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résident anglais. Ce dernier avait cru devoir se retirer avec sa suite à Erzeroum, et toutes les relations diplomatiques étaient interrompues entre la Perse et la Grande-Bretagne. Les intrigues qui avaient eu lieu en 1808 pour faire avorter toutes les entreprises du général Gardanne étaient encore présentes à l'esprit. Il était politique de chercher à renouer les relations dans un moment où l'on savait ne trouver à la, cour du Châh qu'un seul adversaire, s'il en devait être un, M. le ministre de Russie.

Une autre circonstance déterminante avait été l'arrivée à Paris d'un des plus hauts personnages de la Perse. Hussein-Khán avait été envoyé, par Mehemet-Chah, auprès du roi Louis-Philippe, pour lui demander quelques instructeurs destinés à faire l'éducation des troupes persanes. La confiance témoignée par cette démarche était un encouragement naturel à l'envoi de la mission projetée.

On conçoit, par l'objet de cette ambassade, qu'elle était tout exceptionnelle ou extraordinaire, pour parler le langage diplomatique. D'après cela, la composition de son personnel devait l'être également. On n'avait pas de notions exactes sur la Perse. On était presque au même point que l'empereur Napoléon, en 1805, sur l'état général de ce pays. Depuis cette époque, il avait subi des changements notables qui rendaient insuffisants, après trente-cinq années, les documents existants. On avait besoin de connaître son système gouvernemental actuel, sa population, ses ressources militaires, ses arts, son état moral, toutes choses qu'il importait au gouvernement français de savoir pour remplir le but qu'il se proposait.

Ces connaissances acquéraient une grande importance par la position de ce royaume resté seul indépendant au milieu du cercle toujours de plus en plus resserré que circonscrivaient autour de lui les deux grandes puissances dont les envahissements allaient toujours croissant.

Il est dans l'avenir de la Perse, où, parties des deux extrémités de l'Asie, la Russie et l'Angleterre tendent de plus en plus à se rencon

trer, d'être l'échiquier sur lequel l'une et l'autre joueront la partie dont l'enjeu doit être inévitablement la possession complète de cette partie du monde.

Les notions que ces graves questions nécessitaient étaient variées. Il fallait, pour les approfondir, composer l'ambassade de personnes dont les attributions et les connaissances fussent spéciales. C'est ce à quoi on chercha à arriver en la constituant telle qu'elle partit.

M. Ed. de Sercey fut nommé ministre plénipotentiaire ; on lui donna pour secrétaires MM. de La Valette, d'Archiac, Gerard et de Chazelles. Chacun de ces messieurs devait recueillir des documents sur une branche désignée des connaissances demandées. M. Desgranges, qui avait, pendant plusieurs années, rempli les fonctions de premier drogman à l'ambassade de France à Constantinople, y fut adjoint. Il apportait le tribut de son expérience des mœurs et coutumes de l'Orient. Deux officiers avaient été ajoutés à cette liste, MM. de Beaufort, capitaine d'état-major, et Daru, capitaine de cavalerie. Chacun d'eux, selon sa spécialité, devait faire des rapports concernant les places de guerre, leurs moyens de défense, la constitution de l'armée, son armement et la cavalerie persane, qui ne laissait pas d'avoir une certaine réputation. M. le docteur Lachèze et M. KazimirskiBiberstein furent désignés, le premier comme médecin, le second en qualité d'interprète pour le persan.

Afin de compléter le personnel dont se composait la suite de M. de Sercey on y adjoignit deux autres personnes avec une mission toute particulière: MM. P. Coste, architecte, et Eugène Flandin, peintre, dont les attributions devaient s'exercer dans le cercle de leurs connaissances pratiques. C'est ainsi composée que cette ambassade quitta Paris (4).

PRÉFACE

Adjoints à l'ambassade qui se rendait en Perse, après avoir obtenu cette position du suffrage bienveillant de l'Académie des Beaux-Arts (5), nous partimes animés du désir de répondre à la confiance dont nous étions honorés. Nous ne nous faisions aucune illusion sur les difficultés que nous aurions à vaincre. Les obstacles que pouvait nous présenter le voyage en lui-même n'étaient rien; mais, appelés à recommencer et à compléter des recherches archéologiques sur le sol antique d'Ecbatane, de Persépolis et de Babylone, quoique nous fussions soutenus par l'ambition de faire mieux que nos devanciers, nous ne pouvions nous dissimuler combien notre mission était difficile.

En effet, quelle que soit, en souvenirs et en monuments des temps anciens, la richesse de la mine que présente le vieux monde asiatique, ce n'en était pas moins une entreprise quelque peu hardie que de l'explorer pour y rassembler les matériaux d'un travail neuf.

Depuis tant d'années déjà que la diplomatie anglaise et les armées de la Compagnie des Indes ont ouvert les portes de l'Asie centrale aux voyageurs, aux archéologues, comment oser marcher, après eux, dans les sentiers qu'ils ont battus? les Burnes, Morier, Kinneir, Ouseley et Ker-Porter n'avaient-ils pas pu dire le dernier mot sur cette terre classique de la monarchie, de la civilisation et des arts de toute espèce? Et si l'on met à côté de ces noms ceux plus recommandables encore, puisqu'ils ont été leurs guides, de Corneille Bruyn, de Niebuhr, Pietro della Valle, Chardin, avec quelle défiance ne serait-il pas permis d'envisager l'apparition d'un ouvrage dont les auteurs se sont proposé à peu près le même but que leurs devanciers?

Néanmoins, et quel que soit le respect qu'il professe pour les noms que nous avons mentionnés, l'Institut de France a cru qu'il pouvait rester quelque chose à faire pourides voyageurs consciencieux et zélés. Il a pensé que leurs prédécesseurs pourraient bien avoir incomplétement étudié certaines parties de l'archéologie persane. Il n'y a point, en effet, de moisson si bien faite que l'on n'y trouve à glaner.

En conséquence, nous reçûmes la mission d'explorer la Perse en tous sens. Nous devions y recueillir les moindres renseignements qui présenteraient un intérêt relatif à la philologie et à l'histoire. Nous devions surtout nous attacher à l'étude des monuments et de la civilisation ancienne et moderne de ce peuple qui, sous le nom de Mède, de Parthe ou de Perse, avait successivement parcouru des phases qui avaient eu des influences si diverses sur ses mœurs et ses arts.

Les révolutions qui s'étaient succédé sur ce territoire qu'on appelle aujourd'hui la Perse, ont fait subir aux monuments de ce pays, des transformations si remarquables et si distinctes, que chacune d'elles peut être considérée comme la date d'une ère nouvelle, comme l'époque d'une régénération.

La nation perse, comme toutes celles qui ont joué un grand rôle dans le monde, a été tour à tour conquérante et conquise, victorieuse ou asservie. Les périodes d'asservissement ne sont pas celles pendant lesquelles la civilisation d'un peuple enfante et progresse. Aussi ne voit-on pas chez celui dont nous parlons, de monuments appartenant aux époques d'esclavage ou de transition. Tous ceux dont on trouve des restes imposants, ou qui, encore debout, ont de grandes ombres sous le soleil, sont autant de jalons qui permettent de remonter le cours de l'histoire héroïque et glorieuse de la Perse. C'est ainsi que, sans rien retrouver du temps des vainqueurs de la Macédoine, non plus que des premiers sultans musulmans et des khans de la Tartarie, on y voit, resplendissantes encore au milieu des ruines dispersées à leur base, les colonnes de Persepolis, les gigantesques basreliefs dont les Sassanides ont orné les rochers du Fars, ou les magnifiques coupoles azurées des temples élevés, au cri d'Ali, par les souverains Sophis.

C'était les restes archélogiques appartenant aux àges reculés de

la Perse, aussi bien que les monuments de la civilisation musulmane de ce pays, que nous avions reçu la mission d'étudier de nouveau et de réunir dans un recueil complet. Nous ne nous dissimu– lions aucunement le péril auquel ce long et difficile travail nous exposait, celui d'une analyse sévère et d'une comparaison avec des œuvres qui faisaient depuis longtemps loi dans la science.

Pour la partie philologique, le Danois Niebuhr avait fourni une collection de travaux estimés, à juste titre, pour leur exactitude et le jour qu'ils avaient apporté les premiers sur l'existence et la nature des textes gravés en caractères cunéiformes sur les monuments antiques de la Babylonie, de la Médie et de la Perse.

En architecture ou en sculpture, on avait les planches de deux voyageurs français, Chardin et Thévenot. Mais, il faut le dire, ces dessins, mal exécutés sur place, mal rendus par la gravure, ne fournissent que des documents incorrects. Ils laissaient trop à désirer pour qu'il fût possible d'établir, d'après eux, quelque chose de certain relativement à l'art perse, soit avant, soit après Alexandre.

A côté de ces ouvrages imparfaits était venu se placer récemment, avec un avantage très-remarquable et très-mérité, celui de sir Robert Ker-Porter. La supériorité de la publication de ses travaux était due à la vérité, à la simplicité et au talent de leur exécution. Son apparition renversa la réputation de tous les autres dont les textes peuvent être encore quelquefois consultés, mais dont les planches restaient sans valeur à côté de celles du voyageur anglais. Celui-ci devint et resta l'oracle des archéologues, principalement en ce qui concerne l'architecture et la sculpture. Son œuvre se présentait donc comme une difficulté de plus à vaincre, aux voyageurs qui entreprendraient de suivre ses traces en essayant de mieux faire.

Quant à ce qui touchait à l'époque moderne, aux mœurs et à la physionomie actuelle de la Perse, beaucoup d'écrivains de mérite avaient, avec autant d'esprit que de talent, raconté les fastes de son histoire, dépeint ses usages et retracé ses monuments et ses arts. A la tête de ces voyageurs d'élite nous mettrons Chardin, qui visita la Perse au temps de la splendeur des Sophis. Après lui, dans des temps plus rapprochés de nous, aux dernières années de gloire de cet empire déchu,

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