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D'Amarat nous allâmes à Khadem-Gâh où nous rencontrâmes la route directe de Tabriz à Ispahan par Savâh; de là nous vinmes à Usnudjoûn où nous campâmes encore. L'atmosphère était si dépourvue d'humidité, et les nuits étaient si douces, que souvent nous préférions cette manière de les passer aux gîtes qui nous étaient offerts.

Pour arriver à Usnudjoûn, nous avions franchi une colline de l'autre côté de laquelle la physionomie désolée de la plaine de Khademgâh changeait complétement. Nous étions entrés dans une belle et longue vallée qu'arrosait dans toute son étendue une large rivière qui coulait au nord-ouest. Elle était couverte de cultures et de villages; nous en comptâmes douze jusqu'à Châvâh, où nous nous arrêtâmes le soir, après avoir fait une route de sept heures.

Le lendemain, nous marchâmes neuf heures, à travers un pays triste où nous rencontrâmes quelques tentes de nomades qui élevaient des chevaux. Je voulus en acheter un, mais on ne m'en présenta que de défectueux. Nous couchâmes à Barbend. En quittant cet endroit, nous franchîmes une petite montagne du haut de laquelle nous vimes la grande et belle plaine d'Hamadan. En y descendant, l'aspect riant du pays nous fit comprendre l'importance de ce district qui est un des plus beaux de la Perse. A notre gauche, la chaîne de l'Alvend, élevait dans l'air ses grands pics dont plusieurs étaient encore blancs. De ses flancs s'échappaient de nombreux ruisseaux au bord desquels étaient assis de tous côtés des villages rapprochés les uns des autres. Nous passâmes, à gué, une rivière; peu après nous en rencontrâmes une seconde plus large, et sur laquelle est un pont auprès

duquel nous fimes une halte pour reconnaître le pays, et en relever les principaux points. De toutes parts se voyaient des villages habités et de grands vergers où se distinguaient beaucoup d'arbres à fruits et des vignes.

Le 10 juin à midi nous entrions à Hamadân.

CHAPITRE XXIV.

médiques.

Hamadân. Tombeaux d'Esther et de Mardochée.
Mont Alvend. - Inscriptions.

Avicenne. Antiquités

Nous étions arrivés sur le premier théâtre de nos explorations archéologiques. Nous ne pensions pas que notre séjour dût être long, car nous savions que les environs d'Hamadan, bien que rappelant le souvenir d'Ecbatane, ne conservaient que fort peu de vestiges de cette antique cité.

En entrant dans la ville nous avions rencontré le BèglierBey qui nous fit un salut fort gracieux, et donna tout aussiôt des ordres pour qu'on nous logeât dans une des meilleures maisons arméniennes. Nous y fûmes en effet passablement. Le logement était propre, commode, et notre hôte trèscomplaisant.

Nous restâmes à Hamadân six jours pendant lesquels nous nous livrâmes à toutes les recherches qui pouvaient nous conduire à découvrir les moindres détails relatifs à l'antique capitale de la Médie.

Avant de sortir des murs de la ville moderne, j'en visitai tous les quartiers; ils offrent peu d'intérêt, surtout au point de vue architectural. Hamadan n'a ni mosquée, ni sérail, ni bazars qui soient remarquables. C'est une petite ville de peu d'étendue, et qui ne compte que 4 à 5,000 habitants. — Il s'y trouve peu de familles chrétiennes. Les juifs y sont plus nombreux.

Elle est traversée par une rivière torrentueuse qui, échappée des flancs du mont Alvend, en descend avec rapidité, de cascade en cascade, et passe sous plusieurs ponts qui offrent çà et là les seuls points de vue pittoresques que l'on rencontre dans la ville. Cette rivière est une ressource pour le pays où un assez grand nombre de tanneurs entretiennent une industrie qui y répand un peu de commerce. On y fait aussi une espèce particulière de tapis en feutre très-épais; la laine en est très-habilement foulée et forme des dessins de toutes couleurs. Ces tapis qui sont étroits, longs, et trèsmoelleux, se mettent habituellement sur ceux qui couvrent le sol des appartements. On les étend contre les murs, et, comme ils sont fort épais, on s'en sert pour s'asseoir.

Un autre commerce spécial à Hamadân est celui des médailles et des pierres gravées. Les objets de valeur réelle y sont fort rares, comme partout. Mais les Juifs fabriquent une immense quantité de monnaies grecques et sassanides. Celles surtout qui portent l'effigie d'Alexandre ou d'Ardechyr y sont très-communes. Il est probable que des travaux de terrassement ayant autrefois amené la découverte de quelques pièces antiques, les Juifs, spéculateurs de naissance, et qui ont principalement le goût du trafic des monnaies, se sont mis à fondre et à produire des fac-simile de celles re

trouvées dans le sol. On m'a dit qu'ils en exportaient même pour les amateurs d'Europe. Je laisse à penser le nombre qui doit en exister, et quel est le degré de leur authenticité et de leur valeur.

Hamadan est un des centres où, en Asie, se sont groupés, en plus grand nombre, les Juifs ou Yaoudis, comme on les appelle. On en compte deux cents familles. J'attribue leur prédilection pour cette ville à une tradition dont l'histoire ne fournit pas la justification, mais qui, complétement avérée par les Juifs, rapporte que la reine de Suze, Esther, ainsi que son oncle Mardochée, ont été enterrés en cette ville. On y voit en effet un mausolée qui, assure-t-on, recouvre et conserve les restes de ces deux célébrités de la race hébraïque. Les Israélites d'Orient accourent, de toutes parts, en pèlerinage au pied de ces deux tombeaux qu'ils ont en très-grande vénération. Ils viennent y célébrer, de cette manière, l'une de leurs grandes fêtes appelée Parim. Cette solennité rappelle l'anniversaire de l'indépendance qu'ils recouvrèrent sous les Machabées. Parmi les souvenirs antiques qui survivent dans cette localité, il n'en est pas qui doive produire sur l'âme du voyageur plus d'impression que celui de cette fille Benjamite profitant de sa beauté et de ses vertus pour affranchir sa nation de la honteuse humiliation dans laquelle la tenait Assuérus. Cette noble vie, racontée par l'histoire, illustrée par Racine, n'entoure-t-elle pas de son prestige cet humble tombeau dont la simplicité égale celle des vertus de la belle Juive?

Le monument qui conserve ces précieuses reliques, s'élève sur une petite place, au milieu des ruines d'un quartier

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