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Le 25 décembre, après avoir, sans accident, terminé nos travaux à Châpour, nous congédiâmes nos caraouls, à l'exception de deux que nous gardâmes pour nous guider jusqu'à la route qui devait nous conduire à Bender-Bouchir.

Lorsque nous eûmes débouché de l'étroite vallée où nous avions campé, nous nous retrouvâmes sur un sol jonché de débris et accidenté par des éminences portant tous les indices de constructions presque entièrement disparues. Nous les avions entrevues avant d'entrer dans la gorge du RoûdChapour, et nous n'en avions pas auguré beaucoup pour augmenter la collection de nos matériaux archéologiques. Nous ne nous étions pas trompés. Nous embrassions de l'œil toute l'étendue du terrain sur lequel surgissent çà et là les points les plus apparents parmi les débris qui le couvrent. Autant que nous en pûmes juger par l'aspect des lieux, la

ville de Châpour devait avoir approximativement deux mille mètres en longueur, sur treize à quatorze cents de largeur. A peu près au centre de tous ces monceaux de décombres, qui sont de nature à ce que des fouilles ne paraissent devoir y amener aucune découverte importante, on voit une ruine qui offre plus d'intérêt que toutes celles sur lesquelles le pied heurte à chaque pas. De loin, on n'aperçoit qu'un mur au haut duquel sont trois grandes assises dont les parties anguleuses, peu dessinées, accusent néanmoins des formes d'animaux. Toute la base de cette construction est enfouie dans la terre. Quatre murailles, dont les revêtements sont faits d'assises d'un calcaire blanc posées à sec, sont tout ce qui reste de l'édifice qui était à cette place. On ne peut se faire une idée de la hauteur que pouvait avoir le monument, parce que toute la partie inférieure, au dedans comme au dehors, se trouve enterrée jusqu'à la plate-bande des portes. Sur le dernier rang d'assises posaient des corps d'animaux que nous avions distingués de loin. Ils étaient très-endommagés; néanmoins, en les observant avec attention, nous n'avons pas été peu surpris de reconnaître qu'ils n'étaient autre chose que de grossières imitations des taureaux agenouillés qui forment à Persépolis les chapiteaux des colonnes. Ils n'avaient ni la finesse de détails, ni la perfection d'exécution de ceux-ci; mais leur ensemble avait un caractère tout à fait analogue. Ils paraissaient avoir rempli, à Châpour, le même office qu'à Takht-i-Djemchid, celui de supporter une architrave ou un plancher. Ils étaient faits de deux assises : l'une sur laquelle était sculptée la tête, l'autre formant le poitrail. Ce mur porte un jambage et une portion de cintre d'une fenêtre. On ne découvre, autour de cette ruine, rien qui s'y

rattache; elle paraît isolée et n'avoir pas eu d'autre construction comme annexe.

Au nord-est de ce point, à trois ou quatre cents mètres, on voit deux tronçons de colonnes, restés debout au milieu d'autres fragments du même genre. Ces débris sont en calcaire blanc semblable à celui des assises du monument précédent.

Ce sont là les seuls restes dignes de remarque parmi les décombres. On voit que l'intérêt qu'offre cette localité ne saurait être justifié par ces rares et insignifiants éléments d'architecture sassanide, qui n'ont pour eux ni la grandeur, ni l'art, ni même l'originalité; car, ainsi que je l'ai dit, les seuls objets qui y soient dignes de remarque ne sont, en réalité, dans ce qu'ils présentent comme caractère ou comme détails, que des réminiscences de Persépolis, ou même des plagiats complets faits à cette noble cité des rois achéménides.

Quand nous eûmes laissé derrière nous la dernière pierre qui rappelait la ville sassanide, nous suivimes la direction du sud-ouest, et nous nous rapprochâmes de la rivière. Cette partie de la plaine de Kazèroûn est couverte d'une espèce d'arbrisseaux épineux que les habitants coupent pour brûler, et qu'à cause de cela l'on ne voit généralement que très-bas. Cependant il sont susceptibles d'un fort accroissement, ainsi que le prouvent quelques pieds épars que le hasard a fait respecter; ceux-ci portent de petits fruits ronds que l'on mange. Arrivés au bord du Roûd-Châpour, il nous fallut cheminer assez longtemps dans son lit, marchant tantôt dans l'eau, tantôt sur des îlots sablonneux couverts de broussailles. Quand nous eûmes atteint la rive opposée, nous nous engageâmes

dans un ravin rocailleux que nos bêtes de somme eurent beaucoup de peine à suivre. Nous nous trouvions sur la route fréquentée de Bender-Bouchir. Après que les deux Mamacenis que nous avions gardés nous eurent mis dans notre chemin, ils s'en retournèrent en nous souhaitant un bon voyage. Jusqu'au dernier moment nous n'eûmes qu'à nous louer de ces gens. Ils avaient fait bonne garde, nous ne fùmes nullement inquiétés, et ils s'étaient prêtés avec beaucoup de complaisance à tout ce que nous leur avions demandé. Aussi voulûmes-nous qu'ils fussent également contents de nous, et nous payâmes généreusement les services qu'ils nous avaient rendus. Cependant je dois dire que ce ne sont pas gens auxquels il faille se fier. Leur air farouche indiquait assez que, sans l'intervention du serdâr de Kazèroûn, nous eussions probablement payé cher notre témérité de camper dans la gorge sauvage où nous étions en plein pays des Mamacenis, et à leur merci.

Après six heures de marche, montant et descendant alternativement, nous arrivâmes à Khumaridje. Au-dessus des habitations du village, se halançaient, sous un ciel pur, les verts panaches des dattiers. Khumaridje est situé dans une petite plaine circulaire, et sur une éminence qui permet de l'apercevoir de loin. Nous eûmes de la peine à y trouver un logement. Les portes se fermaient brusquement à notre approche; ou, quand nous pouvions pénétrer dans une cour, nous n'y trouvions personne, la maison semblait déserte. Enfin, et presque de force, nous nous installâmes dans une habitation assez passable. Elle était importante pour le lieu; elle avait une tournure de fortification qui indiquait sans doute la nécessité, pour les habitants, de se mettre à l'abri

des coups de main imprévus auxquels les expose la proximité du Loristan. Nous pénétrâmes dans la cour de ce logis en passant sous une voûte que surmontait une haute tour carrée percée de meurtrières, et terminée par des créneaux. Tout semblait prévu pour une défense et pour le cas où l'on aurait à soutenir un siége. Au fond de cette cour, on nous donna une grande chambre où la porte seule donnait passage à l'air et à la lumière, afin de mieux garantir de la chaleur extérieure qui devient excessive dans ce pays. Au-devant de cet appartement élevé de quelques marches au-dessus du sol, était une plate-forme construite, comme la maison, en briques crues, et entourée d'un petit mur. C'est là que, le soir, après le coucher du soleil, on ́prend le frais, ou que, pendant l'été, on passe la nuit. Des hangars faits avec des troncs et des branches de palmiers étaient disposés pour recevoir les chevaux ou autres animaux.

Nous commençâmes, à Khumaridje, à voir les dattes composer l'aliment principal des habitants. Cette nourriture est très-usitée dans la Perse méridionale où les fruits du dattier sont excellents. Ils y deviennent très-gros et parviennent à une maturité qui les rend extrêmement doux et agréables. Leur couleur brune, et le sucre cristallisé qui les couvre, leur donnent un air de fruits confits. Il est impossible de manger rien de plus savoureux et de plus délicat que les dattes de Perse. Les Persans les cueillent quand elles sont arrivées au degré de maturité qui les rend molles. Ils les entassent; leurs parties sirupeuses suintant de chacune d'elles, elles se prennent et adhèrent fortement les unes aux autres. Ainsi conservées, elles ressemblent à des gâteaux, et on les

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