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la rivière, et le grand pont qui met les deux rives en communication, on peut comprendre que Cheheristán ait été une ville, et même une ville de quelque importance.

Une notable partie de sa population a dû probablement émigrer vers la nouvelle cité et elle a laissé derrière elle des habitations qui, abandonnées, n'ont pas tardé à disparaître c'est du moins l'induction qu'on peut tirer de certains restes d'édifices qui se voient encore isolés et distants des maisons actuellement habitées. Parmi ces vestiges qui témoignent en faveur de l'étendue de Cheheristán, est une petite mosquée dont la coupole et le minaret sont encore debout. Cheheristan passe pour avoir été, dans le beau temps d'Ispahan, la résidence privilégiée des grands. La décadence de cette capitale et de son aristocratie aurait causé l'abandon de leurs habitations, ce qui explique en partie les ruines qui se voient dans ce lieu.

Les habitants actuels de Cheheristan sont cultivateurs ou jardiniers. Plusieurs moulins, établis sur le Zendèroud, y entretiennent aussi un assez grand nombre de bras, car ils doivent subvenir à l'alimentation de la nombreuse population d'Ispahan.

A l'autre extrémité du territoire d'Ispahan, est une petite mosquée de peu d'apparence, mais curieuse par un conte absurde qui s'y rattache. On l'appelle Djeladoûn ou Mosquée des minarets tremblants, surnom qui lui vient de ce que ses minarets, en effet, sont faciles à ébranler. Voici le fait que les Musulmans tiennent pour phénoménal: Des enfants montent dans un des minarets et l'ébranlent en le secouant; à l'instant, l'autre minaret tremble et oscille de la même façon. Les Persans superstitieux crient au miracle, pré

tendant, pour l'expliquer, que le corps d'un saint est enterré sous la mosquée, et que ce sont ses tressaillements qui produisent les oscillations des minarets. La cause réelle de ce tremblement très-visible d'ailleurs, est probablement due à la mauvaise construction de l'édifice, et à une poutre ou tout autre lien commun aux deux minarets.

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M. Coste et moi nous explorions habituellement ensemble Ispahan et ses environs; en nous réunissant, nous nous entr'aidions, et nous profitions du même cicerone, ce qui était une économie. Or, nous avions besoin de penser à cet article toujours sérieux en voyage, mais plus grave encore au fond de l'Asie. Nos finances étaient fortement ébréchées par notre précédent voyage dans l'ouest, et nous devions y puiser le moins possible, afin de ne pas voir le fond de notre bourse avant notre retour du sud.

Quelquefois j'avais pour compagnon de promenade et d'étude un jeune secrétaire de l'ambassade russe avec qui je m'étais lié d'amitié. Son esprit vif et orné me faisait trouver du charme dans sa société, et la connaissance approfondie qu'il avait de la langue du pays, me rendait son intervention très- utile, pour apprendre des Persans beaucoup de choses intéressantes sur ce que je voyais, ou sur leurs mœurs. Escortés de deux ou trois

domestiques, nous parcourions à cheval tous les environs d'Ispahan, et nous faisions des haltes de plusieurs heures, partout où nous trouvions quelque plaisir ou quelque point curieux à étudier. Ces excursions nous menaient souvent très-loin, et nous faisaient rentrer à la nuit à Djoulfah. Ce n'était pas très-prudent, car la campagne d'Ispahan est loin d'être sûre. Le départ des troupes que le Châh avait emmenées, encourageait les bactyaris du voisinage à venir jusque sous les murs de la ville. D'un autre côté, les loutis que le roi avait châtiés avaient laissé des vengeurs, et les débris de cette bande de brigands erraient en cherchant l'occasion de faire quelque coup de leur façon. Mais nous comptions sur notre habit d'Européens pour être respectés, même des voleurs.

Une fois, le soleil était couché depuis longtemps et l'obscurité commençait à nous envelopper, quand, pressant nos chevaux, nous touchions aux premiers murs de Djoulfah. Croyant ne plus avoir là aucune crainte, je souhaitai le bonsoir à mon compagnon et le quittai pour descendre avec mon saïs, au bord du Zendèroud, afin d'y faire boire mes chevaux. Nous étions à peine entrés dans la rivière, que des cris affreux, poussés au loin et paraissant venir du chemin que je venais de quitter me firent craindre quelque accident pour celui que j'y avais laissé. Je me hâtai de gagner l'endroit où nous nous étions séparés, cherchant à reconnaître d'où partaient les cris; mais je n'entendis bientôt plus qu'un bruit sourd de voix confuses, de pas qu'accompagnait un cliquetis de fer qui me fit pressentir un malheur. Je crus de suite à une attaque de maraudeurs venus de la montagne jusque dans les rues de

Djoulfah, chercher une proie qu'ils n'avaient pas eu la chance de rencontrer au dehors. Par un dernier coup de jarrets de mon cheval je tombe au milieu d'un groupe de combattants dont les pas et les efforts soulevaient une poussière au travers de laquelle je ne devinais rien autre chose qu'un combat entre quatre hommes. A quelques pas, les chevaux effrayés que contenait avec peine un saïs et, par terre, appuyé contre le mur, le jeune Russe se disant blessé, et m'indiquant les bandits qui venaient de l'assaillir;-son second domestique, qui avait voulu le défendre, était victime de son dévouement; et, terrassé, il ne pouvait plus résister à ses trois agresseurs qui levaient sur lui leurs poignards, il allait être tué.

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Mon arrivée imprévue changea la face de ce combat inégal. - Je me jette à bas de mon cheval, et saisissant un pistolet, seule arme dont je pusse disposer, je me précipite sur le groupe d'hommes entrelacés et pressés les uns sur les autres; -je tâche, dans l'obscurité, de distinguer les agresseurs.— J'allais brûler la cervelle à l'un d'eux. -Heureusement mon sang-froid ne m'avait pas abandonné, et, au moment de faire feu, je réfléchis à la gravité des conséquences de l'homicide que j'allais commettre sur un Musulman, moi chrétien. Étais-je assuré contre le bénéfice des représailles que pourraient revendiquer les parents de la victime? Je ne le crus pas, et bien m'en prit probablement. Je désarmai mon pistolet, et, ne m'en servant que comme d'une masse, je tombai à coups redoublés sur les trois misérables qui tenaient sous eux le pauvre domestique. Au premier choc, l'un d'eux lâche pied et s'esquive dans l'obscurité. Les deux autres, étourdis de la furie avec laquelle je les attaque, lâchent leur adversaire qui, remis sur ses pieds,

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