonie qui, selon l'usage, précède le Norouz ou la fête du nouvel an. Ce fut le même personnel et le même cérémonial que pour le Courbân-Baïram.

Après avoir pris congé de Ferrhâd-Mirza, et avoir dit adieu au général Seminot, qui avait mission d'inspecter les moyens de défense du littoral maritime vers lequel il se préparait à descendre, nous partîmes pour Ispahan.

II.

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Le 12 février, n'ayant plus rien à faire à Chiraz, et tout notre monde étant suffisamment reposé, nous nous étions remis en route pour Ispahan. Nous allâmes reprendre à Zergoûn possession du meïman-khânèh délabré où nous avions déjà eu tant de peine à nous abriter. De ce village nous devions aller à celui de Kanara, dans la plaine de Merdâcht, à une demi-farsak des ruines de Persépolis. Nous ne suivîmes pas dans toute son étendue la route que nous avions prise en nous rendant à Chiraz. Nous laissâmes à notre gauche le pont du Bend-Amir, et, tournant à droite, nous nous avançàmies vers le pied des montagnes en évitant, autant que possible, les marécages qui s'étendent de ce côté. Nous marchames deux heures environ entre la berge escarpée de la rivière et la base des montagnes, qui en est très-rapprochée.

On nous avait indiqué, dans cette direction, des sculptures placées sur les rochers. Nous eûmes beau chercher, inspecter

chaque pierre, nous n'y vîmes absolument rien qui sentit la main des hommes. Les roches y étaient àpres, sauvages, amoncelées sans ordre les unes sur les autres jusqu'au village de Bend-Amir. Près de là se trouve comme une espèce de petit cirque naturel auquel les Persans donnent le nom de Nokhara-Khánèh ou lieu des trompettes. Je n'ai pu en connaître ni la raison, ni l'origine. A la façon dont les rochers y sont disposés, j'ai pensé que peut-être, lorsque ce pays était plus florissant, des musiciens se réunissaient en ce lieu favorable à la répercussion du son de leurs instruments dont les échos portaient au loin les éclatantes fanfares. Quant à présent, il ne s'y passe ni ne s'y trouve rien qui soit digne de remarque.

Quelques pas encore, et nous arrivions au village de BendAmir. Nous entendimes de loin le bruit que font les eaux de la rivière en se précipitant par-dessus la digue qui a donné son nom à cet endroit. Pour nous en rapprocher, nous traversâmes quelques champs bordés de beaux arbres. Arrivés sur l'escarpement de la berge, en aval de la chute, nous eûmes devant les yeux un des plus pittoresques et des plus séduisants tableaux que nous aient offerts les paysages de Perse une immense nappe d'eau tombe, d'une hauteur de douze ou quinze mètres, au fond d'un gouffre où elle rejaillit en bondissant sur elle-même. Une écume blanche, qui roule et tournoie sous cette puissante cascade, s'étend en larges festons et s'allonge entraînée par un courant rapide. Ébloui par l'éclat des eaux, assourdi par leur fracas, on se sent pris de vertige en fixant la mobilité incessante de cette cascade qui ne s'arrête jamais. Au-dessus s'élève un pont qui réunit les deux bords de la rivière, et donne, par treize

ouvertures, passage à ses eaux qui, d'un côté, s'élèvent paisiblement jusqu'à elles, pour, de l'autre, se précipiter en mugissant. Ces arches s'appuient sur une forte digue dont les assises s'aperçoivent à travers la limpidité des eaux. Tout cet ouvrage est en fortes pierres, construit avec art, et d'une solidité éprouvée par plusieurs siècles. C'est là ce qu'on appelle le Bend ou la digue. Ce barrage a été exécuté dans le but d'élever les eaux de la rivière, qui est très-encaissée, au niveau de la plaine, afin de les y conduire par des canaux irrigateurs. La fécondité de la plaine de Merdàcht et son ancienne population avaient déterminé cet ouvrage hydraulique, qui devait répandre l'abondance et la richesse dans le pays. Il témoigne d'ailleurs de la sollicitude des gouvernements antérieurs de la Perse, et fait honte à ceux du présent. Si on la voit aujourd'hui ruinée par ceux qui devraient lui donner la vie, si son administration actuelle, au lieu de fortifier son existence, lui met en quelque sorte le pied sur la gorge et pressure sa pauvreté, on voit, par le Bend-Amir, qu'elle a été dans d'autres temps gouvernée par des princes plus intelligents qui ont eu sollicitude du bien-être de la nation, et ont compris qu'il fallait venir en aide aux forces naturelles d'un peuple essentiellement industrieux. L'Amir ou gouverneur à qui le pays doit le bienfait de cette digue s'appelait Azed-ed-Daulèh; il vivait vers le milieu du Iv° siècle de l'hégire. Les raïas de la plaine de Merdâcht bénissent encore sa mémoire en faisant les récoltes qu'ils lui doivent.

Sur les deux bords élevés de la rivière, au-dessus du Bend, sont groupées les maisons du village. Elles ont suivi la loi commune et sont presqu'en ruines. Cependant, grâce aux facilites de travail que les paysans trouvent autour de la

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