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viron de Serpoul-i-Zoháb, on rencontre sur le bord du chemin un petit monument qui étonne, autant par la pureté de ses proportions, que par la forme et l'isolement dans lequel il a toujours été. Il consiste en une arcade unique, fermée au fond et adossée aux rochers. Les murs latéraux construits, comme tout le monument, en assises de calcaire très-dur et posées sans mortier, ont une grande épaisseur. Ils supportent la voûte qui est en plein-cintre, mais rentre sur ellemême. C'est le seul exemple que nous ayons vu de cette espèce de courbe adaptée à un monument ancien, dans ces contrées. Plus tard elle fut adoptée, comme on sait, par les architectes arabes, ce qui pourrait faire présumer que ce monument de Takht-i-Ghero ne s'éloigne pas beaucoup de ceux-ci et ne remonte pas plus loin que les Sassanides. A en juger par l'ornementation de cette arcade, on doit croire qu'elle fut construite par des Grecs et suivant les règles de leur art. En effet, le profil de la marche sur laquelle pose le monument, celui de sa base, son imposte, et l'archivolte sont tout à fait de style grec. La partie supérieure en est détruite, mais quelques fragments, gisant autour, indiquent qu'elle se terminait par une corniche semblable aux autres profils.

Cette arcade est d'ailleurs dans de petites proportions; et l'on se demande quelle a pu en être la destination. La recherche avec laquelle elle a été faite, et l'absence de toute défense, ne permettent guère de croire qu'elle ait été construite pour un poste militaire. D'ailleurs, le nom sous lequel elle a traversé les siècles indique par le mot Takht ou Trône, qu'elle a servi d'abri à une tête royale. Quant à la seconde partie de son nom actuel Ghero, son origine est embarras

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sante les gens du pays appellent Ghero ou Gherrû, des montagnes qui se relient à celles au milieu desquelles se trouve le monument dont il s'agit. Ce nom ne désignerait-il que la localité où se trouve le Takht? Une autre version porte à croire qu'il pourrait bien n'être qu'une corruption de celui de Chosroës qu'on appelle en Perse Kosrou ou Khosro. On arrive à déduire de ces diverses remarques qu'il se peut fort bien que ce monument ait été élevé là par ordre de quelque souverain, de Chosroës peut-être, pour lui servir de lieu de repos dans ses voyages ou ses chasses au travers de ces montagnes brûlées par le soleil. Cette opinion, rapprochée de ce que j'ai dit des grottes de Tâgh-i-Bostân, emprunte à celles-ci une nouvelle force, car leur destination, comme leur style et leur origine, semblent être les mêmes.

Rien ne nous retenait plus à Bi-Sutoun, nous avions complété, dans cette partie de la Perse, la collection de travaux qui nous était indiquée par nos instructions. Nous pensâmes à retourner à Ispahan. Le 19 donc, nous levâmes notre camp et partîmes pour Sahnèh. L'aurore commençait à poindre quand nous montâmes à cheval. Après avoir traversé le Gamasiàh et être descendus dans les prairies qui précèdent les marécages dangereux de la vallée, nous nous trouvâmes au milieu d'une grande caravane encore endormie. C'étaient des pèlerins qui se rendaient à Bagdad et à Kerbelah, avec plusieurs mules chargées de corps embaumés qu'on allait déposer en terre sainte.

Cette fois, nous traversâmes plus facilement les marais, grâce aux chaleurs de la saison qui avaient diminué la masse des eaux.

De Sahnèh, nous allâmes à Kingavar. Il faisait à peine jour, quand nous nous engageâmes dans la montagne qu'il fallait franchir en sortant de Sahnèh. A des indices que nos goulâms connaissaient bien, ils nous dirent de nous arrêter pour attendre nos muletiers. Ils avaient aperçu, dans les demi-ténèbres qui couvraient encore les gorges entre lesquelles nous marchions, des mouvements d'hommes qui leur paraissaient suspects. Nous suivîmes leur conseil, mais nous ne fûmes point inquiétés, et nous arrivâmes sans accident à Kingavar à neuf heures du matin.

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Une excursion indiquée dans le vaste plan qui nous avait été tracé, était celle de Chouchter, dans le Loristán, autrefois la Susiane dont cette ville représente l'antique capitale Suze. Nous avions tâté le terrain à Kermanchâh d'où nous avions espéré pouvoir pénétrer directement dans cette contrée. Mais le Serdar que nous consultâmes nous fit entrevoir des difficultés presque insurmontables de ce côté : « D'ailleurs, nous «< dit-il, la route est fort longue, déserte, très-difficile, à <«< cause des pays montagneux qu'il faut traverser. » Il nous conseilla de tenter plutôt cette entreprise en partant d'un point plus rapproché, et d'abréger le trajet en allant à Boroudgherd. Cette petite ville est au pied des montagnes du Loristan, et à trois ou quatre journées seulement de Chouchter. Aux difficultés qui se présentaient en prenant Kermanchâh pour point de départ, il s'en joignait une autre que l'on ne pouvait vaincre : nos muletiers ne voulaient pas nous accompagner, ils craignaient de perdre leurs bêtes; aucun

guide ne se souciait non plus de nous montrer le chemin. Ils prétendaient tous que quand on allait chez les Bactiaris ou les Loris, on n'en revenait jamais. Que ces idées fussent des préjugés, que ces périls fussent réels ou chimériques, toujours fut-il que nous avions été obligés de renoncer alors à passer dans la Susiane.

Nous suivimes le conseil que nous avait donné le Serdar, et, dans l'espoir d'être plus heureux du côté de Boroudgherd, nous résolûmes d'y aller. Si notre nouvelle tentative restait sans succès, nous pouvions toujours gagner par là Ispahan, et nous avions l'avantage de ne pas reprendre la route que nous avions suivie en venant. Nous faisions un voyage nouveau dont l'itinéraire n'était désigné sur aucune carte. Nous devions donc en explorant une contrée inconnue, y prendre des renseignements utiles à la géographie. Tant de motifs réunis ne pouvaient nous laisser hésiter un instant à nous diriger vers Boroudgherd.

Le 21 juillet donc, à trois heures du matin, afin de marcher plus vite et d'éviter la forte chaleur, nous sortimes de Kingavar et marchâmes au sud-est. Nous traversâmes la plaine dans sa plus grande largeur. A une farsak et demie de la ville, nous passâmes, à gué, une forte rivière coulant au nord-est. Elle arrose les terres cultivées qui dépendent d'un grand village dont le nom est Firouzabad. Ce bourg est situé à mi-côte de l'une des collines qui se rattachent à la grande chaîne des monts Loris dont nous devions longer la base. Nous ne le traversâmes pas, nous le tournâmes, sans que les sonnettes de nos mulets éveillassent les habitants que nous apercevions sur les terrasses de leurs maisons, où ils dormaient encore d'un profond sommeil.

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